16 oct. 2008

L’affaire gabonaise (1958)


Alors que la Marseillaise a été une nouvelle fois
conspuée au Stade de France…




Aux origines du mal

ou

L’affaire gabonaise (1958)
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Il y a tout juste 50 ans, le général de Gaulle violait la Constitution pour débarrasser la France de ses populations d’Afrique. Ça se fête… en sifflant ?
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Alexandre Gerbi




Lors du référendum du 24 septembre 1958, les populations gabonaises approuvèrent par 92% l’adhésion du Gabon à la Communauté française. Forts de ce résultat, le Conseil de gouvernement du Gabon et son président, Léon Mba, mandatèrent le gouverneur Louis Sanmarco à Paris, afin de négocier la départementalisation du Gabon.

Reçu par le ministre de l’Outre-mer, Bernard Cornut-Gentille, Louis Sanmarco essuya un refus tonitruant :

« Sanmarco, vous êtes tombé sur la tête !... N’avons-nous pas assez des Antilles ???? Allez, l’indépendance comme tout le monde ! [1] »

Contrairement à ce que pourrait laisser à penser la réaction du ministre, la demande de départementalisation formulée par Louis Sanmarco au nom du Conseil de Gouvernement du Gabon n’était pas une lubie sortie tout armée du fantasque esprit africain.

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En effet, l’article 76 de la Constitution disposait que : « Les territoires d'outre-mer peuvent garder leur statut au sein de la République. S'ils en manifestent la volonté par délibération de leur assemblée territoriale (...), ils deviennent soit départements d'outre-mer de la République, soit, groupés ou non entre eux, Etats membres de la Communauté. »

Autrement dit, aux termes de la Constitution, chaque territoire d’outre-mer pouvait soit demeurer un territoire d’outre-mer, soit devenir un Etat lié à la République française au sein de la Communauté, soit enfin devenir un département.

La demande de départementalisation du Gabon s’inscrivait donc strictement dans le cadre constitutionnel. Par conséquent, en la rejetant, le gouvernement métropolitain violait la Constitution.

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Le général de Gaulle expliqua à Alain Peyrefitte : « Nous ne pouvons pas tenir à bout de bras cette population prolifique comme des lapins (…). C’est une bonne affaire de les émanciper. Nos comptoirs, nos escales, nos petits territoires d’outre-mer, ça va, ce sont des poussières. Le reste est trop lourd[2] ». « (…) Et puis (il baisse la voix), vous savez, c'était pour nous une chance à saisir : nous débarrasser de ce fardeau, beaucoup trop lourd maintenant pour nos épaules, à mesure que les peuples ont de plus en plus soif d'égalité. Nous avons échappé au pire ! (...) Au Gabon, Léon Mba voulait opter pour le statut de département français. En pleine Afrique équatoriale ! Ils nous seraient restés attachés comme des pierres au cou d'un nageur ! Nous avons eu toutes les peines du monde à les dissuader de choisir ce statut. Heureusement que la plupart de nos Africains ont bien voulu prendre paisiblement le chemin de l'autonomie, puis de l'indépendance[3] ».

Sachant que les 450.000 habitants du Gabon, tout nègres qu’ils fussent, représentaient à peine 1% de la population métropolitaine, on peut s’étonner que le gouvernement français ait refusé la départementalisation par crainte du métissage et des dépenses qu’une telle opération aurait impliquées.

Mais c’est qu’en réalité, sous l’affaire gabonaise perçait la vaste question africaine…

De Gaulle, expert dans l’art politique, savait qu’en répondant favorablement à la demande gabonaise en application de l’article 76, il aurait créé un fâcheux précédent. Paris n’aurait plus été en position de refuser la même départementalisation aux nombreux territoires d’Afrique qui auraient trouvé avantages (économiques, sociaux et politiques) à la réclamer eux aussi. Une telle réaction en chaîne aurait anéanti le projet du président de Gaulle… Un véritable cauchemar, dans lequel Léon Mba aurait joué, à la fois, le rôle d’éclaireur et de détonateur, tandis que le Général aurait chaussé, à son corps défendant, les guêtres palmées du dindon de la farce…

Selon Louis Sanmarco, lors de son entrevue au sujet de la demande gabonaise de départementalisation, le ministre parla d’«indépendance» alors qu’on était seulement en octobre 1958, date à laquelle l’indépendance des territoires d’Afrique noire n’était pas à l’ordre du jour, officiellement, du point de vue gouvernemental. Au contraire, la Communauté française était censée permettre de maintenir, dans un cadre semi-fédéral, l’unité franco-africaine. S’agit-il donc d’un lapsus ?

