24 févr. 2009

Antilles et Guyane : Largages en ligne de mire ?

Tandis que la crise perdure en Guadeloupe
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Antilles et Guyane :
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Largages en ligne de mire ?
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Alexandre Gerbi
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Ces temps-ci, difficile de dire si la Ve République blanciste agonise, ou si, sous prétexte d’en finir avec ses vieux démons, elle s’apprête à connaître l’une de ses innombrables métamorphoses afin de mieux poursuivre ses objectifs fondateurs… Le régime nous a habitués, depuis un demi-siècle, à trop de duplicité, pour que nous n’appréhendions pas aujourd’hui avec la plus extrême méfiance ses nouvelles déclarations d’intention.

A l’occasion de l’embrasement de la Guadeloupe sous la houlette d’un collectif dont le leader, Elie Domota, se trouve être aussi indépendantiste, voici qu’affleure çà et là, y compris dans la bouche du chef de l’Etat, la question de l’indépendance. Bien sûr, pour le moment, le mot en tant que tel reste tabou et n’est pas prononcé. On préfère parler d’une très honorable révision du « statut » des DOM dans de très opportuns « états généraux »…

Yves Jégo, secrétaire d’Etat à l’Outre-mer, déclarait sur le plateau de Ripostes (France 5), le 22 février : « Qu’est-ce que dit le président (Sarkozy) ? Il dit (…) "gouvernance" au sens large... Alors autonomie, décentralisation… Posons-nous les questions. (…) Je pense qu’effectivement, dans des régions aussi éloignées de la métropole, il faut que les formes de gouvernance locale permettent aux acteurs locaux d’avoir plus de responsabilités, la Constitution le permet, le président de la République est prêt à ouvrir ce débat, mais il faut qu’on ait aussi le courage de dire que plus de responsabilités ce sera, quelque part, moins d’Etat ou mieux d’Etat (…) »

L’histoire de la France colonialiste enseigne que, sur le chemin du largage déguisé en indépendance, l’autonomie fait souvent office d’étape, voire de tremplin. Or, tantôt à mots couverts, tantôt ouvertement, c’est bien d’autonomie qu’il est aujourd’hui question tous azimuts. En attendant « mieux »…

Certains objecteront :

« Comment voulez-vous que, d’ici quelques années et après quelques très démocratiques tables rondes, les Antilles, Guadeloupe, Martinique, voire la Guyane, puissent devenir indépendantes, alors que l’écrasante majorité de leur population y est largement défavorable ? »

A quoi je répondrai : et pourquoi pas ? Il y a cinquante ans, les territoires de l’Afrique dite française ont bien accédé à l’indépendance alors même que l’écrasante majorité de leurs populations et de leurs leaders n’y étaient pas favorables…

Certains objecteront encore :

« Comment voulez-vous que les Antilles, voire la Guyane, deviennent indépendantes au nom d’un mieux-disant économique et social, alors que leurs populations savent très bien qu’à ce petit jeu-là, elles risquent de connaître une vertigineuse dégringolade économique et sociale ? »

A quoi je répondrai : et pourquoi pas ? Il y a cinquante ans, malgré des réserves exactement analogues, les territoires de l’Afrique française connurent bien une pareille trajectoire… Aux sons de cors joyeux et triomphants, on fit avaler aux populations africaines chutes, douleurs et drames… Décennies après décennies, de beaux esprits français, africains et internationaux justifièrent les souffrances du petit peuple d’Afrique, au nom des « passages obligés de l’histoire », prix à payer sur le glorieux chemin de la liberté nationale et des lendemains qui chantent…

Certains diront enfin :

« Ainsi donc, les Antilles, voire la Guyane, deviendraient indépendantes, avec le risque d’être désormais la proie de petits dictateurs nationalistes plus ou moins illuminés jouant la carte du bourrage de crâne et du lavage de cerveau, sur fond de répression sanglante et d’intrigues états-uniennes, chinoises, voire, plus simplement, françaises ? »

A quoi je répondrai : et pourquoi pas ? Il y a cinquante ans, les territoires africains devenus indépendants s’engagèrent, pour beaucoup, dans des voies similaires, entre dictature, corruption et nationalisme, avec la bénédiction et l’appui de la Ve République, et sans que qui que ce soit, finalement, y trouve grand-chose à redire… D’ailleurs, depuis, nul ne songe à rappeler que ces pseudo-indépendances, désastreuses pour les populations africaines, furent voulues par l’ancien colonisateur avec la complicité de ses grands rivaux internationaux, officiellement pour le plus grand bien de l’Afrique, dans les faits afin de prolonger l’exploitation de populations désormais sans défense…

Mais foin de ces jérémiades ! Après tout, pourquoi s’opposer à ce nouveau grand bond en avant de l’Histoire, inscrit dans le droit fil de l’idéologie de la Ve République blanciste et de la merveilleuse idéologie mondiale issue de la guerre froide, dont on observe, depuis cinquante ans, les indiscutables splendeurs, et les fabuleuses conquêtes sociales ?

