22 sept. 2009

De Hortefeux aux Harkis : Entrechats du blancisme et autre monde

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De Hortefeux aux Harkis :


Entrechats du blancisme

et autre monde



par


Alexandre Gerbi
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La grasse vanne sur les « Arabes » de Brice Hortefeux, ministre de l’Intérieur, a provoqué une tempête médiatique et politique particulièrement spectaculaire.

Au même moment, Zohra Benguerrah, Abdallah Krouk et Hamid Gouraï, fille et fils de Harkis, assiègent l’Assemblée nationale, à Paris. Leur voiture est leur chambre, leur salle à manger est un banc public, et leur maison est le trottoir. Chaque jour depuis bientôt cinq mois, ils déploient d’immenses banderoles au vitriol sur la place Edouard Herriot, sous le nez des députés. En juristes implacables, documents à l’appui, ils accusent Nicolas Sarkozy, président de la République, de parjure et de duplicité.

Or pour l’heure, l’action des trois assiégeurs fait l’objet d’un écho médiatique et politique quasiment nul…

Deux poids, deux mesures ? Myopie historique ? Incohérence ?

Pas si sûr…

De Gaulle en miniature

D’un côté, la blague foireuse de Brice Hortefeux, qui, cynique ou ironique selon les arrière-pensées qu’on lui prête, n’est que la reproduction, en miniature, de cette réflexion par laquelle Charles de Gaulle justifia l’indépendance qu’il imposa aux populations africaines il y a bientôt cinquante ans :

« C'est très bien qu'il y ait des Français jaunes, des Français noirs, des Français bruns. Ils montrent que la France est ouverte à toutes les races et qu'elle a une vocation universelle. Mais à condition qu'ils restent une petite minorité. Sinon, la France ne serait plus la France.»

D’un autre côté, l’action menée par les Harkis au Palais Bourbon, qui fait l’objet d’un black-out médiatique presque intégral, alors que la tragédie des Harkis et des Algériens francophiles (entre 45.000 à 150.000 morts au lendemain de l’indépendance algérienne, puis aliénation des rescapés dans des camps en France, mépris, injure, calomnie) fut la conséquence d’un système de pensée dont la blague de Brice Hortefeux semble un avatar dérisoire…

Sous certains rapports, on le devine, ces événements, tout comme le traitement qui en est fait, relèvent en réalité du même système, et s’y inscrivent. Or pour notre société, ce système se trouve être un tabou absolu. Car si ses secrets étaient révélés au grand public, ils pourraient bien discréditer, pour le dire vite, deux générations d’hommes politiques, deux générations d’historiens, et deux générations d’intellectuels français. Difficile d’imaginer plus puissant séisme. Cela ressemblerait peut-être à une révolution…

Préservation de la France blanche, gréco-latine et chrétienne

L’Histoire de la Ve République blanciste, aujourd’hui encore presque totalement occultée, constitue ce secret explosif.

Il y a un demi-siècle, foulant aux pieds les principes les plus fondamentaux de la France, le gouvernement dirigé par le général de Gaulle débarrassa la République de ses territoires et populations d’Afrique. Pour préserver, selon un trait emprunté à Barrès, une « certaine idée de la France » et des Français :

« Nous sommes quand même avant tout un peuple européen de race blanche, de culture grecque et latine et de religion chrétienne », martelait en coulisse l’ermite de Colombey.

Bénéficiant de la complicité, active ou passive, et pour toutes sortes de raisons, d’abord de l’Armée dupée, puis, jusqu’au bout, de la plus grande partie de la classe politique et d’une fraction importante de l’intelligentsia françaises, de droite comme de gauche, d’extrême-droite comme d’extrême-gauche, le Général obtint la sécession des anciennes colonies africaines de la France, qu’il présenta habilement comme le triomphe du « droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ».

Alors même que les populations d’Afrique, y compris en Algérie, aspiraient bien davantage à l’égalité, garante de liberté et de fraternité.

Mais de leur avis, le Général et ses alliés n’avaient cure...