Sans doute. Car à l’aune des événements ultérieurs – en particulier l’effarante et très méconnue Loi 60-525, qui, marquée par de multiples violations de la Constitution, permit en mai-juin 1960 de priver in extremis les populations africaines de référendum sur la question pourtant cruciale de l’indépendance, afin de les empêcher d’entraver, par leurs voix, le démantèlement de l’ensemble franco-africain[4] –, il est possible de suspecter que la désintégration de la Communauté était programmée depuis octobre 1958, soit dès sa création[5]… En fait, le largage des populations d’Afrique subsaharienne décidé par le Général découlait de la « certaine idée » que, de son aveu-même, il s’était « toujours » fait de la France : « un peuple européen de race blanche, de culture grecque et latine et de religion chrétienne[6]»… Bien que d’une exceptionnelle gravité, ces états de fait ne semblent pas avoir dérangé grand monde dans les milieux politiques et intellectuels français de l’époque. Faut-il croire que, lorsque le consensus est suffisant, on peut passer outre la Constitution et bafouer les principes les plus fondamentaux de la République, sans que personne ne s’en émeuve, ou presque ? Amer constat, auquel s’en ajoute un autre…

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Cinquante ans plus tard, de tels agissements ne portent nulle ombre sur le général de Gaulle. Année après année, ce dernier continue d’être présenté, par la droite comme par la gauche, avec la complicité du monde intellectuel et des médias, comme une espèce de saint républicain. Faut-il que le président Sarkozy lui-même soit bien mal conseillé, pour qu’il ait tressé, sans la moindre réserve, sans la plus petite nuance, de formidables couronnes de lauriers au fondateur de la Ve République blanciste, lors de l’inauguration du Mémorial de Gaulle à Colombey-les-Deux-Eglises, le 11 octobre 2008 ? Comme un fait exprès, quatre jours plus tard, la Marseillaise était sifflée et huée au Stade de France… Coup d’Etat militaire de mai 1958, trahison de la mission qu’il s’était solennellement assignée et au nom de laquelle il avait renversé la IVe République puis obtenu le mandat du peuple, violations multiples et caractérisées de la Constitution, affaire gabonaise, Loi 60-525, défiance confinant au mépris pour les populations d’outre-mer… On finit par se demander ce qu’il faudrait mettre au jour et démontrer pour que le Général cesse d’être une idole glorifiée jusqu’au ridicule, et absoute de tous ses manquements, pour ne pas dire plus.

Devant un tel aveuglement de nos contemporains et de nos élites, on peut s’en remettre à la psychanalyse, et rêver que les nouvelles générations « tuent le père » plus facilement que leurs aînés.

On peut aussi emprunter le sourire du sage, en se disant que décidément, cette espèce humaine est bien malléable, puisqu’elle reste fidèle à l’absurde contre toute évidence et y compris à son propre détriment. Il y aurait tant à dire sur l’histoire fictive (prétendues aspiration des populations africaines à l’indépendance, révoltes nationalistes généralisées, détestation collective de la France, et réciproquement, oblitération de l’aspiration des populations d’outre-mer à l’unité franco-africaine, du sentiment d’appartenance à la République française – ou franco-africaine –, de l’amour fou des Africains pour la France, refoulement de la culpabilité des élites métropolitaines en rupture avec les élites africaines, mais aussi avec les populations ultramarines et métropolitaines, disposées quant à elles à l’égalité politique, etc.) que la Ve République, mobilisant école, université et médias, a répandue pour masquer l’histoire réelle et justifier le divorce franco-africain ; histoire fictive, histoire de haine, dont est pétrie, notamment, la jeunesse des banlieues françaises, en grande partie d’origine africaine et nord-africaine, histoire fictive, histoire de haine qu’elle prend pour vraie et qu’elle endosse avec passion, et qui la conduit à détester la France et à conspuer son hymne… Sans que personne n’y comprenne grand-chose, tant la mécanique du refoulement de l’histoire réelle et du triomphe de l’histoire fictive a brouillé les pistes…

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Parmi les gaullistes indéfectibles, combien seraient prêts à approuver tout ce dont le de Gaulle « décolonisateur » s’est rendu coupable ? Pour s’en tenir à deux exemples, quel actuel admirateur déclaré du Général serait capable d’adhérer aux choix et agissements de son idole dans l’affaire gabonaise ou au sujet de la Loi 60-525 ?

Or il ne s’agit pas là de points de détail, mais d’épisodes historiques de toute première importance. Car si le Gabon avait obtenu la départementalisation, si les peuples d’Afrique avaient effectivement pu disposer d’eux-mêmes et de leur avenir, c’est le destin de toute une partie du continent noir, et de la France, qui en eût été changé. Et en termes de démocratie, de justice et de sécurité sociale, ce sont des millions d’hommes, de femmes et d’enfants qui auraient échappé aux affres du néocolonialisme, du sous-développement et de la tyrannie.

Sous nos yeux, les Antilles donnent l’exemple de territoires ultramarins restés dans la République. Certes, tout n’est pas rose aux Antilles. Sans doute le fait que la France ait répudié l’Afrique, ait refusé sa vocation africaine et son métissage en particulier avec le monde noir, ne contribue-t-il pas à mettre les Antillais très à l’aise dans une France blanciste qui leur tourne le dos. Au demeurant, est-il besoin d’aligner les chiffres pour démontrer qu’il fait souvent meilleur vivre dans ces territoires demeurés ancrés dans la République que dans ces Etats africains devenus souverains contre leur gré et qui furent livrés, également contre leur gré, à la dictature et au néocolonialisme – tous scandales que la départementalisation eût interdits.

