17 août 2008

Crise en Géorgie

Crise en Géorgie
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Du Caucase

aux confins

de l’Océan Indien

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par
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Alexandre Gerbi
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L’apprenti sorcier américain a déclenché la machine indépendantiste en Europe. En pleins jeux olympiques, Poutine et Medvedev répliquent en judokas. Que va faire Sarkozy ?


Dans l’affaire géorgienne, le moins que l’on puisse dire, c’est que les Américains ne manquent pas d’air.

Après avoir soutenu militairement – contre l’avis des Russes – la sécession kosovare en Serbie, voici les Etats-Unis qui s’opposent – encore contre l’avis des Russes – aux sécessions ossète et abkhaze en Géorgie, qui bénéficient, cette fois, faut-il s’en étonner, du soutien militaire russe…

Au gré d’une logique manifestement à géométrie variable, les Etats-Unis tantôt se posent en défenseur du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes – quitte, au besoin, à recourir à la force – tantôt ils semblent le tenir pour quantité négligeable – et juger, dans ce cas, le recours à la force inacceptable…

Quant aux Russes, en intervenant en Géorgie, ils ne font donc que s’engouffrer dans le précédent créé, justement, au Kosovo, par ces mêmes Américains.

Objectera-t-on que les Russes interviennent en Géorgie unilatéralement et au mépris de l’ONU ? Or c’est également au mépris de l’ONU, et malgré la fronde conduite par la France, on s’en souvient, que les Etats-Unis sont intervenus avec la plus extrême brutalité en Irak… En intervenant militairement hors de leurs frontières sans se soucier de l’ONU, les Russes jouent en fait, là encore, une récente partition états-unienne, mais en mode mineur…

Résultat, le ton est brutalement monté du côté russe. D’autant qu’au même moment, l’Oncle Sam tripatouille du côté de la Pologne, en installant des rampes de missiles anti-missiles prétendument anti-iraniens, mais au demeurant potentiellement braqués sur la Russie, et partant fort peu prisés des Russes, ce qui peut se comprendre… Russes qui, par la bouche du général Anatoli Nogovitsine, chef d’Etat major adjoint, se mettent, le 15 août 2008, à menacer la Pologne, complice des Etats-Unis dans cette affaire, d’une éventuelle « attaque »…

Face à une telle escalade dans laquelle ils portent, à plusieurs titres, une très lourde part de responsabilité, les USA sauront-ils enfin solder leurs flagrantes incohérences, et en accepter la conséquence : l’extension du territoire russe aux deux territoires sécessionnistes géorgiens ? Evidemment, la Russie se remettant à grossir, voilà qui ressemblerait à un cauchemar yankee…

Mais dans cette affaire, est-il possible de refuser que soit simplement appliqué en Géorgie le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, en Ossétie du sud et en Abkhazie, tel que le demandent les Russes, forts du précédent kosovar ?

Mieux encore, même si le Kosovo n’a pas encore demandé son rattachement à l’Albanie, pourra-t-on décemment rejeter cette autre exigence russe : le rattachement de l’Ossétie et de l’Abkhazie à la Fédération de Russie, que Moscou réclame au nom, encore une fois, du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ?

Evidemment, dans un tel contexte d’hypocrisie généralisée de la part de l’administration américaine et de ses godillots britanniques, les Russes ont beau jeu d’user du double langage comme au joli temps du stalinisme (leurs chars occupent d’ailleurs la ville natale du dictateur soviétique, en Géorgie…), de refuser d’évacuer les provinces sécessionnistes (et pro-russes…), et de s’éterniser le plus longtemps possible en territoire géorgien proprement dit.

Et la France, présidente de l’Union Européenne, dans tout ça ? Elle qui a suivi naguère l’Amérique dans la folle équipée kosovare, doit-elle, comme l’Angleterre, suivre aujourd’hui aveuglément les Américains, jusqu’au bout de l’enfer, dans leurs pharamineuses contradictions ? Ou bien, en cohérence avec l’affaire kosovare, la France doit-elle, forte de la présidence européenne qu’elle assume, en appeler à l’ONU et permettre aux Ossètes et aux Abkhazes de décider, en scrupuleux respect de l’équité qu’exige la démocratie, librement de leur destin ?

Bien sûr, en soutenant la sécession kosovare en Serbie, en mettant le feu à la pétaudière des Balkans selon une vieille recette, les Américains savaient bien qu’ils ouvraient la boîte de Pandore des nationalismes européens, boîte suffisamment pleine pour essaimer à tout vent sur le Vieux Continent, et déstabiliser, à terme, de nombreux pays. A l’époque, l’Espagne pas plus que la Russie n’en doutaient, qui ont dénoncé la sécession kosovare – Kosovo que les Serbes tenaient, à tort ou à raison, pour le berceau de leur nation.

Quoi que l’on pense des manœuvres de l’apprenti sorcier américain, maintenant que la mécanique sécessionniste qu’il a délibérément déclenchée en Europe semble en marche, qui peut prétendre s’opposer au droit des peuples à disposer d’eux-mêmes en Ossétie, en Abkhazie et ailleurs ?

Le problème est dans cet « ailleurs », justement...

Car à ce petit jeu-là, que pourrait bien répondre Paris à une Wallonie divorçant des Flandres belges (on murmure de plus en plus que la Belgique n’en a plus pour très longtemps…), et demandant officiellement son rattachement à la France ?
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Mieux encore, toujours dans ce contexte mais cette fois du côté de Madagascar, que pourrait bien répondre la France aux îles d’Anjouan et de Mohéli faisant sécession de la très affaiblie fédération comorienne, et qui réclameraient leur rattachement à la France, puisque cette hypothèse s’est déjà produite, précisément, en 1997…
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Etourdissante problématique pour un président français flanqué d’une tradition gaullo-sartrienne du repli hexagonal, sorte de catéchisme politique de tout président de la Ve République... A moins que le vieux rêve « pangaulois » du Général (de Charleroi à Chicoutimi !) puisse, avec la récupération de la Wallonie, retomber sur ses pattes prophétiques. « Le Général avaient bien dit qu’il finiraient par nous tomber dans les bras ! » chantent déjà les exégètes illuminés…

Là où le bât blesse, c’est avec l’affaire comorienne. Puisque ces « rattachistes »-là sont des Nègres musulmans… Il faudrait au président de la République française transgresser le dogme et le tabou gaulliens (ou gaullo-sartriens…) de la France blanciste et de l’ « apartheid à la française » organisé à l’échelle intercontinentale, ce que fut, au vrai, la décolonisation…

A la faveur des récents événements internationaux, Paris serait-il prêt aujourd’hui à accéder à la demande « rattachiste » de la Wallonie et, mieux encore, à celle d’Anjouan et de Mohéli – quitte à subir les cris de Bruxelles et de Grande Comore, et d’encourir le courroux de nos très rock’n’roll amis Américains et Britanniques ?

A l’heure de la mondialisation, ce qui se passe du côté du Caucase est placé sous le signe de l’hypocrisie, de la mauvaise foi et de la violence. Il doit l’être sous celui de l’honnêteté, de la franchise et de la démocratie, c’est-à-dire de la volonté des populations.

Tout cela se passe du côté du Caucase, mais engage le destin de bien des hommes, pour nous Français, Belges et Africains, des plaines des Flandres jusqu’aux confins de l’Océan Indien...





Alexandre Gerbi




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