20 mars 2009

Départementalisation de Mayotte

Départementalisation de Mayotte
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Prisonniers
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d'une histoire ancienne
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Alexandre Gerbi
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Le 29 mars prochain, par référendum, Mayotte se verra proposer de devenir un département français.

Le rapport (UMP-PS) de la Commission des Lois explique :

« L’attachement indéfectible de la population de Mayotte à la France, la constance et la force de son aspiration à se rapprocher du droit commun de la République créent des devoirs pour notre pays : prendre en compte cette volonté constitue une exigence démocratique. »


Entre exigence démocratique et… sociale ?

A l’approche du cinquantenaire des indépendances africaines (1960-2010), en accomplissant symboliquement la mutation refusée il y a un demi-siècle, l’Etat français espère-t-il démontrer à la face du monde sa rupture avec la Ve République blanciste ?

A examiner le projet de plus près, loin d’accueillir fraternellement dans la communauté nationale 185.000 Mahorais majoritairement noirs et musulmans, il semble plutôt que le gouvernement s’apprête à faire de Mayotte le théâtre d’une énième aventure ambiguë. Dans la plus pure tradition du régime…

Un seul exemple.

Dans le 101e département français, nos « concitoyens mahorais » seront gratifiés d’un RMI qui ne sera pas le même qu’en métropole. Il lui sera même quatre fois inférieur.

« (…) ce bouleversement déstabiliserait l’économie mahoraise », explique la Commission des Lois.

En son temps, le Ministère de l’Economie Fabius-Parly invoqua semblable souci de l’équilibre des économies locales pour justifier son refus d’appliquer un arrêt du Conseil d’Etat recommandant la « décristallisation » des pensions des anciens combattants africains (ou plutôt franco-africains…).

Force est de constater que le sous-développement (ou le niveau de vie) de la Corrèze n’a jamais induit des tels ajustements…


L’égalité ? Oui… mais

L’Etat français prétend appliquer à Mayotte l’égalité républicaine. Mais fidèle à la tradition typiquement colonialiste du « deux poids deux mesures », il commence par en exclure les montants du RMI et du SMIC, en arguant d’un sous-développement local dans lequel, pourtant, sa responsabilité est patente.

« Une civilisation qui s'avère incapable de résoudre les problèmes que suscite son fonctionnement est une civilisation décadente. Une civilisation qui choisit de fermer les yeux à ses problèmes les plus cruciaux est une civilisation atteinte. Une civilisation qui ruse avec ses principes est une civilisation moribonde », écrivait Aimé Césaire dans son Discours sur le colonialisme.

Comment les députés français peuvent-ils craindre que Mayotte ne sache, dans l’avenir, offrir du travail à sa jeunesse, et lui infliger dans le même temps un sous-régime salarial et social qui pourrait durer jusqu’à « 25 ans » ? Quelle est cette rupture qui emprunte au système qu’elle prétend abattre certaines de ses recettes les plus rances ?

L’Union Africaine a condamné par avance ce référendum organisé sur une terre « occupée par une puissance étrangère », et le colonel Kadhafi accuse la France de « néocolonialisme ». Les députés de la Commission s’en sont offusqués. Pourtant, en traitant comme à son habitude les ultramarins en Français de seconde zone, Paris justifie ces grondements et ces attaques.

Car la départementalisation de Mayotte nous confronte à des problématiques coloniales ou néocoloniales, et s’inscrit dans un contexte historique, politique et géographique complexe.

Or celui-ci est largement caché, voire falsifié, par la Commission des Lois et le gouvernement français, mais aussi par la « gauche de la gauche » française, et certaines des plus hautes instances internationales…


La Révolution anjouanaise

Eté 1997. A l’issue de grèves de longue durée, de soulèvements populaires, de fête nationale non chômée et de 14-juillet fêté, Anjouan et Mohéli font sécession de la République des Comores, et proclament leur rattachement à la France.

A l’époque, l’Union Européenne, l’OUA et Paris condamnent la sécession, et Grande Comore finit par organiser un débarquement militaire pour faire rentrer les « rattachistes » dans le rang. En vain. L’unité de la République des Comores, devenue Union fédérale, ne s’en est jamais vraiment remise.

De là, on comprend qu’aujourd’hui Grande Comore exige plus que jamais la rétrocession de Mayotte, et que celle-ci ne veuille pas en entendre parler.

On comprend aussi que, contrairement à la « volonté » des Mahorais, pas plus en 2009 qu’en 1997 (ou en 1981…) celle des Anjouanais et autres Mohéliens n’inspire à la Commission des Lois et au gouvernement français une quelconque « exigence démocratique »…


Les errements d’une certaine gauche

Dans l’Humanité, le 12 mars 2009, on lisait :

« Jean-Paul Le Coq (PCF) a rappelé, au nom des députés communistes et du Parti de gauche, que « la séparation arbitraire de Mayotte viole l’intégrité territoriale de l’archipel des Comores et suscite légitimement les condamnations internationales, notamment des États-Unis » ».

A suivre le PCF et le Parti de Gauche, faudrait-il que la France impose l’indépendance à Mayotte, et somme ses populations d’intégrer l’Union des Comores, avec la bénédiction de Washington, selon les méthodes appliquées à l’Afrique française en 1960 ?

Cette gauche stalino-trotsko-sartrienne française, prisonnière d’une histoire absurde ou criminelle qui l’a conduite, il y a cinquante ans, à trahir les rêves égalitaires des Africains au profit de l’impérialisme soviétique et de ses cauchemars (mais aussi, dans les faits, des néocolonialismes français, états-uniens, et autres), se dresse maintenant contre l’unité franco-mahoraise.

Que ne suit-elle dignement l’idéal d’un Senghor, d’un Lévi-Strauss ou même d’un Césaire, tels que la République blanciste, PCF compris, les élimina ou les écrasa, les dégoûta et les aliéna, parce qu’elle refusait de bâtir avec l’Outre-mer un projet fraternel… Il faut relire la lettre de démission d’Aimé Césaire à Maurice Thorez en 1956.


Les monstres de faïence

Si le gouvernement français, dans un respect strict et mutuel avec ses interlocuteurs comoriens et dans un dialogue permanent avec l’Union Africaine, songeait à ouvrir honnêtement et fraternellement les très épineux dossiers d’Anjouan et de Mohéli, il romprait radicalement avec une tradition abjecte.

Or, par un paradoxe qui n’est qu’apparent, s’il s’avisait d’accomplir enfin les rêves de Senghor, de Lévi-Strauss et de Césaire – et même peut-être ceux de Rosa Luxembourg – le gouvernement français trouverait sur sa route une extrême-gauche galvanisée.

Non d’ailleurs sans quelques bonnes raisons, tout de même, puisque le régime, à l’image de son projet de départementalisation de Mayotte ou d’autonomie des Antilles, traîne de vieilles démangeaisons inégalitaires et colonialistes…

Ce face-à-face, absurde et monstrueux, où chacun des adversaires trahit, dans les deux cas et chacun à sa façon, tout à la fois les Nègres, la France, le peuple, la République et ses principes, est le paradigme de tout un système. Espérons-le, agonisant.




Alexandre Gerbi




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