Aux partisans et autres laudateurs du Général « décolonisateur », libéraux, blancistes, staliniens, trotskistes ou encore simples naïfs, il restait jusqu’à présent la conviction bien huilée selon laquelle les peuples voulaient cette indépendance qui, enrobée dans du papier d’argent, leur fit tant de mal. Démonstration est faite, concernant le Gabon en particulier, que ceci n’est qu’un mythe fabriqué par tous ceux qui, pour des raisons diverses, voulurent séparer ou débarrasser la France de ses territoires et peuples d’outre-mer.

Jusqu’à quand les hommes de bonne volonté, les hommes honnêtes continueront-ils à mentir, à se tromper ou à faire l’autruche ?

Sont-ils donc incapables, tous ces intellectuels et tous ces hommes politiques français, de dire :

« Toute proportion gardée, il y a eu deux de Gaulle, comme il y a eu deux Pétain. Il y a eu le glorieux de Gaulle chef de la France libre comme il y a eu le Pétain héros de Verdun. Et puis il y a eu l’autre de Gaulle, le de Gaulle obscur, celui de la décolonisation, auteur d’une criminelle imposture contraire aux principes les plus fondamentaux de la République, comme il y a eu le Pétain de Vichy, auteur d’une criminelle imposture contraire aux principes les plus fondamentaux de la République ».

L’urgence est pourtant là, qui commanderait de restituer l’histoire dans sa complexité inavouée, quand l’Afrique n’en finit pas de s’abîmer ou de mourir, et que la désagrégation de la France, jusque dans les plus intimes profondeurs de son cœur, se donne en spectacle sous les regards du monde. Dans le gigantesque stade qui porte son nom.
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Alexandre Gerbi

Article publié sur le site Rue 89,
le 22 octobre 2008


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Notes :

[1] Louis Sanmarco, Le colonisateur colonisé, Ed. Pierre-Marcel Favre-ABC, 1983, pp. 210-211.
[2] Charles de Gaulle, cité par Alain Peyrefitte, in C’était de Gaulle, Ed. Fayard, 1994, p. 59.
[3] In C'était de Gaulle, t. 2, pp. 457-458.
[4] En faisant voter la très méconnue Loi 60-525 selon des voies anticonstitutionnelles en mai-juin 1960, le général de Gaulle viola à plusieurs titres la Constitution. Fait notable : au sujet de cette loi, le Conseil d’Etat émit un avis défavorable (26 avril 1960), tandis que le président Vincent Auriol, ancien président de la République et, à ce titre, membre de droit du Conseil Constitutionnel, démissionna de cette institution en plein vote de la loi (25 mai 1960). Cette manipulation législative visait à priver les populations africaines de la France d’un référendum sur la question de l’indépendance. Une disposition d’autant plus étonnante que Paris mettait sans cesse en avant le « droit des peuples à disposer d’eux-mêmes »… Mais c’est qu’en réalité, le président français entendait démanteler l’ensemble franco-africain. Or les voix des populations africaines risquaient, au moins dans certains territoires, d’empêcher le Général d’accomplir son projet : débarrasser la France de ses populations d’Afrique noire. Cet épisode de la Loi 60-525, qui permit de mettre en place un « apartheid à la française », organisé à l’échelle intercontinentale, à savoir la séparation organique des populations africaines et européennes de la France. Voir L’effarante Loi 60-525, article publié sur le blog Fusionnisme le 30 juin 2007.
[5] Il n’est pas inintéressant de rapprocher l’étrange sortie du ministre de l’Outre-mer Bernard Cornut-Gentille, face à Louis Sanmarco, de cet autre élément : un an et demi plus tard, en janvier 1960, le président de Gaulle annonça subrepticement à son homologue américain Eisenhower que tous les Etats d’Afrique seraient bientôt indépendants. « (…) en janvier 1960, le président Eisenhower dit que de Gaulle lui a déclaré qu’il y aurait bientôt trente Etats indépendants en Afrique, et, quatre mois plus tard, le ministre français des Affaires étrangères, Maurice Couve de Murville, reconnaît franchement, devant Foster Dulles, que la Communauté était déjà dépassée au moment même où elle a été lancée et que la France est en train de la transformer sans songer aux demandes d’indépendance des pays africains. » Irwin M. Wall, Les Etats-Unis et la décolonisation de l’Afrique. Le mythe de l’Eurafrique, in L’Europe unie et l’Afrique, Ed. Bruylant/Bruxelles, 2005, p. 144. Là encore, avec une surprenante assurance, le pouvoir français anticipait sur les événements. Quand on sait que la Loi 60-525, votée selon des voies anticonstitutionnelles quatre mois plus tard, permit de priver les populations africaines de référendum sur l’indépendance, on comprend pourquoi le président français pouvait être si sûr de lui… Reste que, dans ces conditions, avoir informé avec six mois d’avance le président américain de l’éclatement de la Communauté française ne peut que laisser quelque peu songeur… Rappelons que, dans les faits, le gouvernement français non seulement ne s’opposa pas aux indépendances africaines, mais encore qu’il mit tout en œuvre pour qu’elles surviennent sans encombre…
[6] Cf. Alain Peyrefitte, C’était de Gaulle, Ed. Fayard, 1994, p. 52.