Apartheid à l’échelle intercontinentale

Présentée comme une merveille visionnaire et humaniste, la prétendue décolonisation gaullienne, réalisée au mépris des populations d’outre-mer, fut conçue comme un tremplin du néocolonialisme. A telle enseigne que la plupart des nouveaux Etats continuèrent d’être dirigés depuis Paris, via les « réseaux Foccart » et autres hommes de main. De ce point de vue, l’opération permit la mise en place d’un véritable apartheid organisé à l’échelle intercontinentale, dont notre époque, plus que jamais, porte les atroces stigmates.

« Si nous faisions l’intégration, si tous les Arabes et Berbères d’Algérie étaient considérés comme Français, comment les empêcherait-on de venir s’installer en métropole, alors que le niveau de vie y est tellement plus élevé ? Mon village ne s'appellerait plus Colombey-les-Deux-Eglises, mais Colombey-les-Deux-Mosquées ! »

Dans son entreprise de démolition de l’ensemble franco-africain, le Général savait qu’il devrait vaincre plusieurs forces. Notamment celles des Africains, mais aussi des Algériens. Par mélange de bon sens, de pragmatisme et d’amour parfois passionnel pour ce qu’ils appelaient la « vraie France », la plupart des ultramarins considéraient que l’instauration de l’égalité politique pleine et entière entre tous les habitants de la métropole et de l’outre-mer serait le meilleur moyen d’abolir le colonialisme et d’assurer l’unité de la République. Le plus souvent, l’indépendance n’était vue que comme un ultime recours, un déchirement à éviter autant que possible. Machiavel avança donc masqué.

Pour revenir au pouvoir, de Gaulle prétendit accomplir un programme égalitaire révolutionnaire (cf. Discours d’Alger et de Mostaganem, 4 et 6 juin 1958) qu’avait défini et porté l’avant-garde de l’école anthropologique française. En particulier Claude Lévi-Strauss, en 1955 dans Tristes Tropiques, l'année même où Soustelle, son collègue et ami, fut nommé gouverneur général en Algérie par Pierre Mendès France, et lança l'intégration. L’intégration c’est-à-dire, au contraire de l’assimilation, la fusion dans le respect et la compréhension réciproque des cultures, pour l’échange et dans l'égalité. Au gré d’un certain esprit du temps, c’était un peu la pensée des Africains de l’après-guerre qui s’apprêtait à triompher : Soustelle connaissait Senghor depuis vingt ans, et ne cachait pas que son projet s’était ébauché, notamment, en parlant avec lui… Feignant, avec brio, d’appartenir à cette galaxie nouvelle et d’en vouloir accomplir les plus grands espoirs, le Général s’attira immédiatement une phénoménale popularité auprès des masses musulmanes algériennes, ainsi que dans le reste de l’Afrique…

Or l’homme comptait faire exactement le contraire de ce qu’il annonçait.

« Avez-vous songé que les Arabes se multiplieront par deux puis par cinq, pendant que la population française restera presque stationnaire ? Il y aurait deux cents, quatre cents, six cents députés arabes à Paris ? Vous voyez un président arabe à l’Élysée ? »

Ou un Nègre…

Devenu maître du pays pour sept ans (janvier 1959), de Gaulle tomba rapidement le masque.

Largages et retour du refoulé

Sans tarder, le Général-Président bouta les Africains hors de la République, en refusant la départementalisation au Gabon (Affaire gabonaise, 1958) puis en dépossédant les populations d’Afrique subsaharienne du droit à l’autodétermination (Loi 60-525, mai-juin 1960). Ayant de la sorte réduit l’Algérie à une incongruité politique, déjouant les ralliements (Affaire Si Salah, 1960), il pactisa avec les indépendantistes du FLN, fussent-ils sanguinaires et fanatiques, et les accepta comme interlocuteurs exclusifs. Enfin, il leur livra non seulement le pays et ses populations, mais aussi les partisans arabo-berbères de la France, ainsi voués à la terreur et, pour beaucoup, au supplice et à la mort. Sous les applaudissements du reste du monde, et les larmes de crocodile de Washington acclamant aussi.

