13 mai 2008

1958 : L’anniversaire prudemment occulté

Article publié sur le site Afrique Liberté
le 13 mai 2008

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50 ans déjà,
la Ve République commençait de naître…





Le 13 Mai 1958 à Alger :
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L’anniversaire prudemment occulté




Il y a un mois et demi, Anne-Proserpine Diop et Simon Mougnol annonçaient la couleur dans nos colonnes[1]. Ils expliquaient comment les commémorations du joli mois de mai 1968, commencées cette année étrangement tôt (dès le début du mois de mars…), risquaient de servir d’écran de fumée pour éviter de fêter un autre anniversaire, au moins aussi important mais beaucoup plus gênant : celui des événements de mai 1958, dont naquit la Ve République. Nos deux collaborateurs avaient-ils vu juste, ou s’étaient-ils un peu trop avancés ?

Maintenant que nous y sommes, on peut commencer à croire qu’Anne-Proserpine Diop et Simon Mougnol ont tapé dans le mille. Alors que la magie des dates rondes (50 ans, un demi-siècle, en principe ça se fête !) aurait dû imposer des commémorations en grandes pompes de la naissance de la glorieuse Ve République, on assiste à un étonnant
black-out médiatique. Silence radio à tous les étages, ou presque.

Pourquoi nos chers confrères des médias de masses, et les politiciens de tout bord, ont-ils décidé de glisser le plus discrètement possible sur le 50e anniversaire de la Ve République, tandis que celle-ci fut longtemps présentée comme une bénédiction absolue pour la France ?

Tout simplement parce que, depuis un demi-siècle, un vaste consensus politique, médiatique et universitaire, qui mobilise tout l’échiquier politique, de l’extrême gauche à l’extrême droite, de la droite à la gauche en passant par le centre, et s’articule autour des figures tutélaires du général de Gaulle et de Jean-Paul Sartre, alliés objectifs dans cette affaire, s’emploie patiemment à enfouir un terrible, un inavouable secret.
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Quel secret ? La Ve République, née d’un coup de force militaire, est fondée sur une gigantesque trahison du peuple souverain. Cette trahison a consisté à mettre en place, au prix de cent subterfuges et forfaitures, ce que l’essayiste Alexandre Gerbi appelle l’apartheid à la française, à savoir le largage de ses territoires et populations d’Afrique par la France métropolitaine. Largage maquillé, habileté suprême, en triomphe de la « volonté des peuples à disposer d’eux-mêmes » ; le stade suprême du capitalisme, de l’impérialisme et du (néo)colonialisme travesti en victoire de la Liberté et de la Justice.

Depuis un demi-siècle, l’imposture, énorme, tient à coups de manipulations et d’alliance des contraires, d’anathèmes, de menaces plus ou moins feutrées, et de bourrage de crâne des jeunes générations. Qui veut faire carrière dans la presse, l’université ou les médias en France aussi bien qu’en Afrique, a intérêt à ne pas la contredire trop ouvertement. Sans quoi le guette un destin de paria
[2]. Inversement, souscrire sans réserve à la version officielle des faits permet d’espérer les plus juteuses destinées.

Or, dans le ronronnant concert de mensonges que génère nécessairement ce type de système (avec son cortège de compromissions qui représentent, avec le temps, autant de verrous pour ceux qui s’y sont livrés), quelques flèches éparses ont fini par entamer le voile de Maya.

Comme le note l’écrivain Samuel Mbajum
[3], on peut s’étonner que le livre d’Alain Peyrefitte, publié en 1994 chez Fayard, C’était de Gaulle, qui fourmille de révélations iconoclastes aussi effarantes qu’incontestables, ait si peu retenu l’attention des historiens, des journalistes et autres observateurs avisés du microcosme et du macrocosme, du moins concernant les chapitres qui traitent de la dite « décolonisation » de l’Afrique par la France…

Or, ces dernières années, plusieurs ouvrages importants ont commencé de mettre au jour les dessous de la « décolonisation » gaullienne, dans ses mécanismes les plus intimes. Sans surprise, les médias français ont joué la prudente carte de l’omerta, privant le grand public d’une information à laquelle il a pourtant droit. Mais la charte du journaliste est-elle autre chose, aujourd’hui, qu’un morceau de chiffon ?

Dans un monde qui ment, dit le cynique, la plus grande faute consiste à vouloir cesser de mentir. Faisant fi de ce principe, et quels qu’en soient les risques, plusieurs auteurs ont donc jeté de sacrés pavés dans la mare
[4]. Les pavés en question ont fait beaucoup parler dans les hautes sphères (bruissements, chuintements, cris étouffés ou rires gras, nerveux…), suffisamment en tout cas pour rendre délicates des commémorations de la Ve République qui n’auraient peut-être pas pu, à cause d’eux, s’inscrire sans risque et sans arrière-pensées coupables et gluantes (sueurs froides, crampes dans les trapèzes, tics, etc.) dans la confortable continuité de l’hagiographie et de l’imposture gaullo-sartriennes officielles. D’autant que ces mensonges, majuscules, ne sont pas sans conséquences.

La chose serait en effet anodine, si elle ne constituait que le soubassement d’une crise majeure dont l’Afrique francophone et ses peuples sont les martyrs depuis des décennies. Après tout, nous avons cru comprendre qu’au-delà des larmes de crocodile et des violons, les malheurs des Nègres avaient peu d’importance. Mais comme elle constitue désormais le moteur d’une crise sans précédent où la France et le peuple français s’enfoncent chaque jour davantage, et dans laquelle ils pourraient bien finir par se noyer, il nous semble plus que jamais nécessaire d’en parler.

Alexandre Gerbi, dont l’ouvrage,
Histoire occultée de la décolonisation franco-africaine, fait partie de ces livres proscrits par le Système
[5], a bien voulu nous autoriser la reproduction de certaines de ses bonnes feuilles.

Escargots et gazelles, sortez vos cornes et apprêtez vos dents, vos mandibules ! Afin qu’avec tambours, trompettes et grands balafons, Afrique Liberté souhaite un bon anniversaire à la Ve République, et à son président rompant.



Vincent Kraft avec Raphaël Tribeca


Histoire occultée de la décolonisation franco-africaine, Imposture, refoulements et névroses, d’Alexandre Gerbi, Ed. L’Harmattan, 2006.
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Je me suis toujours fait une certaine idée de la France.
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Charles de Gaulle[6]



Le général de Gaulle avait été écarté du pouvoir en 1946. Pendant douze ans, il rêva de revenir aux affaires. Mais seulement sur la plus haute marche, la seule qu'il estimât digne de lui. La guerre d'Algérie lui en donna l'occasion.

* * *

La IVème République, qui ne parvenait pas à se décider à accorder la citoyenneté française aux arabo-berbères d'Algérie (la condition sine qua non de toute paix durable en Algérie, et l’inverse, ce refus, source éternelle de révolte et de guerre), semblait progressivement se résoudre à envisager l'indépendance algérienne[7]. De Gaulle, posé en tenant absolu de l’ « Algérie française », accusa ce qu’il appelait le « système » de vouloir brader l'Algérie française. Par le biais des réseaux gaullistes, il poussa les généraux d'Alger à soulever l'Armée, au nom de ce principe qu’on disait menacé par le régime tout entier[8].

L’Armée était radicalement hostile à l'indépendance de l'Algérie. Il est vrai qu’historiquement, l'Empire était, dans une large mesure, le « bébé » de l'Armée[9]. Par tradition, pragmatisme ou conviction, les généraux et les colonels étaient majoritairement acquis à l'idée d'Intégration. Poussée par ce réseau politique et de droite et de gauche (ni… ni… ?) qu’on appelait alors le gaullisme, l'Armée se souleva donc en mai 1958 (nom de code : « Opération Résurrection »[10]), et par la bouche de son chef à Alger, Salan[11], réclama le retour de de Gaulle au pouvoir[12].

Dans un premier temps, la IVème République refusa de se soumettre. Les généraux putschistes d’Alger lancèrent alors leurs parachutistes sur la Corse (la Corse tomba sans coup férir, réseaux gaullistes aidant sur place, là encore), avec cette menace implicite : « la prochaine étape sera Paris ». Depuis Colombey, de Gaulle se déclara disposé à prendre les choses en mains. Dos au mur, la IVème République accepta l'offre du Général, satisfaisant ainsi aux desiderata de l'Armée tenue par Salan, ancien d’Indochine, ancien de la France Libre, « l’homme le plus décoré de France »[13].


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Dans le cadre de cette « République de 58 » qui ne se nomme pas encore la Vème, appuyé par l’Armée, le général de Gaulle revenait au pouvoir pour faire l'Algérie française.

Mais une Algérie française bien particulière : une Algérie française où les citoyens musulmans seraient français, c'est-à-dire qu'ils auraient le droit de vote comme tous les Français. Autant dire que le Général prenait la tête d'une révolution. Car comme on l’a dit, l'Armée qui l'avait porté au pouvoir était acquise à l'Algérie française, mais aussi à l'idée d'Intégration[14]. Les discours du Général pendant ses tournées en Algérie abondèrent d'ailleurs dans ce sens.

Le 6 juin 1958, à Mostaganem, le Général lança à la foule qui l’acclamait : « Il faut que toutes les barrières, que tous les privilèges qui existent en Algérie entre les communautés ou dans les communautés disparaissent. Il faut qu'il y ait en Algérie rien autre chose - mais c'est beaucoup ! - que dix millions de Françaises et de Français avec les mêmes droits et les mêmes devoirs. Il s'agit notamment que, dans l’occasion immense qui va être offerte dans trois mois à la totalité des citoyens français, l’Algérie tout entière, avec ses dix millions d'habitants, participe de tout son cœur, comme les autres, exactement au même titre, avec la volonté de démontrer par là qu'elle est organiquement une terre française, aujourd'hui et pour toujours[15]. »

Et le Général joignit les actes à la parole. Dès l'été 1958, de grands travaux en phase avec cet esprit littéralement révolutionnaire furent lancés : construction de 200.000 logements sociaux, création de 8.000 classes d’école pour scolariser les petits musulmans algériens déclarés Français de droit. Lors des législatives de novembre 1958, sur les 68 députés que l'Algérie envoya à Paris, 47 étaient musulmans. Le bachaga Boualam devint vice-président de l’Assemblée nationale[16].


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Paradoxalement, ce programme qui lui avait permis de revenir au pouvoir et qu'il semblait en train d'accomplir, le général de Gaulle y était totalement opposé. Il l'expliqua à l'un de ses proches collaborateurs, en 1959 :

« C'est très bien qu'il y ait des Français jaunes, des Français noirs, des Français bruns. Ils montrent que la France est ouverte à toutes les races et qu'elle a une vocation universelle. Mais à condition qu'ils restent une petite minorité. Sinon, la France ne serait plus la France. Nous sommes quand même avant tout un peuple européen de race blanche, de culture grecque et latine et de religion chrétienne. » « Qu'on ne se raconte pas d'histoires ! (…) Ceux qui prônent l'intégration ont une cervelle de colibri, même s'ils sont très savants[17]. (…) Vous croyez que le corps français peut absorber dix millions de musulmans, qui demain, seront vingt millions et après-demain quarante ? Mon village ne s'appellerait plus Colombey-les-Deux-Eglises, mais Colombey-les-Deux-Mosquées[18] ! »

« Vous les avez regardés, avec leurs turbans et leurs djellabas ? Vous voyez bien que ce ne sont pas des Français ! » confiait, toujours in petto, le général de Gaulle à Alain Peyrefitte, avant d’ajouter : « Essayez d’intégrer de l'huile et du vinaigre. Agitez la bouteille. Au bout d’un moment, ils se sépareront à nouveau. Les Arabes sont des Arabes, les Français sont des Français[19]. »


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Pour le général de Gaulle, l'Intégration était une folie pure et simple. D'autant que les implications d'un tel chambardement eussent aussi touché à la représentation nationale, et au gouvernement :

« Avez-vous songé que les Arabes se multiplieront par cinq puis par dix, pendant que la population française restera presque stationnaire ? Il y aurait deux cents, puis quatre cents députés arabes à Paris ? Vous voyez un président arabe à l’Elysée[20] ? »

Pour convaincre l'Armée de se soulever et de le porter au pouvoir, le Général s'était présenté à Salan (qui se méfiait de lui[21]) comme rallié sinon acquis à l’idée d'Intégration, dans des termes sans doute voisins de ceux-ci : « Nous pouvions conserver dans la France une Algérie, indépendante, sorte de dominion sans apartheid, sans exploitation de l'Arabe par l’Européen, sans favoritisme, sans paternalisme, quelque chose qui n'aurait plus été une province mais un pays libre où deux races auraient pu vivre dans l'égalité sinon dans l’identité, dans la compréhension sinon dans l’amitié, chacun étant citoyen français comme au temps d'Auguste où Grecs, Hébreux, Gaulois, Ibères et Germains étaient, au même titre qu'un Italique, citoyens romains[22]. »

Or, parvenu au pouvoir grâce à l’Armée et au nom d’une certaine idée de la République, le général de Gaulle fit en définitive le contraire de ce qu'il avait annoncé : il dépeça l’Empire au nom d’une certaine idée qu’il se faisait de la France.