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11 oct. 2008

Sarkozy thaumaturge

Face à la crise qui s’amplifie
en France, en Afrique et dans le monde



L’impossible scénario
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ou
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Sarkozy thaumaturge
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par
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Alexandre Gerbi

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A l’heure où une crise financière d’une ampleur exceptionnelle fait peser de lourdes menaces économiques et sociales sur le monde, Nicolas Sarkozy a déclaré que cet événement marquait « la fin d’un monde
[1] ».

Si cette hypothèse devait se vérifier, il ne fait guère de doute, comme l’a affirmé le chef de l’Etat, qu’il faudrait mettre en place les conditions d’une reconstruction saine, c’est-à-dire procéder à un profond aggiornamento, afin de bâtir un nouveau monde, débarrassé des tares qui ont conduit aux graves difficultés actuelles.

Or cet aggiornamento pourrait bien être, aussi, de nature historiographique…




En l’an de grâce 2008, comme depuis des décennies, l’Afrique n’en finit pas d’endurer les affres de la pauvreté, de la misère, de la tyrannie et de la mort. Il est à craindre qu’épuisée par tant de souffrances, elle finisse par y laisser un peu de son âme.

De son côté, la France, en dépit des paillettes et des cotillons que déploie jour après jour la télévision, sombre lentement dans une crise d’identité aux relents délétères. En guise de symptômes, dans les banlieues ghettoïsées où prolifère la « haine », les voitures brûlent à l’envi (record battu, en toute discrétion médiatique, ce 14 juillet 2008), les bâtiments et les espaces publics sont régulièrement la proie des saccages ou des flammes, tandis que la fragmentation communautariste n’en finit pas de s’amplifier – que ces communautarismes se nourrissent d’obsessions religieuses, ethniques, raciales, ou de fanatismes revanchards...

L’ampleur du problème devrait pousser à quelque salutaire prise de conscience et délier les langues. Pourtant, c’est presque au contraire que l’on assiste… La stratégie des trois petits singes (pas vu, pas entendu, pas parler) semble tenir lieu de viatique…


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Il n’est pas si étonnant que la classe politique et l’intelligentsia françaises répugnent à avouer ce qui s’est passé il y a un demi-siècle. A l’époque – c’est un secret farouchement gardé mais, en réalité, connu de tous dans les milieux autorisés – la droite et la gauche, l’extrême droite et l’extrême gauche, coalisées pour l’occasion (à quelques exceptions près, il est vrai, éparpillées dans tous les camps), choisirent de séparer la métropole de la plupart de ses territoires ultramarins. Cette « alliance des contraires » rendit possible le vaste subterfuge que fut la soi-disant « décolonisation », dont le résultat fut de permettre au colonialisme, que la IVe République avait commencé d’abolir, non seulement de se survivre à lui-même, mais, mieux encore, de renaître en pire.

C’est que, loin de chercher à satisfaire la « volonté des peuples » habilement mise en avant par les autorités, la prétendue « décolonisation » décidée par le gouvernement métropolitain visait en réalité à rendre possible le néocolonialisme, que la démocratie réelle dans la République « une et indivisible », revendiquée et défendue par la plupart des leaders Africains, eût interdit.

La démocratie a pour caractéristique de permettre aux électeurs de sanctionner les hommes et les femmes politiques, dans le cas où leurs décisions déplaisent à la majorité du peuple. Pour autant, priver les électeurs du droit de vote – et c’est justement ce que permit la décolonisation, en boutant les Africains hors de la République – c’était libérer la classe politique métropolitaine de la sanction des électeurs ultramarins… et rendre possible, de là, la perpétuation de pratiques (néo)colonialistes, que les implacables rouages de la démocratie eussent entravées…

Mais le scandale va plus loin, et confine, pour parler franc, à l’ignominie.


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Au-delà des calculs financiers, la pseudo-indépendance des territoires d’Afrique et de leurs populations visait, aussi, à esquiver la « bougnoulisation » (selon la terminologie dont usait le général de Gaulle), c’est-à-dire à conjurer le métissage de la France, de son parlement et de son gouvernement, bref : la métamorphose de la France en vaste Ve République Franco-Africaine. Mais au lieu de cela, on érigea un ensemble dominé par Paris, constitué de petits bantoustans sous influence et exploités aussi bien pour leur main-d'oeuvre bon marché que pour leurs matières premières. C’est ainsi que, sous couvert d’« indépendances », un véritable « apartheid à la française » fut mis en place, à l’échelle intercontinentale. En ce sens, la décolonisation fut une trahison radicale de l’idéal républicain hérité de la Révolution française, en même temps que celle des promesses égalitaires de la IIIe République.

