25 mai 2010

De Hors-la-loi à la vérité historique


Après la polémique
sur le nouveau film de Rachid Bouchareb




De Hors-la-loi

à la vérité historique



par


Alexandre Gerbi

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Quatre mois avant sa sortie en salle, Hors-la-loi de Rachid Bouchareb a secoué Cannes et fait déjà couler des flots d’encre. Il faut s’en féliciter. Car rouvrir le dossier algérien sera, de toute façon, salutaire.




Depuis cinquante ans, l’Etat français dans toutes ses composantes et émanations affirme que les Africains en général et les Algériens en particulier aspiraient à l’indépendance et que le général de Gaulle, dans sa grande sagesse, exauça finalement leur vœu.

Or ceci est essentiellement une contrevérité puisqu’en dernière analyse, le général de Gaulle et ses alliés imposèrent l’indépendance aux Africains. Pour des raisons inavouables, touchant à la race, à la civilisation, à la religion et à l’argent.


Entourloupe planétaire


Si l’espoir est désormais permis, c’est qu’un élément nouveau est survenu ces dernières années et s’amplifie singulièrement ces derniers mois. Désormais, dans les petites sphères politiques, intellectuelles et même universitaires françaises, aucun spécialiste ne conteste sérieusement que l’Afrique a été larguée il y a cinquante ans par un Etat français raciste et âpre au gain. Difficile, il est vrai, de nier ce que la silencieuse Afrique sait depuis toujours et murmure de plus en plus ouvertement…

En creux, on comprend que l’histoire officielle de la décolonisation franco-africaine relève au mieux de la fable, au pire de l’imposture. Cette dernière assertion étant évidemment des plus gênantes. D’autant que l’entourloupe se déploie à l’échelle intercontinentale, si ce n’est planétaire, et que ses enjeux sont colossaux…

Exemple de retournement

A titre d’exemple de ce retournement historiographique sans précédent qui commence d’éclater (avec à la clef, on est du moins en droit de l’espérer, des changements majeurs dans les relations franco-africaines au cours des années et décennies à venir…), cet échange surréaliste, tout récemment sur France 5.

Le lundi 24 mai 2010, dans l’émission C dans l’air d’Yves Calvi, intitulée « Algérie, Palme d’or des tabous », entre politologues, historiens et autres sociologues de conséquence, voici ce qu’on entendit vers la minute 0’59 :

Raphaël Draï : Les uns et les autres doivent comprendre qu’on est sur un véritable chantier, que ce chantier est extrêmement douloureux et qu’il y a une certaine manière de parler des choses, (…) de décrire la véritable machine qui nous a tous broyés, les uns et les autres. Parce qu’en 1958, dans ce mois de mai qui est un mois fabuleux, avec un ciel bleu comme je n’en ai plus jamais revu, il y a eu un véritable moment de fraternité. Alors bien sûr, du point de vue de l’analyse politique, on dira que les uns et les autres ont été transportés en camion, que chacun s’est raconté des histoires. Mais je crois que dans les lycées, je crois que sur les places publiques, il y a eu un moment, un moment, comme ça, qui a rappelé aussi un de ces grands moments, par exemple, de la Révolution française. Voilà. Tout était possible. Encore fallait-il prendre le parti d’accorder la nationalité française à tous les Algériens… Mais ça, je crois, que le général de Gaulle, de ce point de vue là, a beaucoup louvoyé, et…

Benjamin Stora (d’une lassitude moqueuse) : Encore de Gaulle… !

Raphaël Draï : Oui, non, De Gaulle, mais bien sûr ! parce qu’il est présent. Je veux dire… Quand il est arrivé au balcon de…

Une voix inaudible, quelques rires.

Raphaël Draï : C’est sûr, ça gêne de parler de tout cela…

Une voix : Oui.