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Pour commencer, dans le cadre de la « Communauté française », il accorda aux territoires d’Afrique subsahariennes une autonomie élargie, puis l’indépendance pure et simple. L’Armée ne broncha pas. Nous y reviendrons[23].

Simultanément, à partir de septembre 1959, soit moins d’un an et demi après son retour au pouvoir pour bâtir l’Algérie française de l’Intégration, bien que vainqueur sur le terrain militaire, le Général orchestra l'indépendance des départements algériens. Au mépris des forces pro-françaises d’Algérie, musulmanes ou non, et de plus en plus en lutte ouverte contre elles, il accentua progressivement – et bien sûr secrètement – sa connivence avec le FLN indépendantiste, dont il était en principe le plus grand adversaire[24].

Lorsque la marche vers l’indépendance de l’Algérie ne fit plus aucun doute, l’Armée se souleva (avril 1961, « Putsch des Généraux »), du reste sans trop y croire. Face à ceux qu’il nommait le « quarteron de généraux en retraite [25] », fidèle à l’image qu’il sut toujours donner dans l’adversité, le Général tint bon. Et le putsch se dégonfla de lui-même…


A peine plus d’un an plus tard, en juillet 1962, l'indépendance fut accordée à l'Algérie, Sahara compris[26]. Dans la réalité, l'Algérie, son peuple et ses richesses furent livrés au FLN, qui y fit, immédiatement puis par la suite, beaucoup de dégâts : massacre des Harkis et des musulmans francophiles[27], exode des Pieds-Noirs[28], Kabyles et populations sahariennes persécutées et aliénées, naufrage économique, ultra nationalisme, désastre social, guerre civile[29]


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Revenu au pouvoir pour maintenir l'Algérie française en érigeant une France nouvelle, le général de Gaulle abandonna finalement l'Algérie ainsi que la quasi-totalité des territoires d’Afrique saharienne et subsaharienne, au nom d'une France dont la vraie nature était, selon lui, « de race blanche, de culture grecque et latine et de religion chrétienne ».

Tous ces abandons, il les justifia officiellement par le « Droit des peuples à disposer d'eux-mêmes », alors même que les peuples en question, et leurs élites, attendaient de lui tout autre chose, pour ne pas dire le contraire.






La IVème République


Demain, nous serons tous les indigènes
d’une même Union française.

Robert Delavignette[30]



Après la Seconde Guerre mondiale, un grand soulèvement ensanglanta Madagascar (1946-1947)[31]. Des troubles éclatèrent à partir de 1946, notamment en Côte d’Ivoire[32], mais aussi au Cameroun, en Guinée, au Togo…

Face à la multiplication de ces troubles, la IVème République réagit en maniant le bâton de la répression et la carotte des réformes.

Les colonies d’Afrique noire virent leur sort grandement amélioré, grâce notamment aux communistes français qui, dans l’immédiat après-guerre, participèrent aux gouvernements[33]. Ainsi, l’« Union française » remplaça l’« Empire », et nombre de revendications, portées par des représentants africains (Lamine Guèye, Félix Houphouët-Boigny, Léopold Sédar Senghor…) obtinrent satisfaction. Le travail forcé fut ainsi abrogé (Loi Houphouët-Boigny, 1946), tout comme le statut de l’indigénat (Loi Lamine Guèye, 1946). Parallèlement, les investissements consacrés au développement de l’outre-mer connurent un véritable « boom » (dans le cadre du FIDES), tandis que les Africains étaient associés de façon croissante à la gestion des territoires. Cette stratégie porta ses fruits[34], les nationalistes durs étant en réalité très minoritaires en Afrique subsaharienne, et les sentiments francophiles vivaces[35].

Mais tout au long de la période (1945-1958), cet assouplissement connut toutefois une limite infranchissable : l’octroi de la citoyenneté française, et donc de l’égalité politique, aux « citoyens de l’Union française ».

Le préambule de la Constitution de 1946 disait clairement :

« Fidèle à sa mission traditionnelle, la France entend conduire les peuples dont elle a pris la charge à la liberté de s’administrer eux-mêmes et de gérer démocratiquement leurs propres affaires »[36].

Programme honorable en apparence, mais qui dissimulait en réalité une préoccupation qu'un ancien ministre socialiste de Léon Blum, Jules Moch, avait bien résumée en juillet 1944 :

« Je n’admets pas que des délégués français soient mis en minorité par des chefs nègres (…) ; je suis hostile à donner les mêmes droits aux chefs nègres et aux représentants français (…). Je ne veux pas que la reine Makoko puisse renverser le gouvernement français[37]. »

Ainsi, tout en affirmant que « le peuple français proclame à nouveau que tout être humain, sans distinction de race, de religion ni de croyance, possède des droits inaliénables et sacrés[38] », la France ne consentit à accueillir que 23 députés africains à l’Assemblée, alors que la population des territoires d’Afrique s’élevait à environ 30 millions d’habitants. Tandis que la France métropolitaine élisait quelque 550 députés, pour environ 45 millions d’habitants…


Mais c'est que, parmi les politiques français, à droite aussi bien qu'à gauche[39], « bien peu étaient prêts à admettre à l'Assemblée nationale 300 députés noirs et arabo-berbères[40] ».

Pendant la période 1945-1958, les représentants africains furent ainsi confrontés à une République étrange : d’un côté, les autorités françaises procédèrent à toutes sortes de concessions administratives et financières par décentralisations successives afin de consolider l’Union en distribuant rôles et responsabilités aux « citoyens de l’Union[41] », mais elles refusèrent obstinément d’accorder l’égalité politique aux masses africaines, bien que cette égalité fût leur principale revendication.

Tous les édifices constitutionnels qui se succédèrent durant la période (l’« Union française » de 1946, la loi-cadre Defferre de 1956 et la « Communauté française » de 1958), furent ainsi marqués par une surenchère décentralisatrice puis autonomiste, tandis que les Africains demeurèrent inexorablement privés de vrai droit de vote : ils envoyaient peu ou pas de députés à Paris.

Citoyens fantoches, les Africains n'avaient aucune influence sur les hautes destinées de l’Union dont ils faisaient pourtant partie, pas plus qu’ils n’en eurent d’ailleurs sur celle de la Communauté lancée par le général de Gaulle en 1958 : les Affaires étrangères, la Monnaie, la Défense… en somme tous les ministères « régaliens » de l’Etat, demeurèrent le domaine réservé, de facto, du président de la République et de ses représentants[42]. Bien entendu, le chef de la Communauté, à savoir le président de la République française, demeura élu essentiellement par des représentants du « peuple français »[43].


* * *

Tandis que les masses africaines ne pouvaient influer sur les hautes destinées de l’Union, les territoires africains acquirent progressivement un statut de territoires autonomes (dont le coup d’envoi fut donné par la loi-cadre Defferre, dès 1956). Séduisante contrepartie, les leaders africains se trouvèrent naturellement investis de responsabilités sans cesse accrues. Tout au long du ballet constitutionnel qui se joua dans les années 1950, la France élargit sans cesse le pouvoir local outre-mer, et combla ses féaux d’honneurs individuels, qu’ils goûtèrent sous les ors des palais français, outre-mer ou en métropole. Quel homme (politique) ne s’accommode du voluptueux exercice du pouvoir, de ses prestiges et de ses luxes ? Quelle âme intègre rejette titres ronflants, médailles sonnantes et trébuchantes, lorsque la France trace sous ses pieds les frontières d’un pays qu’elle dépose, merveille des merveilles, entre ses mains ?

Pourtant, en dépit de toutes ces séductions, la plupart d’entre ces leaders demeurèrent indéfectiblement hostiles au « divorce » franco-africain. Houphouët, M’Ba, Zinsou, Guèye…

Mais le Général finit tout de même par trouver la solution…








Un homme d’Etat ne devrait
jamais mentir au peuple.

Charles de Gaulle[44]



Lorsque de Gaulle est propulsé avec les pleins pouvoirs chef de la République « intégrationniste » de 58, il s’attelle naturellement à la question africaine.

Tout comme le Front Populaire quelque vingt ans plus tôt, le retour au pouvoir du général de Gaulle en mai 1958 souleva une formidable vague d’espoir en Afrique noire : la France semblait décidée, par la force de son armée touchée par la grâce, à se doter d’une constitution réellement égalitaire ! L’Union française n’avait été qu’un opéra de quat’sous orchestré maladroitement par l’indécise IVème République, une piteuse comédie du faux amour émaillée de sourires blancs feints et de risettes noires gênées : en août 1958, enterrant ce régime pusillanime aux inavouables réticences, de Gaulle annonça une « aube nouvelle ».

Il fallut, une dernière fois, déchanter…


* * *

Comme on l’a vu, le Général n’est pas le révolutionnaire intégrationniste dont il joue le rôle pendant ses tournées en Algérie (« il n’y a ici qu’un seul peuple »). Au contraire, il est radicalement opposé à l’Intégration. Bombardé chef de l’Etat par l’Armée pour maintenir l’Algérie française, « le plus illustre des Français » va donc commencer par déposer le fardeau de l’Afrique noire…

Le Général l’expliqua à Alain Peyrefitte, en juillet 1962 :

« Vous croyez que je ne le sais pas, que la décolonisation est désastreuse pour l'Afrique ? (...) Qu'ils vont connaître à nouveau les guerres tribales, la sorcellerie, l'anthropophagie ? (...) Que quinze ou vingt ans de tutelle de plus nous auraient permis de moderniser leur agriculture, de les doter d'infrastructures, d'éradiquer complètement la lèpre, la maladie du sommeil, etc. C'est vrai que cette indépendance était prématurée. (...) Mais que voulez-vous que j'y fasse ? (...) Et puis (il baisse la voix), vous savez, c'était pour nous une chance à saisir : nous débarrasser de ce fardeau, beaucoup trop lourd maintenant pour nos épaules, à mesure que les peuples ont de plus en plus soif d'égalité. Nous avons échappé au pire ! (...) Au Gabon, Léon M'Ba voulait opter pour le statut de département français. En pleine Afrique équatoriale ! Ils nous seraient restés attachés comme des pierres au cou d'un nageur ! Nous avons eu toutes les peines du monde à les dissuader de choisir ce statut. Heureusement que la plupart de nos Africains ont bien voulu prendre paisiblement le chemin de l'autonomie, puis de l'indépendance[45] ».

Mais en 1958, le Général ne peut pas appliquer d’emblée ses idées : non seulement les « veaux[46] » ne comprendraient pas[47], mais de leur côté « nos » Africains seraient bien capables de regimber, bêtement acquis à l’idée d’Intégration (voire d’Assimilation…), et agrippés à notre prospérité ; et puis surtout l’Armée, à qui le Général doit son retour au pouvoir, risquerait de mal le prendre. Sans parler de son propre entourage…

« (…) Vous croyez que je pouvais faire du jour au lendemain ce que je voulais ? Il fallait faire évoluer peu à peu les esprits. Où en était l’armée ? Où en était mon gouvernement ? Où en était mon Premier ministre ? (…)[48] »

Car dans cette affaire, ayant dû prétendre le contraire de ce qu'il pensait pour revenir au pouvoir, de Gaulle se retrouvait entouré de nombreux partisans de l'Algérie française, à commencer par son Premier ministre, Michel Debré[49]. Pour réaliser ses desseins, il lui fallait donc berner non seulement ses adversaires, mais aussi ses alliés. Sous couvert de chercher à bâtir la Communauté française, il se livra alors, en dix-sept mois, à sa destruction, bien qu’il en fût, en principe, le garant suprême.