Pour parvenir à accomplir le grand divorce auquel les leaders Africains, certains jusqu’en 1960, tentèrent presque tous de s’opposer après 1945, le général de Gaulle, revenu aux affaires en 1958 sous prétexte de réaliser, précisément, l’égalité politique entre la métropole et l’Outre-mer, dut recourir à un coup d’Etat militaire, en déjouer un autre (le « putsch des généraux » d’avril 1961, organisé par ceux-là mêmes qui l’avaient ramené au pouvoir trois ans plus tôt), multiplier les fausses paroles et les subterfuges (relire en particulier le discours de Mostaganem du 6 juin 1958[2], où le Général pose un diagnostic visionnaire qu’il s’emploiera patiemment à trahir par la suite), les violations de la Constitution (voir notamment la Loi 60-525, à laquelle nous avons consacré un long article, ainsi que l’affaire gabonaise[3]), et enfin la force et parfois la barbarie, entre « barbouzeries » et massacre des Harkis.

Une fois le programme du divorce accompli, et même pendant sa réalisation, de Gaulle endossa la rhétorique mise au point et relayée par les USA et l’URSS : le « droit des peuples à disposer d’eux-mêmes » devint le grand mot d’ordre du Général. Alors que le vœu de la majorité des Africains était l’égalité politique, la citoyenneté française (ou plutôt « franco-africaine »...) pleine et entière dans la République française (ou plutôt « franco-africaine »...) fédérale, confédérale ou jacobine, c’est l’« indépendance » qui leur fut imposée, au nom de ce droit proclamé, en leur nom, par les Américains et les Soviétiques – alors qu’en dernière analyse, les Africains ne la réclamaient pas, et qu’au fond, ni Washington ni Moscou ne se souciaient de leur sort, bien plus occupés qu’ils étaient de démanteler cet ensemble franco-africain qui risquait, tôt ou tard, de leur faire de l’ombre. Il faut relire, à cette aune, la lettre d'Aimé Césaire à Thorez, souvent citée mais rarement comprise... Mais du point de vue des Soviétiques et des Etats-uniens, l’ensemble franco-africain enfin disloqué, c’était non seulement un rival qui s’évanouissait, mais encore un nouveau terrain d’expansion qui se présentait, immédiatement et à terme, un nouveau ring d’affrontement pour les deux blocs, à l’instar de l’ex-Indochine française…

Au fond, de ce point de vue, on peut dire que Soviétiques et Américains ont agi en alliés objectifs dans leurs menées anti-françaises (ou plutôt anti-franco-africaines, mais aussi, en dernière analyse, anti-africaines tout court…).

On pourrait invoquer, immédiatement après la fin de la Première Guerre mondiale, les singulières convergences et le quasi synchronisme du wilsonnisme et de la IIIe Internationale, et relever, à la veille de la Révolution d’Octobre 1917, la présence à New York de certaines des plus grandes figures de la Révolution russe, dont Léon Trotsky… On pourrait, aussi, pointer, à l’issue de la Seconde Guerre mondiale, l’étrange choix du président Roosevelt, qui consista à faire la part belle à l’URSS stalinienne. Faut-il croire qu’une telle option résulta, comme on l’entend dire souvent, du grand âge et de la maladie qui frappait le président américain, ou bien plutôt du calcul, de l’âpre stratégie d’un vieil homme qui n’avait rien perdu de sa sagacité politique ? On sait aujourd’hui que dans l’esprit de Franklin D. Roosevelt, de son aveu-même, l’URSS était une cible bien moins cruciale que les ensembles franco-africain et anglo-africain… Quoi qu’il en soit, force est d’observer qu’en livrant à Staline la moitié de l’Europe, le « plan Roosevelt » prenait, de ce fait, la France et l’Angleterre dans la tenaille soviético-états-unienne… Car tenaille idéologique il y avait bel et bien puisque, au-delà des rivalités de tous ordres qui opposaient les deux supergrands, de fortes convergences les rapprochaient sur la question impériale, qu’elle soit, du moins, française ou britannique…

Nul n’ignore aujourd’hui combien les communistes français (PCF) étaient inféodés à Moscou. Le rôle éminent que joua le PCF en faveur du divorce franco-africain, après s’être montré partisan acharné de la répression à Sétif (Algérie, 1945) comme à Madagascar (1947) en tant que membre du gouvernement, trouve ici son explication essentielle. L’espoir de s’emparer du pouvoir en France s’étant définitivement évanoui au cours de l’année 1947-1948 (et, du même coup, celui de voir tomber l’Outre-mer français dans le camp « rouge »…), le PCF et ses relais syndicaux (CGT) cessèrent, sur l’ordre de Staline, non seulement de défendre les positions françaises outre-mer mais, changeant radicalement leur fusil d’épaule, se mirent à intriguer de toutes leurs forces en faveur de l’indépendantisme en Afrique…

Quant aux libéraux, à la même époque, ils jouèrent une partition d’inspiration états-unienne, que le grand intellectuel de droite Raymond Aron diffusa en France, en chantre virtuose d’un « complexe hollandais » dont la presse américaine, comme l’a bien montré Charles-Robert Ageron, avait posé dans l’immédiat après-guerre les premiers jalons.