Raphaël Draï : Mais je crois qu’il y a eu, en 1958, un véritable mouvement de fraternité qui s’est déclenché et dont le meilleur aurait pu sortir… Mais voilà, l’histoire, la politique en ont décidé autrement… La petite politique…

Le plus grand mensonge de l’histoire de France

Personne n’a contredit Raphaël Draï. Benjamin Stora a tout juste glapi le nom sacré, et une voix non identifiée a approuvé le caractère gênant du propos. Quant à Yves Calvi, il n’a pas jugé bon de relever, comme il est de tradition en pareil cas. Ça gêne, qu’on vous dit…

D’autant que la seule précision qu’appelait le commentaire du politologue Raphaël Draï, c’est le rappel que l’égalité politique, si elle fut, en effet, définitivement refusée aux Algériens par le double truchement de l’indépendance et du FLN en 1962, fut néanmoins d’abord, bel et bien, accordée aux Algériens dans la foulée de la révolution de mai 1958. Ainsi 46 députés arabo-berbères trouvèrent place, pendant quatre ans, au Palais Bourbon. Mais à force de manigances, bafouant toutes les promesses par lesquelles il avait justifié son retour au pouvoir et obtenu les suffrages du peuple, usant de l’Afrique noire comme d’un levier, le Général, ses hommes et ses soutiens parvinrent à ensevelir l’esprit de mai 1958 et extirpèrent l’Algérie de la France. Pour éviter que la France ne soit « bougnoulisée », selon l’expression de Charles de Gaulle.

En attendant, sur le plateau de C dans l’air, sur la 5ème chaîne du service public, le 24 mai 2010, jour de Pentecôte, il nous a été tranquillement dit, presque sans remous, que l’histoire officielle de la décolonisation française telle qu’elle nous est racontée depuis un demi-siècle à l’école, à la télévision, dans la presse, par les intellectuels et la classe politique, est globalement un énorme mensonge, dont il pourrait bien s’avérer qu’il est le plus grand mensonge de l’histoire de France, et qu’il est la cause fondamentale de la plupart de nos drames.

On comprend pourquoi, il y a deux ans, en mai 2008, les médias et les autorités de la Ve République blanciste fêtèrent l’anniversaire du régime sur la pointe des pieds. On comprend aussi que cette Année de l’Afrique en France se déroule dans la plus extrême discrétion, en ce très gênant cinquantième anniversaire des prétendues « indépendances » africaines.

Alexandre Gerbi




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15 mai 2010

Crise grecque (suite) : Les choix calamiteux de Jean-Claude Trichet, de la BCE et des dirigeants européens





Crise grecque (suite) :


Les choix calamiteux

de Jean-Claude Trichet,

de la BCE et des dirigeants européens





par


Alexandre Gerbi

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Lundi 10 mai 2010, les marchés financiers ont salué avec effervescence (+9,66% pour le CAC 40 par exemple) le plan concocté par la Banque centrale européenne (BCE) et les gouvernements de la zone euro, portant sur une intervention à hauteur de 750 milliards d’euros. Un tonnerre d’applaudissement bien compréhensible, puisque ledit plan sacrifie à l’orthodoxie monétaire dont, dans notre précédent article, nous avons expliqué les dangereuses implications.

En effet, cette orthodoxie maintient les gouvernements de la zone euro en position de faiblesse vis-à-vis des marchés financiers, notamment états-uniens. Le 12 mai 2010, Jean-Claude Trichet proclamait ainsi avec fierté au micro d’Europe 1 : « La BCE ne fait pas fonctionner la planche à billets ». Et d’expliquer : « toutes les liquidités que nous donnerons (...) seront reprises ».

Autrement dit, les Etats bénéficiaires du plan devront rembourser, ce qui veut dire que l’aide accordée par la BCE alourdira la dette (et les échéances de remboursement) de pays déjà affaiblis. Au point d’accélérer leur chute ? Les mesures draconiennes qui permettent de « raboter » ici et là quelques milliards coûteront, dans les faits, au bout de la chaîne, fort cher aux malheureux citoyens grecs, et bientôt portugais, espagnol, italiens, enfin français déjà souvent confrontés à de terribles difficultés… A la clef, des économies nationales plombées par une consommation dès lors drastiquement bridée, et des millions de citoyens paupérisés, poussés sur le chemin de la révolte ou, pire encore, du désespoir.