L’une des pages les plus étonnantes de l’Histoire de France s’écrivit alors, effarant épisode que les manuels scolaires de la Vème République oblitèreront consciencieusement…


Nous avons attendu la fiancée,
un bouquet de fleurs à la main ;
elle n’est pas venue,
les fleurs se sont fanées.

Félix Houphouët-Boigny[50]



La « Communauté française » qui naît fin 1958 sous la houlette du général de Gaulle est extraordinaire. Comme le dit Charles-Robert Ageron, « c’est la constitution la plus progressiste qu’on eût pu rêver[51] ». D’abord et surtout parce que nul n’était tenu d’y adhérer. C’était à prendre ou à laisser. Libre aux Africains de demeurer liés à la France dans ce cadre, ou de prendre purement et simplement leur indépendance. Pour cela, il suffisait de répondre « non » au référendum[52]. C’est ce que fit d’ailleurs la Guinée de Sékou Touré[53].

En quoi consistait cette « Communauté française » proposée par de Gaulle, que la Guinée rejeta d’un « niet » retentissant, mais à laquelle 85 % des Africains répondirent « oui » lors du référendum de 1958 ?

Loin d’être une « aube nouvelle », la Communauté reprenait en réalité les grands principes de la loi-cadre Defferre de 1956, en portant à son maximum la décentralisation des « Territoires » qui devenaient des « Etats », en accédant à une autonomie élargie. Ils s’administraient dorénavant eux-mêmes, et géraient « librement leurs propres affaires », selon les termes de la Constitution, qui reprenait d’ailleurs, une nouvelle fois, les termes du préambule de la Constitution de 1946 et l’esprit du discours de Brazzaville[54].

Quel sort la constitution de la Communauté réservait-elle aux ministères « régaliens » de l’Etat (Affaires étrangères, Défense, Monnaie…), dont les « chefs nègres[55] » et leurs électeurs demeuraient écartés depuis 1945 ? Seraient-ils, en quelque manière, dans les mains de tous les électeurs de cette nouvelle « Communauté » ? Les « chefs nègres », devenus chefs d’Etats, seraient-ils enfin considérés comme des égaux, c’est-à-dire associés à l’exécutif en ces domaines cruciaux ?

La Constitution de la Communauté ménagea l’ambiguïté sur ce point, stratagème qui permit aux Africains d’accepter d’y adhérer, « pour voir » comme on dit au poker[56].


* * *

La Communauté était composée de Républiques autonomes, avec institutions, exécutif, législatif, justice, système scolaire propre… L’accès aux fameuses « fonctions régaliennes », ces grands ministères, cette quintessence du pouvoir auquel le politicien blanc ne voulut jamais ouvrir l’homme noir que par exception[57], était accordé aux Africains par le biais du Conseil de la Communauté.

Ce Conseil devait réunir, à échéance régulière, les ministres chargés desdits grands ministères de l’Etat, Affaires Etrangères, Défense, Monnaie… tous blancs, et les chefs noirs des différents Etats de l’Union. Le président de ce Conseil étant, bien entendu, le président français.

Les séances du Conseil n’eurent lieu qu’à six reprises en un an, au rythme d’une tous les deux mois. Par la suite, on jugea plus opportun de les supprimer, sans justification particulière, sinon qu’elles devaient être inutiles…

C’est une vieille recette blanciste[58] : accorder aux « indigènes » – pardon, aux « citoyens de la Communauté française » – un rôle consultatif, c’est-à-dire dérisoire. Créer des Assemblées solennelles mais sans pouvoir, le « Nègre » étant réputé se contenter de palabres passionnées qu’il faut feindre d’écouter avec le plus grand intérêt, avant de l’enorgueillir de souverainetés fantoches. En l’occurrence, les « Nègres » s’appelant Léopold Sédar Senghor, Félix Houphouët-Boigny ou Modibo Keita, ils ne furent pas dupes, et constatèrent bien vite (ce n’était du reste pas une surprise…) que ces rares rencontres étaient exclusivement décoratives.

Qui osera imaginer le climat qui régna durant ces six séances du Conseil de la Communauté, entre les représentants blancs et les représentants noirs de cette nouvelle France qui refusait de naître, déchirée sur l’autel de cette conception étrangement essentialiste de la francité, qui présidait au grand éclatement ?


* * *


A ce stade, de Gaulle sait que les Africains sont à bout d’exaspération – en particulier Senghor, venu de ce Sénégal qui a tant donné à la France, et si peu obtenu en retour[59]. Mais de Gaulle n’en a cure. Il se réjouit plutôt de voir s’avancer la rupture, puisqu’un départ de « nos Africains » comblerait ses projets, en libérant la France de cette orgie de « bougnoulisation »[60] que lui prépare Houphouët-Boigny, avec ses rêves absurdes d’une fédération franco-africaine, d’une immense « Françafrique » érigée comme une arche sur deux continents complémentaires faits pour vivre ensemble dans l’échange et le mélange de leurs génies respectifs.

Senghor, qui avait tenté en vain de grouper autour du Sénégal dont il était le chef la plupart des Etats de l’AOF – Houphouët parvint à contrecarrer ses projets[61] – réussit tout de même à s’allier à Modibo Keita, lui aussi de guerre lasse[62], pour fédérer son pays avec le Soudan, et former la Fédération du Mali.

Le 28 septembre 1959, lors d’une audience secrète, accompagné de son homologue soudanais, Senghor informa de Gaulle de leur désir commun d’accéder à l’indépendance – précisant que Keita pas plus que lui-même n’entendait par ce geste rompre avec la France. Contre l’avis d’autres chefs d’Etat africains, en particulier d’Houphouët le fédéraliste, de Gaulle transgressa les prérogatives et les devoirs inhérents à sa fonction de président de la Communauté, et accepta le principe de l’indépendance.

De ces négociations très privées entre de Gaulle, Senghor et Keita, il ressortit donc que la « Fédération du Mali », regroupant le Sénégal et le Soudan français, serait effectivement indépendante.

Mais – et la nuance est d’importance – cette Fédération continuerait de toucher non seulement l’aide financière que les deux Etats (Sénégal et Soudan) avaient reçue jusque-là en tant que membres de la Communauté, mais mieux encore, elle en recevrait davantage[63]...

L’attitude du président de Gaulle tranchait avec l’intransigeance qu’il avait affichée seulement un an plus tôt à l’égard de la Guinée de Sékou Touré. Cette fois-ci, loin de couper tous les ponts avec le nouvel Etat souverain, il lui accordait une véritable « prime à l’indépendance ». Autant dire que le Général encourageait la désintégration de la Communauté à coups de millions de francs… Mais il est vrai que dans cette affaire, les principaux objectifs de l’habile stratège n’étaient pas financiers, du moins pas à court terme…


* * *


Sénégal, Soudan.

Mis devant le fait accompli, Houphouët-Boigny n’en crut pas ses oreilles. Par son machiavélique arrangement avec Senghor et Keita désormais chefs d'Etats indépendants, voici que de Gaulle l’acculait, mine de rien, à quitter la Communauté française !

Car bien entendu, l’affaire avait fait grand bruit dans le Landerneau planétaire. L’accession de la Fédération malienne à l’indépendance valut bien sûr aux nouveaux chefs d’Etats souverains les honneurs du grand monde[64]. Américains en tête, la planète diplomatique entière fit caisse de résonance pour féliciter et saluer avec déférence les nouveaux peuples libres, et accueillir et applaudir leurs présidents et représentants dans les plus hautes instances internationales. De Washington à Moscou en passant par Le Caire et Pékin, dont la grande thèse commune dans ces événements triomphait, un consensus mondial chanta les louanges de ces libérateurs et de leurs peuples, enfin parvenus à l’indépendance tant désirée. Et la France acquiesçait et applaudissait aussi…


* * *

En Afrique, le Général ne l’ignorait pas, les indépendantistes gagnaient chaque jour du terrain. Les facteurs étaient nombreux, à l’intérieur comme à l’extérieur, qui en favorisaient de mille façons les progrès : les propagandes américaine, soviétique, vaticane[65], activement relayées par les syndicats et certains des plus grands intellectuels français ; le contexte international, Bandoung, l’ONU, les non-alignés, abondant dans le même sens ; les bas instincts des extrémistes (pas davantage que les Blancs ou les Arabes, les Noirs ne sont vaccinés contre le racisme et le nationalisme, et les appétits individuels pour le pouvoir)…

Toutes ces forces, de façon plus ou moins ouverte et concrète, favorisaient l’indépendantisme. A se montrer d’arrière-garde sur cette question majeure, son rival de toujours Senghor étant désormais président du Mali indépendant, Houphouët s’exposait désormais à se faire déborder sur sa droite aussi bien que sur sa gauche…


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En accordant l’indépendance à la Fédération malienne dans des conditions inouïes, de Gaulle savait très bien qu’il plaçait Houphouët en porte-à-faux et le contraignait à la sécession. Aussi ne s’étonna-t-il pas lorsque le Président ivoirien vint le voir pour lui annoncer sèchement qu’il avait fixé lui-même, avec ses collègues nigérien, voltaïque, dahoméen, les dates respectives des indépendances, au rythme d’une toutes 48 heures, pendant huit jours, en ce début d’août 1960. La France pouvait se le tenir pour dit. Le Général ne broncha pas.

Côte d’Ivoire, Dahomey, Niger, Haute-Volta.

L’AOF ainsi partie pour enfin vivre dans la dignité qu’apporte la liberté[66], l’AEF, particulièrement indifférente jusque-là à l’idée d’indépendance, entra à son tour en négociation, prise dans ce mouvement où le Général était comme un poisson dans l’eau. A tel point que ceux-là mêmes qui ne voulaient à aucun prix entendre parler d'indépendance, tel Léon M'Ba pour le Gabon, finirent par plier[67].


Tchad, République Centrafricaine, Congo, Gabon. Avant la fin de l’année 1960, la Mauritanie, devenue une incongruité politique, accéda à l’indépendance…

Prestige, pouvoir, argent... Les chefs d’Etats africains avaient apparemment tout à gagner à l'indépendance. Et leurs peuples ?

En tous cas, ceux-ci ne furent même pas consultés[68], puisque le président de la Communauté en personne, Charles de Gaulle, n’y voyait guère d’inconvénient, tout heureux de se découvrir l’âme d’un libérateur des peuples, sommité de stature historique, guide visionnaire ayant fait corps avec l’esprit de son temps.


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Lorsqu’il alla voir de Gaulle pour prendre congé, Houphouët agit la mort dans l’âme et ne s’en cacha pas. Lui dont la carrière politique avait été une lutte acharnée pour préserver l’unité des deux faces de la France, l’africaine et l’européenne, la noire et la blanche, il achevait le démembrement de la République. Lui qui avait combattu les tentations d’abandon et les mépris infinis que nourrissaient tant de politiciens blancs d’alors, il jouait finalement leur plus audacieuse partition, et participait activement à un événement qui, en anéantissant son idéal, sonnait comme le grand échec de sa vie[69].


* * *

Alors Félix Houphouët-Boigny rentra chez lui. Il s’adressa à son peuple, et lui annonça que la Côte d’Ivoire allait enfin pouvoir voler de ses propres ailes. Et le peuple ivoirien acclama la Liberté, la patrie ivoirienne et le grand bienfaiteur de Gaulle, sous une pluie de confettis[70].



Prisonniers noirs, je dis bien prisonniers français,
est-ce donc vrai que la France n’est plus la France ?
Est-ce donc vrai que l’ennemi lui a dérobé son visage ?

Léopold Sédar Senghor[71]



Charles de Gaulle et l’idéologie de la Vème République[72] ont cherché à oblitérer tout un pan de la sensibilité française et de l’Histoire de France. A oblitérer, aussi, tout un pan de la sensibilité et de l’Histoire de l’Afrique subsaharienne et du Maghreb[73]. Une histoire fraternelle, où le sentiment d’appartenance à la France transcendait races et cultures, et se sublimait en une volonté ardente de construire une nation dépositaire d’un idéal traversé de l’esprit des Lumières.

C’est là que gît le grand scandale : en organisant l’amnésie pour assurer sa victoire, en promouvant la vision exclusive et pernicieuse d’une France « avant tout de race blanche, de culture grecque et latine et de religion chrétienne », cette idéologie s’est opposée radicalement aux valeurs de la France moderne et contemporaine, fille de la Révolution de 1789[74].