La Ve République blanciste, incapable de s’opposer à l’immigration dans l’Hexagone de cohortes d’anciens indigènes accablés de misère, trouverait là le moyen de se débarrasser d’un seul coup d’un seul de quelques millions de citoyens Nègres de plus en plus excités, de moins en moins dociles, de plus en plus coûteux, et, c’est bien connu, comme toujours les Nègres, incapables de la moindre compétitivité économique.

De leur côté, les gentils nationalistes locaux verraient leur grand soir s’accomplir, et leurs populations invitées, sous les confettis et les serpentins, à payer l’addition, en monnaie de misère, de narcissisme débilitant, ou de coups de bâton sur la tête – cette fois, évidemment, pour la bonne cause…

Car aujourd’hui, comme au beau temps de la décolonisation, de nombreux camps voient leurs intérêts immédiats converger…

Il y a six ans, le dernier projet de réforme du statut des Antilles, porté à l’époque par l’UMP et le PS sous les applaudissements des indépendantistes, fut rejeté le 7 novembre 2003 par les populations guadeloupéennes et martiniquaises, qui y virent une entourloupe destinée à les pousser subrepticement vers la sortie de la République. Les événements actuels offriraient-ils une occasion d’accomplir tout de même cette superbe réforme ?

Mais je m’égare. Nicolas Sarkozy ignore la duplicité. Il n’est pas homme à imposer au peuple, par des chemins de traverse, un statut ou un traité rejeté démocratiquement quelques années plus tôt. Chacun sait qu’il entend rompre, et qu’il rompra, avec les fâcheux penchants du régime. Le peuple sera écouté. Les populations antillaises seront écoutées. Elles cesseront d’être méprisées et prises par l’Etat pour des Français de seconde zone, reléguées dans un assistanat condescendant et pervers. Elles ne seront pas caressées dans le sens du poil identitaire et racial au gré d’une stratégie visant à les pousser à prendre le large. Les indépendantistes ne seront pas instrumentalisés pour négocier adroitement un nouveau largage des territoires ultramarins, et par trop nègres, de la France, qui a bien d’autres chats à fouetter…


Alexandre Gerbi

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12 févr. 2009

Décolonisation : précisions sémantiques et politiques

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Décolonisation :

précisions sémantiques

et politiques

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par

Alexandre Gerbi

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« Indépendance », « décolonisation », « dé-colonisation », « unité franco-africaine »… Autant de concepts importants parfois méconnus, souvent mal connus. Quelques éclaircissements s’imposent, tandis que la Ve République blanciste continue d’entretenir à dessein la plus complète confusion sur ces questions…

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Dans un essai disponible sur Internet, l’historien Martin Shipway note : « Ce néologisme « dé-colonisation » est trompeur, et décrit de façon simpliste un processus historique des plus complexe. (…) Ce processus d’ailleurs ne s’appellera ainsi que par la suite, car si le mot existe déjà, il implique autre chose, la réforme plutôt que la dissolution coloniale » (1).

Remarque intéressante, qu’on peut expliquer comme suit.

Dé-colonisation : fin de la colonisation. Autrement dit : fin du système colonial. De là, on est tenté de comprendre automatiquement : dé-colonisation = indépendance des anciens territoires colonisés, accession de leurs populations à l’indépendance. D’où cette autre façon de poser l’équation : dé-colonisation = indépendance.

Or, comme le souligne Martin Shipway, les choses sont un peu plus complexes.

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L’égalité et l’unité comme meilleur moyen de dé-coloniser

Pendant toute la période (1945-1960) qui conduisit aux indépendances des anciens territoires de l'Afrique française, dans l’esprit des colonisés, et en particulier dans l’esprit de leurs représentants, la question se posait tout autrement.