Depuis les années Giscard et, plus encore, les années Mitterrand et Chirac, la société française a été le théâtre d’un lent retour du refoulé. Le blancisme fondateur du régime est progressivement devenu une obsession du système, bien sûr jamais formulée, et cristallisée dans la dénonciation fébrile, obsessionnelle jusqu’à l’hystérie, jusqu’au narcissisme, jusqu’à l’ostentation, jusqu’au business, du racisme. Avec le peuple français (et non pas, bien sûr, ses élites intellectuelles et politiques, blanches comme neige…) dans le rôle de bouc émissaire perpétuellement accusé et sommé d’expier. Ce peuple français qui, pourtant, en 1958, avait approuvé à 80% l’application du rêve de Claude Lévi-Strauss, la politique d’Intégration des populations arabo-berbère d’Algérie…

Au demeurant, en dépit de la sainte horreur que lui inspire le racisme, le système politique, intellectuel et médiatique français, jusqu’à aujourd’hui, continue de sacrifier sans nuance à la doctrine de la Ve République blanciste, ce mythe qui affirme qu’Africains et Algériens rêvaient collectivement, et à tout prix, de se séparer de la France. Propagande qui permit à l’époque – et permet toujours aujourd’hui – de justifier l’abandon.

Ainsi peut s’expliquer le « deux poids deux mesures » dont nous parlions plus haut…

Un député à l’accent rocailleux

Comment, dira-t-on, la société médiatico-politique qui se déchaîne contre Brice Hortefeux, peut-elle continuer de servir sagement, dans le même temps, l’histoire officielle de la Ve République blanciste ?

Comment hurler en toute occasion contre le racisme, et perpétuer simultanément une légende qui sert à occulter que le démantèlement de l’ensemble franco-africain répondit à des motivations odieuses, affreuses, et emprunta des voies totalement contraires aux principes les plus fondamentaux de la République ?

En attendant, comme en symbole, Zohra Benguerrah, Abdallah Krouk et Hamid Gouraï continuent de vivre sur le trottoir de la Ve République blanciste, à côté de l’Assemblée nationale, dans l’indifférence générale des médias et des politiques…

Jusqu’à ce qu’un mercredi de septembre 2009, un député venu de la France profonde, réputé pour son goût pour l’héroïsme, son accent rocailleux et sa voix de stentor, vienne déclarer aux trois assiégeurs que tout ceci est décidément scandaleux et ignoble, et promette de secouer un de ces mercredis l’hémicycle endormi. Et tienne parole davantage que l’hôte de l’Elysée …

Alors peut-être le blancisme structurel connaîtra son premier grand ébranlement. Et l’altermondialisme l’un de ses plus fastes et orgueilleux départs…




Alexandre Gerbi




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4 sept. 2009

Troubles au Gabon : La vérité peut-elle encore attendre ?

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Troubles au Gabon :


La vérité peut-elle

encore attendre ?


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par
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Alexandre Gerbi
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Les événements inquiétants qui adviennent ces jours-ci au Gabon – avec en point d’orgue, pour le moment, l’incendie du consulat de France à Port-Gentil – méritent de rappeler quelques secrets de la Ve République blanciste…

De la sorte, on comprendra mieux, et en profondeur, ce qui se joue actuellement du côté de Libreville…

Largage gaullien de Nègres

En 1960, le général de Gaulle largua les anciennes colonies de l’Afrique dite française, au motif que les Français sont des Blancs et les Africains des « Nègres » ou des « Bougnoules ». Selon ses propres mots. Les uns et les autres étant évidemment, selon lui, incompatibles.

De fait, l’octroi de l’égalité politique aurait conduit au métissage de la France, et entravé, par-dessus le marché, l’exploitation colonialiste. L’égalité politique ayant ceci de détestable qu’elle implique l’égalité sociale…

A l’époque, bien entendu, l’habile Général prétendit satisfaire le « droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ». Et tout le monde fit semblant d’y croire. Soviétiques et Américains en tête, relayés en France par les communistes et les libéraux, Sartre et Aron comme figures de proue.