Certes, les valeurs de la France moderne (liberté, égalité, fraternité, et laïcité) sont incontestablement tributaires des facteurs qui composent le socle français (du moins culture et religion). Mais l’originalité radicale de ces valeurs est, précisément, d’appeler au dépassement de ces facteurs par l’avènement de la Nation multiraciale (ou plutôt antiraciste, puisque la République ne connaît pas de race) et pluri-religieuse (ou plutôt laïque, puisque la République proclame la liberté de conscience) voire multiculturelle (à condition que les cultures ne prétendent pas opposer leurs propres valeurs à celles de la République). Ce dépassement est rendu possible par l’adhésion des citoyens, quelles que soient leurs cultures, leurs religions ou leurs races, aux valeurs de la République. C’est précisément ce dépassement que les anti-intégrationnistes, en particulier le général de Gaulle, jugèrent insensé.


* * *

Conscients que le peuple français, dans sa majorité, ne pouvait accepter le credo gaullien, les anti-intégrationnistes ont estimé habile d’utiliser comme un paravent les formules simplificatrices mises au point par les Etats-Unis et l’Union Soviétique. C’est ainsi que des formules telles que : « Prenant soudain conscience du sens de l’Histoire, la France a choisi de rendre leur liberté aux peuples colonisés et spoliés de la citoyenneté, en leur accordant l’indépendance qu’ils réclamaient » devinrent des lieux communs du discours officiel français.


* * *

On aurait pu en rester là, mais on alla plus loin. Par la suite, au lieu de se donner le beau rôle en se contentant, comme l’avait fait le Général, de reprendre la séduisante formule du « droit des peuples à disposer d’eux-mêmes[75] », la Vème République exalta – jusqu’à l’affabulation – la révolte des peuples colonisés et leurs revendications indépendantistes. « Victimes d’une colonisation en soi inique, les peuples colonisés asservis se sont révoltés contre l’oppresseur étranger (la France) » répéta inlassablement la doxa.

Par un mouvement singulier, la France se donna a posteriori le mauvais rôle, celui de la mégère impérialiste congédiée la queue entre les pattes. Pour ce faire, une histoire incroyablement manichéenne fut répandue, qui non seulement trahit la réalité des consciences, mais surtout – effet pervers du mensonge simplificateur – rend la « douceur angevine » détestable aux yeux de nombre de ses citoyens, en particulier ceux d’origine maghrébine ou africaine, à qui fut apprise par cœur la prétendue révolte (la « haine ») de leurs peuples contre la France.

A cette singulière dérive, à cette mémoire artificielle, plusieurs explications.

Il convenait, d’une part, de dissimuler que l’Afrique et ses peuples furent abandonnés par la France pour des raisons sordides, entre mépris racial, défiance civilisationnelle, et calculs financiers. Il fallait, d’autre part, convaincre une métropole parfois nostalgique de sa grandeur impériale qu’elle n’avait rien à faire en Afrique, en la persuadant qu’à force de s’y être conduite de façon infâme, elle y était détestée et en avait été chassée par les peuples hostiles. Il s’agissait, enfin, de dissuader les Africains de regretter la France : les nostalgies francophiles n’étant pas rares en Afrique, il était indispensable de conjurer toute velléité de « retour en arrière », de réintégration dans une Communauté ou une Union française, cette fois réellement démocratique et républicaine, et par conséquent lourde en dangers de métissage. On verra plus loin qu’en dépit de cette propagande, il arriva que de tels phénomènes se produisent tout de même en terre africaine, avec une ampleur parfois stupéfiante[76]

Répondant à cette triple exigence, les discours élaborés pour abattre l'Empire français continuèrent donc d'être à la mode pendant des décennies après la fin de l’Empire ; dans les années 1970, 80, 90… les « luttes pour l’indépendance » furent inlassablement exaltées et mythifiées, la révolte des peuples contre la France grossie voire inventée de toutes pièces. Enfin et surtout, l’attachement, dans sa profondeur et sa complexité, qu’éprouvaient bien des Africains et des Maghrébins pour la France et la République, ce que l’on pourrait appeler le patriotisme afro-français, fut l’objet d’une véritable omerta.


* * *

Davantage que l’effet d’une mauvaise conscience française cherchant à se racheter par l’autocritique, le dénigrement systématique de l’entreprise coloniale permit surtout, dans les faits, de justifier la décolonisation, tout en interdisant toute remise en question du phénomène.

En suivant cette logique négative, la France refoula donc tout un pan de sa propre histoire.

Rétrospectivement, elle se mit à dénigrer sans nuance son entreprise coloniale, non seulement dans ses applications, mais dans son esprit même. L’ambition affichée par la IIIème République – « apporter la Lumière au monde colonisé », Liberté, Egalité, Fraternité, puis Laïcité, Droits de l’homme, Démocratie, Vertu et Valeurs républicaines, etc. – devint ainsi soit la marque d’une insupportable prétention, soit une obscène hypocrisie, voire le moment de la plus extrême violence morale…

Ce qui avait été le modèle politique (on l’a vu, jamais pleinement assumé dans les faits) dont la France républicaine universaliste aurait pu faire, avec l’accord et l’appui enthousiaste d’une grande partie des peuples colonisés, son cheval de bataille et le fondement de sa puissance, ce modèle fut relégué au cimetière des idées sales et des élucubrations funestes. Le programme officiel de la IIIème République coloniale, qui avait été salué par bien des « indigènes » et les avait conduits à aimer la France et à en revendiquer la citoyenneté, devint sous la Vème République tantôt une hérésie de la pensée, tantôt une imposture impérialo-capitaliste, dont il convenait, en toute hypothèse, de célébrer la chute.

Une manipulation historique aussi retorse que périlleuse serait incompréhensible si nous n’avions déjà à l’esprit les vraies causes de la décolonisation. Cet arsenal argumentatif « abracadabrantesque », entre auto-flagellation et haine de soi, refoulement de l’amour de l’autre, visait, on l’a vu, à occulter des mobiles inavouables, autant qu’à assurer la pérennité de la décolonisation elle-même, par la guérison des colonisés de leur attachement à la France, et en vaccinant contre elle, à tout jamais, leurs descendants.

Il était peut-être, aussi, le philtre indispensable au lavage de cerveau des hommes politiques et des intellectuels français, mais aussi du peuple métropolitain lui-même, tout emplis d’amers remords et de velléités de repentance, conscientes ou inconscientes…


* * *

Dans les années 1950, sous le feu conjugué d’une propagande au service d’intérêts impérialistes concurrents – surtout, en dernière analyse, anglo-saxons et soviétiques[77] –, c’est bien un composé complexe et largement anti-républicain, français quoique indigne de la France, de son peuple et de ses valeurs républicaines, qui détruisit « une certaine idée de la France », en rencontrant la volonté d’un homme prestigieux dont les idées, avec le recul d’un demi-siècle, paraissent à vrai dire bien archaïques[78]


Notre peuple mérite qu’on se fie à lui
et qu’on le mette dans la confidence.

Marc Bloch[79]



Dans une démocratie, les choix d’un chef d’Etat ne sont tolérables que dans la mesure où le peuple s’enthousiasme ou du moins souscrit, par delà les efforts à consentir. Un peuple hostile à l’Intégration, un peuple refusant de voir comme son compatriote un Africain ou un Maghrébin, un tel peuple aurait pu se féliciter d’avoir un chef comme le général de Gaulle. De la même façon, si les peuples d’Afrique avaient été majoritairement favorables à l’indépendance de leurs territoires, s’ils avaient massivement rejeté la citoyenneté française, les choix du président de Gaulle auraient été démocratiquement justifiés et respectables.

Or dans cette grande affaire que fut la décolonisation, le déni démocratique prévalut fondamentalement. On a vu plus haut que les Français furent toujours majoritairement hermétiques au racisme, s’ils n’étaient pas aveugles aux races. Leur position au sujet de l’Intégration confirme cette orientation idéologique. Selon un sondage réalisé en 1946, en métropole, « 63 % des Français (contre 22 %) se déclaraient favorables à l’extension de la citoyenneté à toutes les populations d’outre-mer[80] ». De la même manière, l'opinion dans les territoires d’outre-mer était ardemment demandeuse de citoyenneté française et d’Intégration. C’est bien pour cette raison que la Constitution de la Communauté française fut amendée (une loi fut votée dans l’urgence en mai-juin 1960), pour permettre aux Etats d’accéder à l’indépendance sans consulter les peuples, contrairement à ce que prévoyait jusque-là la Constitution[81]

Il est un amer et froid constat : touchant à l’indépendance des Etats d’Afrique noire, ni les peuples d’Afrique ni le peuple de métropole ne furent consultés. Parce que l’opinion « hexagonale » comme l’opinion africaine était favorable à l’Intégration, abstraction fut faite de l’avis des peuples.


* * *

Mais il y a plus grave encore.

Si toutes ces manipulations, si tous ces manquements à la démocratie avaient permis, dans les faits, sinon de satisfaire la volonté des peuples, du moins de mettre un terme au scandale du colonialisme, sans doute y aurait-il matière à se féliciter des choix du Général.

Or la décolonisation française, sur fond de trahison démocratique et de putschs militaires, loin de mettre un terme au colonialisme, fut en réalité le meilleur moyen de le faire perdurer. Paradoxalement, et en dépit des trompe-l’œil sémantiques, la « décolonisation » visa à prolonger le colonialisme, en permettant le maintien de l’exploitation par la métropole de ses colonies africaines.

De la même façon et très concrètement, elle empêcha aussi que les peuples colonisés accèdent enfin à la liberté par la démocratie dans l’espace républicain.

De ce point de vue, dans ses fondements aussi bien que dans ses objectifs, non seulement la décolonisation n’en fut pas une, mais elle fut en définitive très exactement le contraire.


* * *

Un demi-siècle plus tard, en l’an 2005, les décisions de Charles de Gaulle, dont les motivations fondamentales furent tenues secrètes, sont lourdes de conséquences pour la société française. Car ce refus de l’Intégration des « indigènes » que fut, essentiellement, la décolonisation gaullienne – bien davantage que la satisfaction de la volonté des peuples –, ainsi que les méthodes employées pour atteindre ses buts, rend naturellement très difficile l’intégration de leurs descendants dans la France d’aujourd’hui.

En effet, c’est précisément parce qu’ils adhèrent (sans le savoir) à l’idéologie gaullienne de la Vème République, cette lecture partielle et partiale de l’Histoire, cette « exclusive pernicieuse » qui ne souffre aucune nuance ni contradiction, que les « jeunes » des banlieues, descendants des « indigènes » de l’Empire, ont tant de mal à se sentir Français, au point, parfois, de haïr la France.

C’est parce qu’ils sont pétris de propagande gaullienne[82] qu’ils affichent, au sujet de la décolonisation, des opinions qui divergent radicalement de celle que nourrirent jadis leurs grands-parents. Pour cette raison, aussi, qu’ils applaudissent à l’indépendance de l’Afrique et ne se sentent pas de France, conformément aux vœux et convictions du général de Gaulle.



Extraits de Histoire occultée de la décolonisation franco-africaine, Imposture, refoulements et névroses, d’Alexandre Gerbi, Ed. L’Harmattan, 2006.