Pour la plupart des leaders africains de l’époque, « dé-colonisation » = évolution nécessaire, à savoir : fin du système colonial.

Or, si l’objectif de la dé-colonisation était la fin du régime colonial par nature inégalitaire, la sortie de ce régime devait avoir pour moyen l’instauration de l’égalité entre toutes les parties de l’Empire, métropole comprise, et non pas de l’indépendance, que la plupart des leaders africains jugeaient à la fois non viable et absurde.

Autrement dit, si la plupart des leaders de l’Afrique française jugeaient la dé-colonisation indispensable, ils l’envisageaient selon des modalités qui n’impliquaient nullement l’indépendance. Au contraire, ils prônaient un rapprochement avec la métropole. La dé-colonisation telle que la concevait la majorité des leaders africains s’inscrivait donc dans le cadre d’une unité franco-africaine non seulement maintenue, mais surtout renforcée par l’instauration de l’égalité et de la fraternité. C’était notamment l’argument d’un Senghor ou d’un Houphouët-Boigny.

On le comprend, non seulement l’indépendance n’était pas envisagée comme le seul moyen d’en finir avec le colonialisme, mais, mieux encore, le maintien de l’unité franco-africaine était considéré comme la meilleure garantie de l’abolition du système colonial, en tant que cette unité républicaine était le lieu de la démocratie et de l’égalité, dont le Parlement devait être à la fois le reflet, l’instrument et le garant de la promotion.

Ainsi, pour les Africains de l’époque, prôner la dé-colonisation, c’était non pas mettre en cause l’unité politique franco-africaine, mais revisiter les modalités de cette unité, selon des voies susceptibles, précisément, de la renforcer, par la stricte application des principes républicains.

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La décolonisation comme anti dé-colonisation et levier néo-colonial

Par ailleurs, la réciproque « indépendance = décolonisation » est elle-même sujette à caution.

En effet, comme le note Simon Mougnol : « Chacun sait qu’une Afrique à égalité avec la France aurait bénéficié d’une élévation du niveau des équipements mais aussi de l’instauration de la démocratie dans ses régions. Avec la démocratie, la métropole aurait eu à respecter ses populations et n’aurait plus pu continuer à tirer des ficelles. Tandis qu’avec les indépendances, elle put continuer à jouer les colons de l’ombre, sans avoir de comptes à rendre (2). »

A ce degré, on peut se demander si la « décolonisation », synonyme ici d’« indépendance », n’est pas l’antithèse de la dé-colonisation, puisqu’elle est le cadre permettant une perpétuation de l’état colonial, en tant qu’elle permet d’empêcher l’instauration de l’égalité, et qu’elle permet (ou même qu’elle vise) de surcroît l’instauration du néo-colonialisme.

En d’autres termes, et paradoxalement, l’indépendance peut être perçue comme le meilleur moyen qui fut trouvé pour empêcher la dé-colonisation, en tant qu’elle fut octroyée (voire, dans certains cas, imposée) afin de refuser l’égalité et, dans un deuxième temps, de rendre possible la poursuite du colonialisme.

Inversement, le maintien dans la République dans un cadre égalitaire, réclamé par la majorité des leaders africains après la Seconde Guerre mondiale, était le meilleur moyen de renverser le colonialisme, et donc de dé-coloniser. D’où la position de la plupart des leaders africains, notamment Félix Houphouët-Boigny ou Léon Mba.

Où l’on découvre que cette autre équivalence pourrait être envisagée : maintien (relance) de l’unité franco-africaine = abolition du (néo)colonialisme.

Dans les faits, on constate bien que la « décolonisation », telle qu’elle eut lieu, en empêchant l’instauration d’une égalité réelle entre métropole et outre-mer, entrava la dé-colonisation, puisqu’elle rendit possible la perpétuation du système colonialiste par le biais du néo-colonialisme.

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La décolonisation pour empêcher la « colonisation » de la France par l’Outre-mer africain

La « décolonisation » empêcha, aussi, la « colonisation » de la métropole par son Outre-mer africain.

En effet, l’égalité politique pleine et entière accordée aux citoyens africains, avec les mêmes droits et les mêmes devoirs que les citoyens métropolitains, aurait conduit à une métamorphose de l’ensemble franco-africain, et donc de la « France ».

Les Africains, représentés à proportion de leur nombre au Parlement, auraient vu croître leur influence, et s’améliorer le sort de leurs territoires.