Résultat des courses, après la spectaculaire euphorie du lundi 10 mai, les bourses ont repris dès le lendemain le chemin de la baisse, tout comme l’euro, au point, au cours de la semaine, d’effacer en grande partie les gains enregistrés le fameux lundi…

Il est à craindre que l’absurde plan de la BCE provoque l’effondrement des économies les plus faibles de la zone euro, qui par un effet domino entraîneront les autres dans la tourmente. Pire encore, la crise pourrait passer, par contagion, du terrain économique au terrain social puis politique.

Un risque qui se traduit par un nouveau dévissage de l’euro, qui tournait autour d’1,26 $ à la veille du plan de la BCE, et cote aujourd’hui vendredi 1,23 $.

S’affranchir de l’orthodoxie monétaire aurait permis de dégager d’importantes liquidités « saines » (quelques dizaines, voire quelques centaines de milliards d’euros) pour colmater immédiatement les brèches budgétaires et relancer les économies des Etats en difficulté, sans faire peser outre mesure l’effort sur les particuliers, mais sur un cours de l’euro d’ailleurs encore inutilement haut. Par la même occasion, l’opération, en assujettissant la BCE aux gouvernements de la zone euro, aurait permis de lancer un signal fort à l’adresse des marchés, en rappelant qui est le vrai maître du jeu. Cerise sur le gâteau, l’opération aurait permis le lancement d’un vaste plan de développement de l’Afrique, partenaire incontournable et prioritaire pour l’Europe, à tout point de vue, y compris éthique et historique.

Le choix de la BCE et des gouvernements européens est exactement inverse : faire peser l’effort sur les Etats et, partant, sur les particuliers, sous prétexte de protéger l’euro. Le tout sans jamais inscrire l’opération dans le cadre d’une stratégie plus vaste... Ce qui risque, en définitive, de provoquer tout de même une chute de la devise européenne dans des proportions plus grave encore.

A l’arrivée, nous risquons d’être perdants sur tous les tableaux. Car l’avantage reste, une fois de plus, dans le camp des marchés et des agences de notation, pourtant responsables dans une large mesure de la crise financière.

Et en face, les Etats européens, comme toujours égotistes, aveugles ou pusillanimes.

Que l’euro dégringole ou explose en vol, la planche à billet désormais bel et bien interdite, ils seront Gros-Jean comme devant…



Alexandre Gerbi




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10 mai 2010

Crise grecque : Il faut assujettir la Banque centrale européenne





Crise grecque :


Il faut assujettir

la Banque centrale européenne




par


Alexandre Gerbi

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Le Traité constitutionnel européen, rejeté par le peuple français en 2005 puis passé en catimini par Nicolas Sarkozy et ses alliés de gauche en 2008, comportait de nombreuses clauses inacceptables. En particulier l’indépendance de la Banque centrale européenne (BCE). La crise grecque nous confronte à l’absurdité de ce principe, et à son extrême dangerosité.

L’euro, jusqu’à récemment, oscillait entre 1,35 et 1,40 dollars, après avoir touché un plus haut à 1,60 dollars en 2008. Depuis les différentes péripéties de la crise grecque, il ne vaut plus que 1,26 dollars. Certains s’en inquiètent. Or sachant qu’il y a huit ans, l’euro-monnaie a été introduit à la quasi-parité avec le dollar, et qu’il a chuté ensuite jusqu’à ne plus valoir que 0,86 dollar en 2002, on mesure qu’à ses niveaux actuels, l’euro est plutôt bien portant, en dépit de son récent, et encore limité, dévissage.