[1] Anne-Proserpine Diop, Commémorations de Mai 68 : Opération Anti-Sarkozy ou Ecran de fuée ? Afrique Liberté annonce la couleur, 23 mars 2008, et Simon Mougnol, Célébrations de Mai, 2 avril 2008.
[2] Les motifs particuliers des uns et des autres pouvant, bien sûr, être fort divers… A titre d’exemple, l’ancien gouverneur Louis Sanmarco peut ainsi expliquer à Samuel Mbajum : « (…) je vais vous parler d’un historien ivoirien, Tiémoko Coulibaly, qui avait soutenu le 25 avril 1997 à La Sorbonne une thèse qui obtint la mention très honorable. Il en ressortait qu’on leur avait enseigné à l’école que le grand libérateur de l’Afrique avait été Houphouët-Boigny, qui avait mené toute sa vie une lutte acharnée contre le colonialisme. Coulibaly disait ne pas être d’accord avec cette thèse car, ayant lu les archives et relu les discours d’Houphouët, il s’était rendu compte que ce dernier avait été plutôt un collaborateur du régime colonial. Il avait été ministre dans presque tous les gouvernements de la IVe République. Il avait été ministre du général de Gaulle, et il avait participé à la rédaction de la Constitution de 1958, et on osait dire à l’opinion qu’il avait opposé une résistance vigoureuse, permanente et finalement victorieuse contre l’oppression française ? Allons ! Allons ! Pour cette « hérésie », Tiémoko Coulibaly avait dû s’exiler aux Etats-Unis … Ecoutez, je les comprends quelque part. Pour créer un pays, il faut des mythes… On refait l’histoire comme on peut. Voyez ce que faisaient Staline et les dirigeants soviétiques avec les apparatchiks qu’on gommait après coup des photos officielles après leur perte d’influence dans le Parti… », in Entretiens sur les non-dits de la décolonisation, Ed. de L’Officine, pp. 69-70.
[3] Sur son site Afrique Debout, Samuel Mbajum note : « (…) la publication du livre d’Alain Peyrefitte, C’était de Gaulle, aurait pu, aurait même dû (compte tenu de la densité des informations qu’il apportait sur cette période) avoir un retentissement certain et provoquer dans l’opinion un débat utile et purificateur. Or il n’en fut rien, alors que cet ouvrage faisait des révélations troublantes. Je suis convaincu que si tout avait été fait pour amener le grand public, aussi bien en France qu’en Afrique, à s’y intéresser vraiment, cela aurait probablement provoqué dans l’opinion, un débat direct et franc ; de part et d’autre on aurait pu transcender les motivations profondes qui avaient contraint ( ?) de GAULLE à pousser hors de l’empire français les pays africains au moment où, en votant « oui » au référendum constitutionnel de 1958, ils ne demandaient qu’à rester « français », en bénéficiant cependant de l’égalité des droits et des devoirs au sein de la République française une et indivisible… ». Lien : http://www.afriquedebout.com/137-pourquoi-le-site-wwwafriquedeboutcom.htm
[4] Voir notamment Pour sauver l’Occident de Simon Mougnol, Ed. L’Harmattan, 2007, Entretiens sur les non-dits de la décolonisation de Samuel Mbajum et du gouverneur Louis Sanmarco, Ed. de L’Officine, 2007, Histoire occultée de la décolonisation franco-africaine d’Alexandre Gerbi, Ed. L’Harmattan, 2006. Mais ces diverses publications n’ont fait que succéder à La Tragédie du Général de JR Tournoux (Ed. Plon, 1967), Le colonisateur colonisé de Louis Sanmarco (Ed. ABC, 1982), C’était de Gaulle d’Alain Peyrefitte (Fayard, 1994), et les nombreux articles de Gilbert Comte sur la question publiés notamment dans Le Monde. Tous ouvrages et travaux parfaitement connus des initiés, tous parfaitement conscient de ce que fut en fait la « décolonisation » de l’Afrique noire par la France : le « largage » de l’Afrique par Paris.
[5] Le livre n’a fait l’objet, en France, d’aucun article dans la presse, malgré l’énergie déployée par le service de presse des éditions L’Harmattan. L’ouvrage a pourtant été jugé suffisamment sérieux pour être acquis par les bibliothèques d’universités telles que Stanford (USA), Heidelberg et Francfort (Allemagne), Lyon III, Toulouse Le Mirail, Sciences Po Toulouse, La Laguna (Espagne), Montréal (Canada), Genève (Suisse), etc., et plus tardivement (en décembre 2007…) par la bibliothèque de Sciences Po Paris.
[6] Selon Alain Peyrefitte, de Gaulle aurait emprunté la formule à Barrès. Voir note 19.
[7] Fin 1957 - début 1958, la IVème République, par la bouche de Pierre Pflimlin, parlait d'ouvrir des négociation avec le FLN, sous les auspices de la Tunisie et du Maroc tout juste indépendants. A l'époque, « la SFIO dénonce invariablement (le) cléricalisme (de Pflimlin), la droite son idéalisme catholique pernicieux qui pourrait mettre en péril l'Algérie française. » rappelle J.-P. Rioux, in La France de la IVème République, pp. 129-130, Ed. Seuil, 1983. Au sein du MRP, le même Pflimlin s’oppose alors à Georges Bidault, partisan de l’Algérie française et acquis à l’idée d’Intégration. Pendant la crise ministérielle qui précède les événements de mai 1958, « le président de la République, M. René Coty, (…) pressent le 20 avril M. Georges Bidault qui, après trois jours d’illusions, doit renoncer devant le désaveu que lui inflige son propre parti, le MRP », sous la houlette de Pierre Pflimlin. In Histoire de la République gaullienne t. I, de Pierre Viansson-Ponté, Ed. Pluriel (Fayard, 1970), pp. 26-27.
[8] « (…) en mars 1958 (…) Pierre Mendès France reçoit une visite qui l’étonne un peu, celle de Michel Debré. Ce sénateur radical, alors réputé pour son attachement fanatique à l’Algérie française aussi bien qu’au général de Gaulle, vient lui proposer de l’aider à faire prévaloir une solution pour l’Algérie : l’ancien chef de la France libre serait rappelé « en mission extraordinaire », doté de pouvoirs exceptionnels, d’un véritable blanc-seing pour une durée de six mois, afin de rétablir la paix en Algérie (Debré ne précisait pas par quels moyens et en vue de quelle solution…). Mendès l’écouta poliment, lui rappela l’admiration qu’il professait pour le général, l’impatience où il était de voir l’Algérie en paix et conclut : « Tout de même, je préfère la République…» » in Pierre Mendès France de Jean Lacouture, Ed. Seuil, pp. 434-435.
[9] Au premier rang des fondateurs conquérants de l'Empire français, deux figures atypiques, Savorgnan de Brazza (voir infra « L'héritage de Savorgnan de Brazza et du roi Makoko ») et Louis Faidherbe. Ce dernier, « républicain (…), sympathisant avec les mouvements antiesclavagistes de surcroît, (...) offre une personnalité complexe, à mi-chemin entre Bugeaud dont il reprit les méthodes et V. Schœlcher avec qui il se lia d’amitié. » in L’Afrique occidentale au temps des Français, Monique Lakroum, p. 164, La Découverte, 1992. « Louis Faidherbe (1818-1889), gouverneur du Sénégal (1854-1861 et 1863-1865), chef militaire et administrateur de haute valeur, il organisa la colonie, pacifia le haut Sénégal, où il (...) reconstruisit Saint-Louis et fut le véritable créateur de la ville et du port de Dakar (1857).» (Larousse) Faidherbe recruta des esclaves qu'il avait affranchis en les arrachant à leurs maîtres africains, et créa le corps des tirailleurs sénégalais, fer de lance de la conquête de la future AOF. Car l’Empire français en Afrique occidentale et saharienne fut en grande partie, aussi, une œuvre sinon de l’Afrique, en tous cas de très nombreux Africains, puisque les troupes qui conquirent la plus grande partie de l’AOF, jusqu’au Maroc, étaient essentiellement composées de soldats noirs.
[10] Le projet d’un « débarquement en métropole (…) avait reçu (…) le nom de code d’ « Opération Résurrection » parce que de Gaulle avait dit à sa conférence de presse du 19 mai que les événements d’Alger pouvaient marquer « le début d’une sorte de résurrection » (…) ». Pierre Viansson-Ponté, Histoire de la République gaullienne, Pluriel (Fayard, 1970), p. 56.
[11] Trois ans plus tard, le même général Raoul Salan fera partie du « quarteron de généraux en retraite » du putsch d’avril 1961, cette fois contre de Gaulle.
[12] A l’époque, seulement 1 % des Français songent au général de Gaulle pour revenir aux affaires, bien loin derrière Pierre Mendès France (26 %).
[13] Un putsch feutré en somme, téléguidé par les partisans de son principal bénéficiaire, de Gaulle, du reste militaire lui-même... A posteriori, Salan déclara avoir été, le 13 mai 1958, « le dupe d’une comédie affreuse et sacrilège ». Cité par P. Viansson-Ponté, Ibid., p. 482. Ancien d’Indochine (1924-1937), Salan a servi comme officier notamment dans la province du Haut-Mékong, où il a travaillé à l’organisation de la région, au contact des populations. Passionné par la langue laotienne et les différents dialectes locaux, il a rédigé à cette époque un dictionnaire de français-laotien. Voir Raoul Salan, Mémoires, Fin d’un Empire, t. 1, 1970, pp. 45 et sq.
[14] A l’époque, « (…) l’idée d’intégration (était) incluse dans celle d’Algérie Française. » note Anne-Marie Duranton-Crabol. Voir « Du combat pour l’Algérie française au combat pour la culture européenne », in La Guerre d’Algérie et les intellectuels français, Ed. Complexe, 1991, p. 67.
[15] Contrairement à ce qu’affirment les partisans du Général, celui-ci prononça bien « Vive l’Algérie Française », à la fin de son discours de Mostaganem, le 6 juin 1962. Comme le rappelle Hélie de Saint Marc : « (…) à Mostaganem, devant une foule à majorité musulmane, ce qu’on oublie trop souvent, j’entendis le général prononcer pour la première fois (et ce sera la seule) un « Vive l’Algérie française ! » dont il était trop fin politique pour ne pas connaître le poids. Trois ans de guerre, sans perspective et sans issue, venaient en trois semaines de basculer dans un espoir fou. » in Les Champs de braises, Ed. Perrin, 1995, pp. 236-237.
[16] Il le resta jusqu’en 1962…
[17] « Ceux qui prônent l’intégration ont une cervelle de colibri, même s’ils sont très savants ». Et Peyrefitte de commenter : « Il doit penser à Soustelle », op. cit., p. 52, Soustelle, ancien Gouverneur général de l’Algérie et ardent partisan de l’Intégration, étant aussi un éthnologue spécialiste des civilisations précolombiennes. Mais de Gaulle pensait aussi, peut-être, à Claude Lévi-Strauss. Voir supra « La cause fondamentale ».
[18] Alain Peyrefitte, C’était de Gaulle, Ed. Fayard, 1994, p. 52.
[19] Cité par Alain Peyrefitte, in C’était de Gaulle, p. 52.
[20] Charles de Gaulle, cité par Alain Peyrefitte, in C’était de Gaulle, p. 56. Peyrefitte biffe-t-il la terminologie exacte du Général ? Selon d'autres (et nombreuses) sources, le vocabulaire du grand homme n’était pas toujours aussi châtié : « Nous aurions cinquante bougnoules à la Chambre » aurait-il expliqué à Albert Camus qui réclamait une politique de justice et de démocratie, in Albert Camus, une vie, Olivier Todd, Ed. Gallimard, p. 712. En tous cas, sur ce point, les convictions du Général rejoignaient celles de l’extrême droite. Ainsi Maurice Bardèche au sujet de l’Algérie : « Une autre chose m’a découragé. C’est la proposition qu’avait faite Jacques Soustelle (…) quand il a parlé d’intégration. L’idée qu’on devait intégrer les Algériens en en faisant des citoyens à part entière me paraissait une folie pure (…) dont les développements dans le futur me paraissaient extrêmement graves. » Et Jean Mabire : « Je dois dire que cette solution, avec ses perspectives hardies d’intégration et le galopant lapinisme de nos frères musulmans, me paraissait conduire plus rapidement qu’on ne le croit à la France algérienne. » Cités par Anne-Marie Duranton-Crabol, « Du combat pour l’Algérie française au combat pour la culture européenne » in La Guerre d’Algérie et les intellectuels français, Ed. Complexe, 1991, p. 67. Le général de Gaulle s'est largement nourri des penseurs d'extrême droite que furent, en particulier, Maurice Barrès et Charles Maurras. Alain Peyrefitte peut ainsi noter : « Il y aurait une thèse amusante à faire sur "les réminiscences de Charles de Gaulle". Par exemple, l'expression "Je me suis toujours fait une certaine idée de la France" lui a été soufflée par Barrès, qui l'emploie dans ses Cahiers de 1921. » C'était de Gaulle, t. 2, p. 25. Peyrefitte révèle également que le Général allait jusqu'à citer Maurras (fondateur de l'Action française, tenant du nationalisme intégral, monarchiste, antiparlementaire, antisémite, etc.) en plein Conseil des Ministres : « Au Conseil du 2 janvier 1964 (...) le Général conclut par la formule de Maurras : "Politique d'abord !" », Ibid., p. 467. Pierre Viansson-Ponté décrit de Gaulle comme «un officier de filiation nationaliste et conservatrice, voire monarchiste » in La République gaullienne, p. 472, Ed. Pluriel (Fayard 1970).