Quant aux Africains, ils durent la boucler. Les élites, parce qu’elles restaient soumises à la toute-puissance de Paris – ceux qui prétendirent s’en affranchir le payèrent de leur pouvoir ou de leur vie. Du reste, on fit en sorte qu’elles y trouvent leur compte…

Le peuple, lui, fut simplement méprisé : au dernier moment, la Loi 60-525 (mai-juin 1960), au prix d’une quadruple violation de la Constitution, le priva du droit à l’autodétermination.

Ainsi le largage put avoir lieu dès le mois suivant, sans que les masses africaines puissent y opposer leurs suffrages…

1958 : la départementalisation refusée

Dans ce vaste scandale, le Gabon présentait un cas extrême.

En 1958, cherchant à tirer partie des événements (relire le discours de Mostaganem de Charles de Gaulle le 6 juin 1958) s’appuyant sur l’article 76 de la Constitution, le Conseil de gouvernement du Gabon, dont le président était Léon Mba, demanda que le territoire devienne un département français. Transgressant la Constitution, de Gaulle refusa vertement. Ainsi, deux ans plus tard, le Gabon prit « paisiblement le chemin de l’indépendance », selon l’expression du Général.

Dès cette époque, pourtant, l'avenir pétrolier du Gabon s'annonçait grassouillet. Mais sachant que l’indépendance – fictive – n’entraverait nullement l’exploitation du pétrole gabonais (entre autres ressources) et que, par ailleurs, la départementalisation risquait de montrer le mauvais exemple aux autres territoires africains qui auraient pu, dès lors, s’engouffrer dans la brèche et réclamer le même statut, l’Etat français imposa donc la sécession à Libreville...

Le règne de l’agent Bongo

Par la suite, le pétrole gabonais tint ses promesses. En 1967, succédant à Léon Mba, l’agent secret français Albert-Bernard Bongo devint donc président de la République.

Ainsi s’ouvrit un règne de 41 ans durant lequel Bongo, devenu Omar pour simplifier les choses à l’OPEP – organisation à laquelle le Gabon avait adhéré –, servit à la perfection les intérêts de l’Etat français. Notamment au plan pétrolier, conformément à sa mission initiale. En coulisse, le Gabon reçut le surnom de « colonie Elf ».

Dans le même temps, Bongo maqua le pays en arrosant une clientèle pléthorique à sa dévotion. Il neutralisa l’opposition politique selon la même méthode. En contrepartie, le peuple fut de plus en plus laissé pour compte, comme les infrastructures. A Paris, nul ne songea à lui en faire grief, puisque Omar arrosait aussi à l’extérieur, en particulier les partis politiques français…

Le cas Verschave

Au milieu des années 1990, en France, surgit un chevalier blanc : François-Xavier Verschave, qui disséqua dans plusieurs ouvrages retentissants les réseaux africains de l’Etat français (Foccart-Pasqua-Mitterrand), dont le Gabon était l’un des suprêmes sanctuaires.

Dans ses livres, étrangement, l’érudit Verschave ne mentionna jamais le versant politiquement incorrect de l’Histoire du Gabon. Jamais le chevalier blanc ne rappela que le Gabon avait souhaité devenir département français en 1958, et s’était vu envoyer paître…

C’est que, sous ses apparences d’iconoclaste et de boutefeu, M. Verschave sacrifiait à une doxa qui, d’une façon ou d’une autre, glorifiait en France et dans le reste du monde le divorce franco-africain…

Toujours est-il que ses travaux, remarquablement documentés et pertinents dans leur critique du néocolonialisme, firent florès, et frappèrent bien des esprits en Afrique subsaharienne, y compris au Gabon.

Le pays coupé en deux

Tout cela permet de comprendre deux choses de l’actuelle situation gabonaise.

D’une part, que le Gabon est aujourd’hui coupé en deux, entre partisans de Bongo et ennemis de Bongo. Hier Omar, aujourd’hui Ali, son fils, proclamé président le 3 septembre 2009.

D’autre part, que les Gabonais, objets comme les Français d’un lavage de cerveau orchestré tant par la Ve République gaullienne que par la gauche stalino-trotsko-verschavienne, sont voués à s’opposer à la France dans tous les cas de figure.