Enfin, aux uns et aux autres se joignirent les forces catholiques quant à elles conduites, appuyées et relayées par le Vatican en personne, et ses différents organes et ramifications. L’histoire ne dit pas si, ce faisant, Rome n’agit point en phase avec certains milieux politiques français, déjà soucieux d’esquiver les périls, en particulier religieux, d’une unité franco-africaine par trop égalitaire. L’Afrique, fort musulmane, ne risquait-elle pas de défigurer la fille aînée de l’Eglise ? Au demeurant, François Mauriac, grand intellectuel très catholique, fut l’une des figures emblématiques de cette puissante nébuleuse, à laquelle le général de Gaulle n’était, d’ailleurs, pas tout à fait étranger…

Quant à ce dernier, justement, difficile de démontrer qu’il agit, lors de son retour aux affaires, en liaison avec les Etats-Unis, comme le murmurent certains. En revanche, ce que l’on peut affirmer, c’est que Charles de Gaulle réalisa pour ainsi dire point par point le projet de Washington concernant le démantèlement de l’ensemble franco-africain, puisqu’il appliqua avec l’Outre-mer une politique exactement conforme à la vision qui prévalait dans l’administration américaine dans les années 1957-1960 [4], et selon un argumentaire directement puisé outre-Atlantique [5], de surcroît suivant des voies de toute évidence antidémocratiques.

Singulièrement, le général de Gaulle tint au plus haut niveau l’administration américaine au courant de sa politique (en la personne de John Foster Dulles puis du président Eisenhower), et bénéficia, de bout en bout, de l’appui US. Dès l’origine, en mai-juin 1958, bien qu’il se présentât comme le champion d’une « intégration » dont, de longue date, les Etats-Unis ne voulaient pas entendre parler (et que de Gaulle n’accomplira d’ailleurs pas, puisque, en dépit de ses vibrants discours, il n’en croyait pas un mot…), le Général bénéficia du soutien, au moins moral sinon matériel, de Washington…


Voilà pour le panier de crabe idéologico-stratégique de la décolonisation.



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Evidemment, la classe politique française n’est pas disposée à reconnaître cette page d’histoire monstrueuse qui, en définitive, consista en une trahison du peuple français (ou plutôt du peuple franco-africain...), de la République, de sa Constitution, de son unité et de ses principes, au profit d’idéaux d’origine étrangère, idéaux – ce qui est sans doute plus grave encore – fondamentalement fallacieux, car au service non pas des « peuples » et de leur « volonté », mais de l’impérialisme et du cynisme retors de deux superpuissances, les USA et l’URSS. Pas plus qu’elle n’est, cette classe politique française, en mesure d’assumer sa responsabilité dans les mensonges et les procédés odieux qui permettent, depuis un demi-siècle, de faire passer ce qui est, sans doute, la plus grande imposture de l’histoire de France pour une grande victoire des peuples, de la démocratie… et de la France retrouvée !

Quant aux intellectuels français (et franco-africains…), ils ne sont guère davantage en position d’ouvrir les yeux. Car eux aussi appartiennent à une caste qui porta une lourde responsabilité dans le désastre de l’apartheid à la française organisé à l’échelle intercontinentale travesti par leurs soins en glorieuse et vertueuse « décolonisation » de l'indépendance justifiée au nom du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes. Car eux aussi, les intellectuels, par leurs aveuglements moutonniers, leurs sectarismes et leurs naïvetés voire leur mauvaise foi, ont directement servi à masquer l’imposture, et à assurer son triomphe effroyable, dont l’Afrique exsangue aussi bien que la France obèse, affaiblie et minée de l’intérieur, sont la catastrophique et consternante illustration aujourd’hui.

Faut-il donc croire que cette collusion entre les politiques honteux, de droite comme de gauche, d’extrême droite comme d’extrême gauche, et les intellectuels et autres faiseurs d’opinion de tous bords mouillés jusqu’au cou, compromet l’affaire, et que la vérité sur la décolonisation tardera encore quelques décennies avant de faire surface ?

Quand les dégâts qu’engendre un tel fatras de mensonges et d’élucubrations sont manifestes du cœur de la France jusque dans les plus lointaines provinces d’Afrique, il y aurait pourtant urgence…

Que faire, donc, ou qu’espérer ?

Dans ce contexte verrouillé à double, à triple ou à quadruple tour, une seule solution : que la vérité sorte d’une bouche très haut placée, et provoque un séisme salutaire.

Voici donc ce qui pourrait se passer, et ce qui devrait se passer, pour que l’impossible devienne possible...