[21] Les liens de de Gaulle avec Catroux étaient connus. Le général Catroux s’inscrivait dans une tradition coloniale anti-assimilationniste, convaincu dès l’entre-deux-guerres que la question démographique condamnerait la France à renoncer à l’Empire, pour préserver son « identité ». Mais le Général s’était appliqué à brouiller les pistes : durant les mois qui précèdent mai 1958, « l’ambiguïté est partout. Sur le problème clef de l’affaire, M. Michel Debré, le 15 mars, au cours d’une rencontre à l’hôtel Ruhl de Nice avec le directeur de l’Echo d’Alger, M. Alain de Sérigny, se montre catégorique ; en présence de MM. Soustelle, Frey, Triboulet, il s’indigne : « Comment pouvez-vous douter une seconde de la volonté du général de Gaulle de maintenir l’Algérie française ? » Et M. Soustelle renchérit : « Il s’oppose formellement à la sécession ! » Or dans le même temps, MM. Michelet et Maurice Schumann, faisant état eux aussi de leurs conversations avec le grand solitaire, affirment non moins catégoriquement que, pour ramener la paix, de Gaulle ira jusqu’à l’indépendance complète et définitive de l’Algérie. » Pierre Viansson-Ponté, Histoire de la République gaullienne I, Ed. Pluriel (Fayard, 1970), p. 48.
[22] Raoul Salan, « Pourquoi ai-je rejoint le putsch d’Alger ? » in Historia n° 293 avril 1971.
[23] L’Afrique noire était, du point de vue de l’Intégration, en plus mauvaise posture que l’Algérie. En partie pour des raisons démographiques (un millions de Français vivaient en Algérie, contre quelques dizaines de milliers en Afrique subsaharienne) ; en partie pour des raisons politico-idéologiques (l’Algérie était conçue comme des départements, l’Afrique noire comme des colonies) ; en partie pour des raisons géostratégiques (l’Algérie est plus proche de la France, et s’inscrivait dans une continuité géographique transméditerranéenne). Mais aussi pour des raisons « civilisationnelles » : les « théoriciens » des races ont toujours situé le Noir au plus bas échelon de la hiérarchie des races, bien inférieur à l’« Arabe ». Par conséquent, le « Nègre » était jugé encore moins capable que l’« Arabe » de faire un Français digne de ce nom. Est-ce pour cette raison que l’Armée ne défendit pas (ou jugea impossible de défendre…) l’Intégration de l’Afrique noire ? En tous cas, force est de constater que l’Armée, ralliée à l’Intégration des Arabo-Berbères d’Algérie, ne s’opposa pas au « largage » de l’Afrique noire par le Général…
[24] Suite au printemps de 58 et de la nouvelle République égalitaire, le chef de la wilaya IV (le plus puissant maquis d’Algérie) voulut se rallier à la France. De Gaulle, par le biais de son émissaire Michelet, le « balança » au FLN, qui se chargea d’écraser la rébellion pro-française dans le sang. Voir Pierre Montagnon, L’Affaire Si Salah, Ed. Pygmalion, 1997.
[25] Le putsch commence le 21 avril 1961 et n’est plus qu’un souvenir le 27. A sa tête se trouvait Salan, celui-là même qui, trois ans plus tôt, à la tête d’un autre putsch, avait ramené de Gaulle au pouvoir, en mai 1958… Commandant du 1er REP qui rallia le « Putsch des Généraux », Hélie de Saint-Marc, dont Françoise Giroud disait qu’il est « un homme d'honneur qui porte sa vie dans son regard », parle de « révolte ». Il déclara lors de sa comparution devant le Haut Tribunal Militaire, le 5 juin 1961 :
« Ce que j’ai à dire sera simple et sera court. Depuis mon âge d’homme, Monsieur le Président, j’ai vécu pas mal d’épreuves : la Résistance, la Gestapo, Buchenwald, trois séjours en Indochine, la guerre d’Algérie, Suez, et puis encore la guerre d’Algérie. En Algérie, après bien des équivoques, après bien des tâtonnements, nous avions reçu une mission claire : vaincre l’adversaire, maintenir l’intégrité du patrimoine national, y promouvoir la justice raciale, l’égalité politique. On nous a fait faire tous les métiers, oui, tous les métiers, parce que personne ne pouvait ou ne voulait les faire. Nous avons mis dans l’accomplissement de notre mission, souvent ingrate, parfois amère, toute notre foi, toute notre jeunesse, tout notre enthousiasme. Nous y avons laissé le meilleur de nous-mêmes. Nous y avons gagné l’indifférence, l’incompréhension de beaucoup, les injures de certains. Des milliers de nos camarades sont morts en accomplissant cette mission. Des dizaines de milliers d’eux, musulmans, se sont joints à nous comme camarades de combat, partageant nos peines, nos souffrances, nos espoirs, nos craintes. Nombreux sont ceux qui sont tombés à nos côtés. Le lien sacré du sang versé nous lie à eux pour toujours. Et puis un jour, on nous a expliqué que cette mission était changée. Je ne parlerai pas de cette évolution, incompréhensible pour nous. Tout le monde la connaît. Et un soir, pas tellement lointain, on nous a dit qu’il fallait apprendre à envisager l’abandon possible de l’Algérie, de cette terre si passionnément aimée, et cela d’un cœur léger. Alors nous avons pleuré. L’angoisse a fait place, en nos cœurs, au désespoir. Nous nous souvenions de quinze années de sacrifices inutiles, de quinze années d’abus de confiance et de reniements. Nous nous souvenions de l’évacuation de la Haute Région, des villageois accrochés à nos camions qui, à bout de force, tombaient en pleurant dans la poussière de la route. Nous nous souvenions de Dien Bien Phu, de l’entrée du Viêt-Minh à Hanoi. Nous nous souvenions de la stupeur et du mépris de nos camarades de combat vietnamiens, en apprenant notre départ du Tonkin. Nous nous souvenions des villages abandonnés par nous, et dont les habitants avaient été massacrés. Nous nous souvenions des milliers de Tonkinois se jetant à la mer pour rejoindre les bateaux français. Nous pensions à toutes ces promesses solennelles faites sur cette terre d’Afrique. Nous pensions à tous ces hommes, à toutes ces femmes, à tous ces jeunes qui avaient choisi la France à cause de nous et qui, à cause de nous, risquaient chaque jour, à chaque instant, une mort affreuse. Nous pensions à ces inscriptions qui recouvrent les murs de tous ces villages et ces mechtas d’Algérie : « L’Armée vous protègera, l’Armée restera ». Nous pensions à notre honneur perdu. Alors le général Challe est arrivé, ce grand chef que nous aimions et que nous admirions, et qui, comme le maréchal de Lattre en Indochine, avait su nous donner l’espoir et la victoire. Le général Challe m’a vu, il m’a rappelé la situation militaire, il m’a dit qu’il fallait terminer une victoire presque entièrement acquise et qu’il était venu pour cela. Il m’a dit que nous devions rester fidèles aux combattants, aux populations européennes et musulmanes qui s’étaient engagées à nos côtés, que nous devions sauver notre honneur. Alors j’ai suivi le général Challe. Et aujourd’hui je suis devant vous, pour répondre de mes actes et de ceux des officiers du 1er REP, car ils ont agi sur mes ordres. Monsieur le Président, on peut demander beaucoup à un soldat, en particulier de mourir. C’est son métier. On ne peut lui demander de tricher, de se dédire, de se contredire, de mentir, de se renier, de se parjurer. Oh, je sais, Monsieur le Président, il y a l’obéissance, il y a la discipline. Ce drame de la discipline militaire a été douloureusement vécu par la génération d’officiers qui nous a précédés, par nos aînés. Nous-mêmes l’avons connu, à notre échelon modeste, jadis, comme élève officier. Croyez bien que ce drame de la discipline a pesé à nouveau lourdement et douloureusement sur nos épaules devant le destin de l’Algérie, terre ardente et courageuse à laquelle nous sommes attachés aussi passionnément qu’au sol de nos provinces natales. Monsieur le Président, j’ai sacrifié vingt années de ma vie à la France. Depuis quinze ans, je suis officier de Légion. Depuis quinze ans, je me bats. Depuis quinze ans, j’ai vu mourir pour la France des Légionnaires, étrangers peut-être par le sang reçu, mais Français par le sang versé. C’est en pensant à mes camarades, à mes sous-officiers, à mes légionnaires tombés au champ d’honneur, que le 21 Avril, à 13 h 30, devant le général Challe, j’ai fait mon libre choix. J’ai terminé, Monsieur le Président. »
Le Ier REP fut dissous dès le 30 avril 1961. Hélie de Saint-Marc fut condamné par le tribunal à dix années d’emprisonnement. Il fut libéré après cinq ans et neuf mois de détention.
[26] Alors même que les populations sahariennes étaient « attachées à la France » (Peyrefitte, op. cit., p. 77) et hostiles au FLN : celui-ci, devenu maître de l'Algérie, saura s'en souvenir...
[27] Les estimations varient : Charles-Robert Ageron avance le chiffre de 50.000 harkis massacrés dans les semaines qui suivirent l’indépendance, tandis que selon Pierre Montagnon, ce sont 150.000 harkis et musulmans francophiles qui furent assassinés entre le printemps et l’été 1962.
[28] Près d’un million de personnes collectivement déracinées et condamnées à l’exil, qu’on préféra nommer pudiquement les « rapatriés ».
[29] Est-il crédible d'invoquer une simple erreur d'appréciation, doublée d'une non moins simple « volonté d'en finir », pour expliquer le bâclage-bradage des accords d'Evian et le bain de sang qui succéda à l'indépendance algérienne ? Dès avril 1956, Raymond Aron ne se faisait guère d’illusions : « Et qui s’imagine que l’Algérie du Front national (FLN) permettrait au million de Français d’Algérie d’y demeurer ? (…) Est-il possible d’accorder l’indépendance à l’Algérie, en avril 1956 (…) en dissimulant la nécessité du rapatriement de nombre de Français, en camouflant l’abandon des Français et de nos amis au bon plaisir d’une minorité fanatique ? (…) Peut-être ceux qui pensent que l’Algérie gouvernée par le Front national serait un Etat intégralement islamique, où seuls auraient droit de cité les Musulmans, exagèrent-ils le fanatisme, religieux ou racial, de nos possibles interlocuteurs. Je ne connais pas un seul observateur de bonne foi, qui, en privé, n’éprouve des inquiétudes sur le destin de la République algérienne, après des élections manipulées par le Front national (FLN). » in La Tragédie algérienne, Plon, 1957, pp. 3, 18, 19, 20. Tout indique que le Général, lecteur attentif d’Aron, était fondé à croire que ce qui s'est passé se passerait. Alors pourquoi, tandis que la guerre d'Algérie est gagnée par la France (au prix d'immenses sacrifices humains de part et d'autre), de Gaulle choisit-il délibérément comme interlocuteur le FLN, organisation devenue, à force de répression et de propagande françaises, quasi groupusculaire en Algérie ? Pourquoi avoir ainsi tourné le dos à tant d'autres sensibilités qui existaient dans le pays, et livré ce peuple au FLN sanguinaire, fanatique et anti-français ? Faut-il croire que, précisément, le Général considéra le FLN comme le meilleur allié pour couper totalement les ponts avec une Algérie dont il redoutait que, malgré l'indépendance, elle envahisse finalement la Métropole et la défigure ? Faut-il croire que, délibérément, le Général a sacrifié l'Algérie et son peuple multiculturel (Arabes, Kabyles, Français, Espagnols, Touaregs, Juifs, Italiens...) sur l'autel de son refus absolu d'une « France algérienne », à seule fin de conjurer ainsi définitivement tout risque de retour en arrière pour, de là, interdire toute « contamination » ultérieure de la France ? Cette indépendance, loin d'être un bâclage-bradage, ne porte-t-elle pas la marque du talent du Général, le fruit d'un calcul mûrement réfléchi, une âpre stratégie visant à atteindre sa fin : rendre tout remariage franco-algérien impossible dans l’avenir ? La politique de terreur que le Général pratiqua en coordination et collaboration avec le FLN (l’affaire Si Salah, la destruction de la résistance pro-française du Bachaga Boualam, le massacre des Harkis, le massacre des musulmans francophiles, l’exode massif des Pieds-Noirs menacés collectivement de mort, les massacres d'Oran en juillet 1962, etc...), eut pour effet de supprimer tous les liens humains qui auraient pu, à brève échéance, conduire l'Algérie à regretter son indépendance et, peut-être, à réclamer son retour dans le giron de la République…