Si l’Etat français soutient Bongo, les Gabonais anti-Bongo dénonceront violemment la France néocolonialiste. En revanche, si l’Etat français soutient les ennemis de Bongo, les Gabonais pro-Bongo hurleront contre la France… néocolonialiste ! C’est tellement commode…

Gabon, France, Europe

Dans ce superbe piège, Sarkozy et le pauvre Kouchner, tous deux prisonniers des mensonges fondateurs de la Ve République blanciste, sont condamnés à affecter une subtile neutralité, c’est-à-dire à caresser tout le monde dans le sens du poil. En espérant que ça n’explose pas.

Et si ça explose, que faire ?, dira-t-on.

Que la France se taise enfin !, triompheront certains…

Et si tout simplement, dès maintenant, sans attendre le pire, Paris commençait par dire la vérité sur l’Histoire franco-africaine ? Et qu’à partir de là, adossée à l’Europe, la France, libérée des turpitudes gaullo-sartriennes, se décide à parler cartes sur table et, surtout, les yeux dans les yeux, avec le Gabon et ses populations meurtries.

Quitte à en tirer toutes les fraternelles conséquences…



Alexandre Gerbi




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2 sept. 2009

Les Harkis, Marie-George, Nicolas et les autres

Toujours en ce moment à Paris...
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Les Harkis, Marie-George,

Nicolas et les autres


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par
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Alexandre Gerbi
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Après le printemps vint l’été, et maintenant la rentrée. En attendant l’automne, Zohra Benguerrah, Abdallah Krouk et Hamid Gouraï continuent d’assiéger l’Assemblée nationale. Au compteur : déjà quatre mois d’épreuves, dans un black-out médiatique quasi-total.

Rappel des faits.

31 mars 2007. Avide de voix, le candidat Sarkozy s’engage à reconnaître, en cas de victoire, les éminentes responsabilités de l’Etat français dans l’interminable tragédie des Harkis : serments trahis, interdiction de rapatriement, désarmement, abandon, massacre, puis aliénation des rescapés dans des camps, enfin mépris et calomnie…

Deux ans plus tard, l’heureux élu n’a pas tenu ses engagements. Alors le 5 mai 2009, trois « assiégeurs » débarquent au Palais Bourbon. En guise de réponse, l’Elysée se claquemure dans le silence.

Zohra, Abdallah et Hamid vivent chaque jour supplémentaire passé sur le trottoir comme une nouvelle injure du pouvoir sarkozyen. A la mi-juin, ils se voulaient confiants. Ils accusent aujourd’hui le chef de l’Etat de cynisme et de duplicité.

« Chorba » pour Claude Guéant

Selon eux, le blocage vient d’abord de l’entourage présidentiel. En particulier du secrétaire général de l’Elysée, Claude Guéant. Place Edouard Herriot, sur l’une de leurs pancartes, on découvre la lettre qu’ils lui ont envoyée, le 18 août. Reprenant un article du Canard enchaîné (12/08/2009) relatant une obscure affaire de piston au profit du fils de M. Guéant, les assiégeurs ironisent sur le règne des petites combines, ceux à qui elles profitent, et les autres, dont ils font partie… Beaux joueurs, ils invitent néanmoins Claude Guéant à une « chorba pour TOUS ». L’homme n’est pas encore venu déguster la succulente soupe algérienne…

Qu’on se le dise : Zohra, Abdallah et Hamid ont décidé de rendre coup pour coup.

Ainsi le décret d’application signé par François Fillon, le 5 juin 2009, qui prévoit notamment des emplois réservés pour les fils et filles de Harkis. A l’aune de l’autisme élyséen, ledit décret, survenu un mois jour pour jour après le début de leur action, leur apparaît désormais comme un évident contre-feu, une énième gamelle jetée au visage de la communauté harkie. Dénonçant la diversion et l’imposture, ils attaquent donc le Premier ministre, ainsi que plusieurs membres de son gouvernement, devant la Cour de Justice de la République (CJR)…

Mieux encore, à leurs yeux, l’hôte de l’Elysée, avec deux ans et demi de recul, est l’auteur d’un mensonge électoraliste. Férus de droit, nos trois compères ont donc déposé plainte contre le simple citoyen Sarkozy (pas encore président au moment des faits…) devant le Tribunal de grande instance de Paris. Arrêt « Breisacher » à l’appui, afin de faire suspendre la prescription pénale.