* * *


Par un joli soir d’automne 2008 ou de printemps 2009, le président de la République française, Nicolas Sarkozy, invité sur France 2, déclarerait à la journaliste médusée : « Oui, le général de Gaulle est une immense figure de notre histoire, un héros qui tient pour toujours une place sacrée dans nos cœurs et dans nos âmes ; oui, le général de Gaulle de la France Libre incarne à tout jamais une certaine, une grande, une immense et irremplaçable idée de la France ; oui, le général de Gaulle nous a livré un idéal, en accomplissant, avec le chancelier Adenauer, la réconciliation franco-allemande, socle fondamental de l’Europe nouvelle et pacifique ; mais oui, aussi, et je ne le dis pas sans frémir, chère Arlette Chabot : le général de Gaulle a aussi eu sa part d’ombre ».

Et là-dessus, le président Sarkozy expliquerait d’une voix solennelle : « Ce que le général de Gaulle a légué à la France, c’est ce dont elle avait le plus besoin : d’abord la liberté et l’indépendance, sans lesquelles la France n’est plus que l’ombre d’elle-même ; et puis un régime stable et digne de notre cher et vieux pays, dont les ambitions sont mondiales et la vocation universelle. Cela aussi, c’est au général de Gaulle que nous le devons, et c’est beaucoup. Mais il faut aussi reconnaître que ce splendide édifice constitutionnel, pétri de rêve et de cette vraie grandeur qui bruisse de tous les vents de l’éternité, a commis en son origine, et je pèse mes mots, Madame Chabot, une faute à l’égard de l’Afrique, mais aussi une faute à l’égard de la France et du peuple français. »

Suivraient ensuite deux salves d’une vingtaine de minutes, durant lesquelles le président Sarkozy expliquerait par le menu ce que fut vraiment la décolonisation. En substance, une « entreprise de trahison des valeurs de la République, par peur absurde du métissage », et la réalisation de « calculs financiers évidemment inacceptables au regard des convictions de la France, héritière de 1789 ». « Etre un génie, un visionnaire, cela implique de grandes forces et d’incommensurables vertus, mais cela n’exclut pas les faiblesses qui guettent même le meilleur des hommes », ajouterait le président.

Lorsque la journaliste, manifestement déstabilisée, demanderait au président où il veut en venir et s’il a bien conscience du « tsunami » qu’une telle prise de position risque de déclencher, non seulement en France, mais aussi dans le monde, celui-ci enchaînerait, à la fois grave, calme et décidé :

« Je veux en venir à la vérité, Madame Chabot, tout simplement à la vérité… Vous imaginez bien que j’ai mûrement réfléchi avant de parler ce soir, et que j’en mesure non seulement toute l’importance, tout le poids, mais aussi tous les enjeux qui, vous avez raison de le souligner, sont immenses. »

« La vérité, j’ai dit aux Français que je la leur devais, et que je la leur dirai. C’est simplement, solennellement ce que je fais ici ce soir. A chacune, à chacun d’entre nous, ensuite, en son âme et conscience, d’en tirer toutes les conséquences. De mon côté, en tant que chef de l’Etat, je vais bien sûr prendre mes responsabilités. Je vais demander au gouvernement de créer une commission pour réfléchir à ce que la France et l’Afrique pourraient faire ensemble à la lumière de cette vision de l’Histoire, qui n’est pas nouvelle, mais qui a été cachée pendant trop longtemps… Cela, évidemment, ne saurait avoir lieu sans que nos partenaires et amis Africains soient associés, s’ils le souhaitent, à cette nécessaire réflexion qui les concerne aussi directement, et au sujet de laquelle ils ont, évidemment, bien plus que leur mot à dire.

Parce que vous savez, chère Madame Chabot, les choses cachées, dans le cœur, ça fait très mal, et ça fait très mal à tout le monde. Et en Afrique autant qu’en France et en Europe, vieilles terres de mémoire, de telles réalités ont beaucoup de sens. Je dirais même qu’elles sont cruciales, et même vitales. Je crois que c’est pour cela qu’il faut avoir le courage de libérer la parole, de parler en pleine lumière, non seulement pour panser les plaies, mais aussi pour soigner et rebâtir... Entre la France, l’Europe et l’Afrique, c’est une nouvelle fraternité qu’il s’agit de construire, une fraternité ancienne et belle qu’il s’agit de ressusciter
…»


* * *
Une telle déclaration du président français serait révolutionnaire, et permettrait à Nicolas Sarkozy de tenir parole, en mettant la « vérité » au service de la « rupture », conformément aux slogans de campagne qui ont scandé son accession à la magistrature suprême.

Une telle prise de position, en sapant les mensonges et les hypocrisies qui rongent, minent et détruisent la France et l’Afrique depuis un demi-siècle, laisserait espérer la résolution, aujourd’hui malheureusement si improbable, d’une crise d’identité française que beaucoup pressentent annonciatrice de complications terrifiantes.

Une telle charge susciterait probablement l’ire de nombreux politiques et intellectuels français, de droite comme de gauche, d’extrême droite comme d’extrême gauche…

Mais puisqu’il s’agit de soulever un monde…


Alexandre Gerbi


Notes :

[1] Discours de Toulon, 25 septembre 2008.