Cette (r)évolution sur le terrain et au Parlement aurait conduit à une métamorphose de l’identité française, devenue ipso facto identité « franco-africaine ». La France, organisant l’égalité de tous ses citoyens, aurait assisté à sa propre métamorphose. Le modèle de civilisation français se serait mêlé aux modèles de civilisation africains, vers une synthèse érigée à leur confluence et nourrie de leurs génies respectifs.

Dans ce cadre, le colonialisme, grâce à la démocratie, aurait été réellement aboli. Non seulement structurellement, mais aussi culturellement : la prétendue supériorité de la civilisation française aurait fait place aux vertus qui sont les siennes ; la prétendue infériorité de la (ou des) civilisations africaine(s) aurait fait place aux vertus qui sont les siennes (ou plutôt les leurs). Chacune des parties abolissant les faiblesses de l’autre, et renforçant l’autre de ses vertus propres. A terme, de la synthèse, des influences et des évolutions respectives et réciproques, l’unilatéralisme et les sens uniques conjurés par l’exercice de la démocratie égalitaire, aurait surgit l’identité franco-africaine, synthèse de ce que chacune des civilisations ainsi mêlées a de meilleur.

Inquiètes de tout cela, les autorités politiques métropolitaine, soucieuses de maintenir la France dans une identité selon elles essentiellement, voire exclusivement, européenne, ont préféré manœuvrer pour conduire les territoires d’Afrique vers l’indépendance. Elles ont, insidieusement, favorisé toutes les réflexions et idéologies qui, du côté africain, en servaient la cause. Face à un Etat français avide de préserver l’identité européenne de la France, on vit les nouveaux états africains partir en quête de leur identité africaine, encouragés dans cette voie par l’ancienne métropole.

Les autorités hexagonales, organisatrices de la séparation franco-africaine, craignant un retour de flamme en faveur de la périlleuse unité, jugèrent opportun de conforter l’Afrique dans cette voie « identitaire ». Les autorités métropolitaines diffusèrent donc l’idée que ce choix de l’indépendance était celui des Africains, et que la « décolonisation » était la conséquence mais aussi la condition sine qua non de l’abolition du régime colonial.

Ce lien organique d’équivalence entre indépendance et dé-colonisation fut patiemment tissé, alors même que cette indépendance visait à empêcher l’abolition du colonialisme, en permettant sa perpétuation sous une forme nouvelle.

Tour de force, le maintien de l’unité franco-africaine fut assimilé à une manœuvre en faveur du maintien du colonialisme, alors qu’il était, à condition que la démocratie soit pleinement appliquée, le meilleur moyen de l’abolir.

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Perpétuation de la confusion

Aujourd’hui, nous ne sommes pas sortis de ces confusions sémantiques, entretenues à desseins par ceux qui décidèrent de la séparation franco-africaine.

Et pour cause : ceux qui gouvernent la France aujourd’hui sont les héritiers de ceux qui, il y a cinquante ans, larguèrent l’Afrique pour éviter la « bougnoulisation » de la France, et orchestrer le néo-colonialisme.

Les hommes politiques doivent reconnaître qu'ils ont conduit les populations de France et d’Afrique dans une impasse dont elles ne pourront sortir que si elles connaissent la vraie vérité de leur passé. Les dés sont jetés, la messe a été dite : il s'agit maintenant de réimaginer une sorte de puissant partenariat entre la France et les anciens pays de l'« Empire », un partenariat consolidé par les liens très forts qu'une vague de politiques avaient, pour des raisons ou pour d'autres, cru bon de ruiner. Ainsi l'Hexagone pourra-t-il sauver sa cohésion sociale, en la fondant sur de riches et profondes retrouvailles.

Nous accorderons foi aux belles déclarations d’intention de M. Sarkozy sur la « Rupture » en matière de politique africaine et ultramarine de la France lorsque les discours officiels du gouvernement français, qui constituent le soubassement idéologique de sa politique depuis un demi-siècle, cesseront de falsifier l’histoire de la « décolonisation » franco-africaine, et de jouer sur les mots.

Alexandre Gerbi




(1) Martin Shipway, La Décolonisation : une exploration à rebours ? http://www.bbk.ac.uk/lachouette/chou31/Shipwa31.pdf

(2) Simon Mougnol, Célébrations de Mai, article paru sur le site Afrique Liberté, mars 2008.

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