S’il n’est pas réélu en 2012, Nicolas Sarkozy pourrait donc être mis en examen. Du moins très théoriquement…

Le monde merveilleux de Nicolas Sarkozy

Heureusement, ces fâcheux procès n’auront pas lieu, car nous vivons dans un monde merveilleux. Le blancisme, sa morgue et ses méthodes, sont révolus. Le capitalisme rapace, le néocolonialisme sont abolis, comme d’ailleurs le mensonge. Voici l’époque de la Vérité mise à nu, telle que promise sur tous les tons par Nicolas Sarkozy.

Par conséquent, si le vertueux Sarko se tait, c’est qu’il attend que le fruit soit mûr. Il a planté des graines dans un terrain historique follement fertile, plein de lisiers azotés et autres excréments enrichis, et il attend patiemment que ça pousse…

Et apparemment ça pousse, justement…

Il y a deux mois, nous ricanions bêtement en imaginant la coalition anti-sarkozyenne que pourrait susciter un coming-out présidentiel, touchant au désastre harki et à son corollaire géant : le largage de l’Afrique en général, de l’Algérie en particulier, il y a bientôt un demi-siècle, par l’Etat français…

Nous pointions l’usage que pourrait en faire contre lui la gauche, jamais lasse d’hypocrisie sur le sujet, à l’heure où approche à grands pas le cinquantenaire des « indépendances » africaines…

Le coup de théâtre épistolaire de Marie-George

Or courant juillet, coup de théâtre. Relayée par le MRAP, une lettre de soutien signée Marie-George Buffet, datée du 26 juin 2009, arrive dans les mains des assiégeurs. On y lit :

« (…) la nation doit réparation aux harkis ; la France a été très longue à reconnaître les préjudices qu’ils ont subis. Après avoir entraîné les harkis dans la tourmente d’une guerre fratricide et bien souvent jusqu’au point de non-retour, les gouvernements français de l’époque n’ont pas tenu leurs engagements à leur égard. La plupart ont été abandonnés à leur sort sur place et ceux qui purent gagner la France se retrouvèrent avec leurs familles dans des situations dramatiques, misérables, d’exclusion et de mépris. »

Pour qui connaît les arcanes idéologiques du PCF, son catéchisme, ses tabous, ses blocages, voilà qui décoiffe un tantinet…

Sans doute serait-il naïf d’en conclure qu’une nouvelle déstalinisation s’amorce, qui conduira à l’expiation des alliances objectives, des collusions tragiques que les Communistes entretinrent avec le projet gaullien de largage de l’Afrique…

Au demeurant, si par extraordinaire le Colonel-Fabien voulait engager un tel mea culpa, nécessaire autant que révolutionnaire, le ralliement à la cause harkie constituerait, à l’évidence, une étape primordiale. Or c’est désormais chose faite, qui l’eût cru, sous la plume de Mme Buffet elle-même…

On ne saurait trop espérer qu’à l’exemple de la secrétaire nationale du PCF, la gauche tout entière s’attèle à cette cause immense qui la concerne si cruellement. Car alors l’archange de la Probité nommé Sarkozy pourra enfin accomplir son impossible dessein : démasquer le de Gaulle des années 1958-62, et désavouer solennellement ses criminelles manigances. Sans craindre outre mesure, grâce au puissant appui du camp d’en face, l’ire des gaullistes « orthodoxes » médusés, isolés et marginalisés.

Mais hormis, semble-t-il, le PCF, la gauche française a-t-elle encore un cerveau et une once de dignité ? Faute d’avoir un cœur à la place du portefeuille, ou un idéal plutôt qu’un nombril…


Alexandre Gerbi




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