[30] In Service africain, 1946, p. 273, cité par Bernard Mouralis dans République et colonies, p. 61.
[31] La présence des Britanniques à Madagascar (Diégo-Suarez) pendant la Seconde Guerre mondiale est-elle pour quelque chose dans la sanglante affaire malgache ? Les Anglais ont-ils, tout comme les Américains au Maroc et en Tunisie, poussé une partie de la bourgeoisie locale à prendre les armes contre la France ? Toujours est-il qu’en 1946 les insurgés du MDRM, parti radicalement indépendantiste battu aux élections, massacrèrent des fonctionnaires malgaches pro-français et des militants du parti concurrent et vainqueur, le PADESM, que soutenaient les autorités françaises coutumières du bourrage d’urne. En réponse aux massacres, lesdites autorités françaises, dénonçant une révolte de « féodaux », déclenchèrent une répression qui fit au moins 100.000 morts selon les indépendantistes, entre 10.000 et 15.000 morts selon Ch.-R. Ageron – le Parti Communiste Français, alors au gouvernement en France, appuya sans réserves la répression, avant de la dénoncer quelques années plus tard.
[32] La répression des émeutes fit vingt-et-un morts entre janvier 1949 et février 1950. A l’origine de ces troubles, le RDA d’Houphouët-Boigny, alors allié au PCF qui, ayant quitté le pouvoir en France, se convertit à l’anticolonialisme. Mais le RDA d’Houphouët, ayant partiellement obtenu satisfaction, rompit avec le PCF et renoua avec les autorités françaises, mettant un terme à l’agitation dans la région.
[33] Les Communistes français étaient acquis à l’Empire « libre, égalitaire et fraternel » (M. Thorez) depuis le milieu des années 1930. Ecartés du pouvoir, ils redeviendront progressivement « indépendantistes » au cours des années 1946-50.
[34] Sauf au Togo, où Sylvanus Olympio continua de réclamer l’indépendance (et l’obtint, avant d’être assassiné selon la volonté gaullienne), et au Cameroun, où une guérilla durable, d’inspiration communiste et soviétique, fut conduite par le leader Ruben Um Nyobé, ancien de la CGT. Il fut tué en septembre 1958, sans que cesse pour autant la rébellion qu’il animait, et qui perdura au delà de l’indépendance.
[35] Emile-Derlin Zinsou expliquait en 1985 : « (…) Les leaders politiques africains avaient en commun ceci : ils souhaitaient tous ardemment, la guerre (1939-1945) terminée, une mutation profonde du sort de l’Afrique (…). La profession de foi, la revendication fondamentale n’était pas l’indépendance : aucun de nous ne la revendiquait. Nous réclamions, par contre, l’égalité des droits puisque nous avions les mêmes devoirs jusques et y compris celui de donner notre sang pour la France. (…) La bataille pour l’égalité, pour les droits égaux pour tous, était l’essentiel du combat politique. Mais cette égalité inscrite dans la devise républicaine n’allait pas de soi, en ce qui concerne son application intégrale, dans l’esprit des colonisateurs. Une politique coloniale intelli-gente, prospective, suffisamment ouverte sur l’avenir, qui aurait conduit les peuples coloniaux à la jouissance des mêmes droits que ceux de la métropole, à l’application des mêmes lois, des mêmes règles à tous, aurait certainement modifié le destin de la colonisation. », La décolonisation politique de l’Afrique, in La Décolonisation de l’Afrique vue par des Africains, Ed. L’Harmattan, 1987, pp. 32-33. Et Zinsou d’ajouter, à titre d’exemple, « (...) les Indépendants d'Outre-Mer (IOM) (menés par Senghor) réclamèrent une République fédérale française une et indivisible. Les textes et les discours le disaient bien : c'était pour mieux rester dans l'ensemble français et consolider celui-ci contre toute dispersion. », Ibid., p. 48. Emile-Derlin Zinsou fut l’un des leaders politiques du Dahomey, aujourd’hui le Bénin, dont il fut président de juillet 1968 à décembre 1969. A propos de l’Afrique subsaharienne des années 1950, Elikia M’Bokolo note : « (…) tous les dirigeants et cadres politiques (africains) se réclamèrent longtemps de l’idéologie assimilationniste de la colonisation française : se voulant « absolument français » et exigeant d’être traités comme des « Français à part entière », ils se complaisaient à opposer la vraie France, dont ils exaltaient l’ « œuvre civilisatrice » et les colons, particulièrement nombreux en Oubangui-Chari, dont ils stigmatisaient le racisme et le conservatisme », in L’Afrique au XXème siècle, le continent convoité, pp. 196-197, Ed. Seuil 1985.
[36] Une véritable fin de non-recevoir pour tous les Africains qui espéraient en la patrie française et la République égalitaire… D’autant qu’en distinguant nettement le « peuple français » des « peuples dont (la France) a pris la charge », cette Constitution reprenait les termes mêmes du discours prononcé par de Gaulle deux ans plus tôt à Brazzaville, démontrant ainsi que l’hostilité à l’Assimilation des « indigènes » était puissamment enracinée chez les hommes politiques métropolitains. Dans son discours de Brazzaville, le 30 janvier 1944, Charles de Gaulle avait en effet déjà affirmé : « (…) en Afrique française, comme dans tous les autres territoires où des hommes vivent sous notre drapeau, il n'y aurait aucun progrès qui soit un progrès, si les hommes, sur leur terre natale, n'en profitaient pas moralement et matériellement, s'ils ne pouvaient s'élever peu à peu jusqu'au niveau où ils seront capables de participer chez eux à la gestion de leurs propres affaires. »
[37] Cité par Ch.-R. Ageron, in Histoire de la France coloniale, p. 366. De telles paroles dans une bouche socialiste n’étonnent que ceux qui imaginent que le racisme est le monopole de la droite. On appréciera ici tout particulièrement la féminisation du roi Makoko (« la reine Makoko »), selon une figure qui, à la confluence de la misogynie et du racisme, tient de la rhétorique de caniveau – le roi Makoko était le souverain téké avec lequel traita Savorgnan de Brazza à la fin du XIXème siècle, jetant ainsi les bases de la futur AOF. Voir infra « L’héritage de Savorgnan de Brazza et du roi Makoko ». A la même époque, Léon Blum (admirateur de Barrès dans sa jeunesse) enjoignit la SFIO, tentée de rompre avec le blancisme au profit de l’Intégration, de renoncer à l’« illusion séculaire de l’assimilation ». Cf. Ageron, Ibid., p. 431.
[38] Constitution de 1946.
[39] « Si, en France, la notion de race fut surtout défendue par la droite – et par l’extrême droite depuis les années 1930 – , on trouve également un nombre appréciable de penseurs classés à gauche, du socialisme à l’anarchisme. Cette hétérogénéité montre que le concept transcende les clivages politiques (…). » « Race et nation républicaine », in La République coloniale, Nicolas Bancel, Pascal Blanchard et Françoise Vergès, Ed. Albin Michel, 2003, p. 95.
[40] Henri Grimal, La Décolonisation de 1919 à nos jours, Ed. Complexe, 1985, p. 284.
[41] « (…) tous les ressortissants de l’Union française s’étaient (…) vus reconnaître la qualité de citoyen de l’Union française ; comme le contenu de cette citoyenneté ne fut jamais défini, elle demeura sans objet. » La Décolonisation française, Charles-Robert Ageron, Armand Colin, p. 74.
[42] « (…) le régime de la Communauté consacre pleinement l’autonomie interne des territoires africains et malgache, mais n’organise qu’un fédéralisme apparent. Que ce soit au sein du Conseil exécutif ou du Sénat, ce dernier au reste dénué de tout pouvoir législatif, les Etats africains demeurent dans l’incapacité de peser réellement sur les secteurs relevant des compétences communes : affaires étrangères, défense, politique financière et économique, où le Président de la République (et de la Communauté) et ses représentants (les hauts-commissaires) conservent l’initiative de la décision. » Bernard Droz et Anthony Rowley, in Histoire générale du XXème siècle, t. 3 (1950-1973), Ed. Seuil, 1987, p. 263.
[43] Jusqu’à la réforme constitutionnelle de 1962 qui donna lieu à l’élection de 1965 au suffrage universel, le président de la République est élu par un collège électoral composé de 82.000 grands électeurs, dont 76.000 métropolitains, issus pour la plupart des conseils municipaux. Ces grands électeurs sont issus, de facto, dans leur écrasante majorité, des suffrages d’électeurs français « blancs ». Voir infra « La Communauté française ».
[44] In Au fil de l’épée, 1930, cité par G.-M. Benamou, Un Mensonge français, p. 9.
[45] In C'était de Gaulle, t. 2, pp. 457-458. Léon-M'Ba (1902-1967), premier président de la République gabonaise (1960-1967).
[46] « Les Français sont des veaux » selon une formule fameuse du Général, contestée par les gaullistes orthodoxes, qui préfèrent l’attribuer à Edgar Faure.
[47] Ce que le Général appelait le « boulet » africain s’appelait tout de même encore « Empire » dans la tête de nombreux « veaux », qui avaient déjà eu bien du mal à digérer la perte de l’Indochine, mais aussi celles de la Tunisie et, surtout, du Maroc, auquel les Français étaient particulièrement attachés. Au lendemain des indépendances hâtives des deux protectorats d’Afrique du Nord, les sondages révèlent qu’environ 40 % des Français interrogés au sujet du bien-fondé desdites indépendances sont « sans opinion ». (Ageron, op. cit.) Pourcentage exceptionnellement important, signe que l’opinion française d’alors est passablement désorientée. En effet, la Tunisie et le Maroc deviennent indépendants en 1956, alors que deux ou trois ans plus tôt, la chose était, au dire de la classe politique française presque unanime, « totalement impensable »…
[48] C’était de Gaulle, p. 58.
[49] En novembre 1957, Michel Debré dans son mensuel Le Courrier de la Colère parlait de « nos derniers atouts, l’Algérie, le Sahara, sans lesquels il n’y a plus de chances françaises dans le monde ».
[50] Cité par Jacques Soustelle in 28 ans de gaullisme, op. cit., p. 307.
[51] Ageron exagère un peu tout de même, comme on va le voir.
[52] Après avoir adhéré à la Communauté, un Etat membre pouvait également en sortir et accéder à l’indépendance, en soumettant la question à sa population par voie de référendum.
[53] « Nous préférons la pauvreté dans la liberté à la richesse dans l’esclavage » expliqua Sékou Touré qui avait réclamé que l’AOF soit dotée d’un exécutif fédéral, ce que de Gaulle refusa, fidèle à la « balkanisation » – diviser pour régner – orchestrée par la IVème République. Si Touré n’avait pas tort de considérer la Communauté comme une ultime entourloupe et marque de mépris à l’égard des Africains (privés des fonctions régaliennes de l’Etat au profit des Français), l’homme ne fut pas pour autant un modèle de vertu démocratique : son régime, soutenu par les Soviétiques (seul leader africain qui n’avait pas coupé les ponts avec les communistes prosoviétiques, il avait commencé sa carrière politique comme militant syndicaliste de la CGT) et les USA, tourna à la dictature sanglante. On évalue à 50.000 le nombre de victimes de la répression politique sous son « règne » (1958-1984).
[54] Concernant les termes du discours de Brazzaville, voir note 35.
[55] Pour reprendre l’élégante formule de Jules Moch… Voir supra « La IVème République ».
[56] A vrai dire, en 1958, Senghor n’y croyait déjà plus, depuis longtemps fixé sur la puissance du blancisme dans les hautes sphères de l’Etat français, et meurtri pour cela dans son âme négro-franco-sénégalo-républicaine. A qui voulait l’entendre, il disait considérer la Communauté comme une étape vers l’indépendance, par un mélange de bon sens et de dignité. De son côté, Houphouët n’avait pas d’orgueil, et misait sur le temps, mesurant les profits qu’apportait hic et nunc à l’Afrique le concubinage avec la France ; liaison certes imparfaite, mais, espérait-il, prélude à un mariage d’amour, quand les esprits seraient mûrs et le blancisme dépassé, dans dix ou vingt ans… Pour une définition du « blancisme », voir note 57.