[2] Le 6 juin 1958 à Mostaganem, face à une foule à majorité arabo-berbère, le Général déclara :
« La France entière, le monde entier, sont témoins de la preuve que Mostaganem apporte aujourd'hui que tous les Français d'Algérie sont les mêmes Français. Dix millions d'entre eux sont pareils, avec les mêmes droits et les mêmes devoirs.
Il est parti de cette terre magnifique d'Algérie un mouvement exemplaire de rénovation et de fraternité. Il s'est élevé de cette terre éprouvée et meurtrie un souffle admirable qui, par-dessus la mer, est venu passer sur la France entière pour lui rappeler quelle était sa vocation ici et ailleurs.
C'est grâce à cela que la France a renoncé à un système qui ne convenait ni à sa vocation, ni à son devoir, ni à sa grandeur. C'est à cause de cela, c'est d'abord à cause de vous qu'elle m'a mandaté pour renouveler ses institutions et pour l'entraîner, corps et âme, non plus vers les abîmes où elle courait mais vers les sommets du monde.
Mais, à ce que vous avez fait pour elle, elle doit répondre en faisant ici ce qui est son devoir, c'est-à-dire considérer qu'elle n'a, d'un bout à l'autre de l'Algérie, dans toutes les catégories, dans toutes les communautés qui peuplent cette terre, qu'une seule espèce d'enfants.
Il n'y a plus ici, je le proclame en son nom et je vous en donne ma parole, que des Français à part entière, des compatriotes, des concitoyens, des frères qui marchent désormais dans la vie en se tenant par la main. Une preuve va être fournie par l'Algérie tout entière que c'est cela qu'elle veut car, d'ici trois mois, tous les Français d'ici, les dix millions de Français d'ici, vont participer, au même titre, à l'expression de la volonté nationale par laquelle, à mon appel, la France fera connaître ce qu'elle veut pour renouveler ses institutions. Et puis ici, comme ailleurs, ses représentants seront librement élus et, avec ceux qui viendront ici, nous examinerons en concitoyens, en compatriotes, en frères, tout ce qu'il y a lieu de faire pour que l'avenir de l'Algérie soit, pour tous les enfants de France qui y vivent, ce qu'il doit être, c'est-à-dire prospère, heureux, pacifique et fraternel.
A ceux, en particulier qui, par désespoir, ont cru devoir ouvrir le combat, je demande de revenir parmi les leurs, de prendre part librement, comme les autres, à l'expression de la volonté de tous ceux qui sont ici. Je leur garantis qu'ils peuvent le faire sans risque, honorablement.
Mostaganem, merci ! Merci du fond de mon cœur, c'est-à-dire du cœur d'un homme qui sait qu'il porte une des plus lourdes responsabilités de l'Histoire. Merci, merci, d'avoir témoigné pour moi en même temps que pour la France ! Vive Mostaganem ! Vive l’Algérie ! Vive la République ! Vive la France ! Vive l’Algérie française !
»

[3] Après le référendum de septembre 1958 sur la Communauté française, fort de résultats triomphaux (92% de « oui » au Gabon), Léon Mba, président du Conseil du Gouvernement gabonais, s’appuyant sur l’article 76 de la Constitution qui lui en donnait la possibilité, choisit d’opter pour la départementalisation. Conformément aux termes de la Constitution, en accord avec le Conseil de Gouvernement du Gabon, il chargea Louis Sanmarco, gouverneur colonial très apprécié des Africains, d’en formuler la demande auprès des autorités métropolitaines. Reçu à Paris par le ministre de l’Outre-mer, Bernard Cornut-Gentille, Louis Sanmarco se vit opposer une fin de non-recevoir. « Sanmarco, vous êtes tombé sur la tête ? N’avons-nous pas assez des Antilles ? Allez, indépendance comme tout le monde ! », lui asséna vertement le ministre. Voir Louis Sanmarco, Le colonisateur colonisé, Ed. Pierre-Marcel Favre-ABC, 1983, pp. 210-211. Voir également Entretiens sur les non-dits de la décolonisation, de Samuel Mbajum et de Louis Sanmarco, Ed. de L’Officine, 2007.

[4] Vision dont on peut suivre le « fil rouge » depuis au moins Wilson, voire la généalogie depuis la doctrine de Monroe. En 1823, avec la « Doctrine de Monroe », les Etats-Unis avaient posé que l'Europe n'avait rien à faire sur le continent américain. Moins d’un siècle plus tard, l’Amérique pour ainsi dire tout entière étant devenue leur chose, la Doctrine de Monroe devint, de ce fait, obsolète. Les Etats-Unis inventèrent alors le « wilsonisme », sorte de nouvelle version de la Doctrine de Monroe, élargie au plan planétaire : en affirmant le « droit des peuples à disposer d’eux-mêmes », les USA affirmaient du même coup que les Européens n’avaient rien à faire hors d’Europe…

[5] via Aron, notamment, vulgarisé en « cartiérisme », ce « cartiérisme » que dénonçaient, précisément, la totalité des leaders Africains.

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