[57] L’exception s’appelant Félix Houphouët-Boigny, député à l'Assemblée Nationale française de 1945 à 1959, Ministre délégué à la présidence du Conseil en France en 1956, Ministre d’Etat dans le premier gouvernement De Gaulle en 1958. « Le gouvernement issu de ces péripéties présente une physionomie assez singulière. Autour du général-président, quatre ministres d’Etat (…). Leur collègue M. Michel Debré, garde des Sceaux, les décrira ainsi (…) : “Quatre politiciens : Houphouët, ce noir ; Pflimlin, ce fourbe ; Mollet, ce primaire ; et Pinay, ce sot” ». Pierre Viansson-Ponté, Histoire de la République gaullienne I, Ed. Pluriel (Fayard, 1970), p. 58. Notons toutefois qu’un homme « de couleur », Gaston Monnerville, président du Conseil de la République de 1947 à 1958, fut le deuxième personnage de l’Etat durant dix ans, en tant que président du Sénat, de 1958 à 1968. Mais Monnerville, originaire de Guyane et de Martinique, n’était pas africain, ni tout à fait « nègre »…
[58] Nous appelons « blancisme » cette pensée qui soutient que le peuple français est d’essence « blanche » et qu’il se perdrait en se mélangeant avec d’autres races.
[59] Plus vieille colonie française en Afrique (la fondation de Saint-Louis remonte au milieu du XVIIème siècle), le Sénégal fut le berceau et le fer de lance de la future AOF, sous la houlette de Faidherbe. Au sujet de Faidherbe, voir note 8.
[60] Il ne s’agit pas d’un néologisme : le terme est d’époque…
[61] Voir Ch.-R. Ageron, « Le bref destin de la Communauté », in Histoire de la France coloniale, pp. 498 et sq.
[62] Voir supra « Association/Assimilation/Intégration ».
[63] Voir Ch.-R. Ageron, La Décolonisation française, p. 146.
[64] La Fédération en question ne devait survivre que quelques mois à ladite indépendance, le Soudan gardant pour lui le nom de Mali.
[65] Dans son fascinant roman à clef Le Devoir de Violence, Yambo Ouologuem, à travers le personnage de l’Evêque Henry, fait allusion au rôle trouble que joua l’Eglise dans l’Afrique de la décolonisation... En France métropolitaine, on trouve de nombreux catholiques fervents parmi les tenants les plus radicaux de l’indépendance de l’Algérie et des territoires africains : l’intellectuel François Mauriac, le politique Pierre Pflimlin (sur la question de l’Algérie, adversaire de Georges Bidault au sein du MRP), l’archevêque d’Alger Monseigneur Duval, les journaux La Croix et Témoignage Chrétien… et le Général de Gaulle lui-même bien sûr, pour s’en tenir à quelques figures illustres. Mais au-delà d’élans individuels ou collectifs à la probité sincèrement chrétienne, quel fut le jeu complexe et méconnu du Saint-Siège ? Monseigneur Duval déclarait en décembre 1993 au journal El Khabar, au sujet de ses prises de positions pendant la guerre d’Algérie : « J'ai (…) suivi les directives du pape, et le pape est à Rome. » En activant ses innombrables réseaux, le Vatican jugea-t-il plus sage, lui aussi, de préserver la « fille aînée de l’Eglise » d’une périlleuse vague démographique musulmane que l’Intégration, nécessaire au maintien de l’Algérie française et de l’ « Empire », eût rendue inéluctable ? Ou plus simplement, chercha-t-il à régler un vieux compte avec la République « laïcarde » ? A moins que, plus prosaïquement encore, à l’instar de Moscou et de Washington, Rome ait vu dans le reflux français l’occasion d’étendre ou d’affermir son influence temporelle sur le continent noir, la Papauté étant, de vieille tradition, adepte du mélange des genres… Au sujet du cléricalisme de Pierre Pflimlin, voir note 6.
[66] Du moins théoriquement, selon la célèbre formule du leader ghanéen Kwame Nkrumah : « Obtenons la liberté, tout le reste sera donné par surcroît ». Au sujet de Nkrumah, voir note 207.
[67] Voir note 68.
[68] Voir note 80.
[69] On a vu plus haut que le Général avoua lui-même : « Nous avons eu toutes les peines du monde à dissuader (certains leaders africains, comme Léon M'Ba pour le Gabon) de choisir ce statut (la départementalisation). Heureusement que la plupart de nos Africains ont bien voulu prendre paisiblement le chemin de l'autonomie, puis de l'indépendance. » (In C'était de Gaulle, t. 2, p. 458). Pourtant, lorsque Alain Peyrefitte lui tendit cette perche, de Gaulle tenta tout de même d'imputer l'échec de la Communauté à Houphouët et Senghor : « AP : - C'est dommage, quand même, que l'antagonisme entre Houphouët-Boigny et Senghor ait fait capoter la Communauté. GdG : - Evidemment ! Il aurait fallu que l'évolution de la fédération vers la confédération se fasse au long des ans. Au lieu de ça, pour des considérations d'amour-propre, ils se sont entêtés à vouloir, chacun, tout ou rien de son système, comme des gosses. Ils ont cassé le jouet que nous leur avions offert. Ce n'est pas moi qui pleurerai ! » (In C'était de Gaulle, t. 2, p. 458). Infantilisant les deux Africains Senghor et Houphouët, le Général tente de masquer la cause réelle de l'échec de la Communauté : son refus d'accorder l'égalité politique (et/ou la citoyenneté française) aux masses africaines, autant que de partager les domaines suprêmes de l’Etat avec les représentants africains ; soit sa volonté de maintenir une Communauté au fonctionnement démocratiquement inégalitaire. C'est ce déni démocratique (et ses sous-entendus) qui scandalisait aussi bien Houphouët que Senghor, et provoqua le départ du second... qui entraîna celui des autres, et la fin de la Communauté. Selon un effet domino parfaitement prémédité par de Gaulle, et orchestré par lui. Et le Général a l'audace de conclure : « Un jour viendra sans doute, où ils pleureront eux-mêmes d'avoir voulu partir si vite. » Sous-entendu : Houphouët et Senghor auraient dû accepter la logique inégalitaire et antidémocratique que nous leur proposions généreusement... Au sujet de la position de Senghor dans cette affaire, Louis Sanmarco confie à Samuel Mbajum : « Après mon élection comme président de l’ASECNA, j’avais fait ma tournée « ad limina » auprès des chefs d’Etat africains. Le premier que j’étais allé voir fut Senghor, qui me demanda si j’étais un parent du Gouverneur Sanmarco dont il avait tant entendu parler… Je lui répondis que le Gouverneur, c’était bien moi, avant de lui dire ceci : « Monsieur le Président, je suis venu vous parler de ce qu’est l’ASECNA. Mais, avant toute chose, et je m’en excuse devant vous, je voudrais vous dire que je n’étais pas pour l’indépendance de l’Afrique ; j’étais pour l’égalité des droits de tous au sein de la République Française. » Il me regarda, et me lança : « Et moi donc ! » », in Entretiens sur les non-dits de la décolonisation, Ed. de l’Officine, 2007, p. 88.
[70] Le Général jugea bon de conserver une ribambelle d’îles un peu partout autour du globe, pour le domaine maritime et la grandeur nationale : le rapport « intérêt stratégique » / masse « non blanche » à intégrer dans le « corps français » étant raisonnable. « Nous ne pouvons pas tenir à bout de bras cette population prolifique comme des lapins (…). Nos comptoirs, nos escales, nos petits territoires d’outre-mer, ça va, ce sont des poussières. Le reste est trop lourd ». Charles de Gaulle, cité par Alain Peyrefitte, in C’était de Gaulle, Ed. Fayard, 1994, p. 59. Et en effet, là où la France gaullienne jugea bon de rester (les « poussières »), le « vent de l’Histoire » s’abstint de souffler. Du moins pas trop fort…
[71] « Tyaroye », in Hosties noires, 1948, cité par Bernard Mouralis, in République et colonies.
[72] Cette Vème République dont les desseins sont aux antipodes de ceux de la « République de 58 »…
[73] Voir les chapitres précédents. Selon cette idéologie, les Africains ne voulaient absolument pas être Français, et de toutes façons étaient trop différents pour l’être, la France africaine n’étant qu’une chimère farfelue.
[74] Les successeurs de Charles de Gaulle (Giscard d’Estaing, Mitterrand, Chirac) ont certes rompu avec le blancisme d’Etat, en acceptant une immigration importante en provenance des anciennes colonies (notamment par le biais du regroupement familial, à partir de 1976) et son corollaire, le métissage de la société française. Toutefois, aucun d’entre eux ne s’est attaqué à l’idéologie gaullo-sartrienne qui visait à occulter les motifs inavouables de la décolonisation franco-africaine tout en prévenant tout « retour en arrière ». Du reste, si la politique africaine des successeurs du Général est allée s’affaiblissant au fil des décennies, elle n’a jamais fondamentalement changé de nature. Les réseaux Foccart (-Pasqua) sont d’ailleurs demeurés actifs tout au long de la Vème République, quels que fussent les gouvernements (UDF, RPR ou PS).
[75] Une formule qui a le mérite de donner le beau rôle au général de Gaulle, dont la hauteur de vue contraste ainsi avec l’aveuglement de la IVème République confrontée au « réveil des peuples » et au « Vent de l’Histoire / Sens de l’Histoire ». Voir infra « Vent de l’Histoire ».
[76] Voir infra « La Révolution anjouanaise ». Ce chapitre a été publié le 26 mars 2008 sur le site Afrique Liberté, sous le titre Débarquement militaire à Anjouan ou le stade suprême de la « Françafrique ».
[77] Avec Raymond Aron et Jean-Paul Sartre dans les rôles de maîtres à penser, respectivement, du camp libéral à tendance pro-américaine et du camp communiste à tendance pro-soviétique.
[78] Et particulièrement peu visionnaires…
[79] L’Etrange défaite
[80] Ch.-R. Ageron, in Histoire de la France coloniale, p. 368. Un autre sondage, en mai 1946, confirme la bienveillance des Français à l’égard des peuples d’outre-mer : en effet, si 31 % des personnes interrogées se disaient favorables à une administration des colonies exercée d’abord au profit de la métropole, 28 % des sondés estimaient au contraire que les colonies devaient en être les principales bénéficiaires, et 25 % que les deux parties devaient en profiter équitablement. Autrement dit, 53 % des Français, soit une majorité d’entre eux, considéraient que la métropole ne pouvait agir envers les colonies à son profit exclusif, contre seulement un petit tiers qui pensaient le contraire… Du reste, Jacques Marseille a démontré, chiffres à l’appui, que son empire a coûté davantage à la France qu’il ne lui a rapporté. Voir Empire colonial et capitalisme français, Albin Michel, 1984.
[81] Il était stipulé dans la Constitution du 4 octobre 1958 que les pays membres de la Communauté française pouvaient à tout moment demander et accéder à l’indépendance, mais par voie de référendum. « La transformation du statut d'un État membre de la Communauté peut être demandée soit par la République, soit par une résolution de l'assemblée législative de l'État intéressé confirmée par un référendum local (…).Dans les mêmes conditions, un État membre de la Communauté peut devenir indépendant. Il cesse de ce fait d'appartenir à la Communauté. » (art. 86) Or les présidents de Gaulle, Senghor et Keita s’étant mis d’accord, de référendum, il n’y en eut point. La Fédération du Mali, mais aussi la République malgache, puis la totalité de l'Afrique Occidentale et l’Afrique Equatoriale Françaises accédèrent à l’indépendance sans que les peuples en fussent consultés. Pour ce faire, il fallut procéder, au dernier moment, à une modification exprès de la Constitution (loi 60-525 de mai-juin 1960), selon des modalités à ce point contestables que le Conseil d’Etat émit un avis défavorable, dont le gouvernement ne tint aucun compte. La question se pose : pourquoi le gouvernement métropolitain préféra-t-il priver les populations africaines d’un référendum dans cette affaire, alors même qu’il s’apprêtait, dès le mois suivant, à leur accorder l’indépendance ?
[82] Ou plutôt gaullo-sartrienne…

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