Pour aider la Grèce, l’Union européenne, ou plutôt la zone euro, en particulier la France et l’Allemagne, mais aussi l’Espagne et surtout le Portugal, sont conviés à jouer les bailleurs de fonds. Une façon, qui se veut habile, de court-circuiter le petit jeu auquel se livrent les agences de notation. Solidarité touchante, mais étrange quand on sait que l’Espagne et le Portugal sont plutôt mal en point, et menacés de dégradation par les très redoutées agences de notation basées à Wall Street, par ailleurs point de départ de la crise financière mondiale…

A ce stade, une question s’impose : à quel niveau d’émission de valeur sans contrepartie (c’est-à-dire sans bons du trésor en échange, contrairement à la pratique habituelle) la BCE provoquerait-elle une dévaluation de l’euro comparable à celle que la crise grecque a provoquée pour l’instant, soit dix à vingt centimes ?

Autrement dit, si la BCE n’était pas indépendante, Nicolas Sarkozy, Angela Merkel et leurs partenaires de la zone euro pourraient commander à Jean-Claude Trichet quelques dizaines, et probablement quelques centaines de milliards d’euros pour commencer, sans craindre de dévaluation excessive de l’euro sur les marchés. Il faudrait pour cela que la France, l’Allemagne et leurs partenaires de la zone euro s’engagent à injecter ces sommes non seulement dans le sauvetage de l’Etat grec, mais aussi le lancement de grands travaux à travers toute l’Europe (par exemple dans la construction de centrales nucléaires, de champs d’éoliennes en mer ou de panneaux solaires géants dans le Sahara), et surtout de vastes politiques de développement éducationnel et social en direction de l’Afrique. Avec pour objectif, notamment, dans plusieurs pays favorables à cette expérience-pilote, de scolariser d’ici dix ans 100% de la jeunesse dans les conditions qui, jusqu’à présent, ne bénéficient qu’à une bourgeoisie très minoritaire. De sorte que, si l’opération est concluante, elle puisse être étendue à l’ensemble des populations d’Afrique, afin que celles-ci profitent au plus vite, et dans les faits, des mêmes normes que l’Europe dans les domaines scolaires mais aussi sociaux. Afin de les aider à devenir, enfin, des Etats stables et des marchés solvables.

Bien entendu, cette manne financière, sans contreparties autres que morales, garantie par le politique et permise par l’assujettissement de la BCE, devrait être utilisée avec le souci permanent que chaque euro injecté soit créateur de richesse ou de bien-être humain et/ou matériel, selon un plan scrupuleusement chiffré et respecté. Pour que la monnaie se trouve affermie par l’émission assurée par la BCE plutôt qu’amollie et finalement dangereusement dévaluée. Pas question de connaître le syndrome de l’Espagne et des torrents d’argent venus d’Amérique, il y a quelques siècles. Car tel est l’écueil, bien connu des économistes, du recours à la « planche à billets »…

Les marchés européens étouffent d’être à la fois globalement suréquipés et démographiquement faibles. Ils sont parvenus au point où se croisent les courbes de la saturation, certes relative, du marché et de l’affaissement humain inhérent à une dénatalité européenne qui sévit depuis des décennies. L’Afrique, avec ses immenses richesses naturelles et son formidable dynamisme démographique, permet d’espérer de nouveaux marchés. En même temps, l’histoire de son largage par l’Europe (dans le cadre de la prétendue « décolonisation ») et du néocolonialisme, après des siècles de flétrissures contre le Nègre, de l’esclavage au colonialisme en passant par le racisme « scientifique », fait mériter au continent noir une aide exceptionnelle par son ampleur et, si l’on ose dire, par son esprit. Pour tenir enfin la promesse de la civilisation universelle, nourrie de toutes les facettes du génie humain, depuis les antiques sagesses jusqu’aux Lumières modernes.

Une rupture de l’Europe avec l’orthodoxie monétaire, par l’assujettissement absolu de la BCE au pouvoir politique, permettrait, en libérant d’immenses moyens jusqu’à présent confisqués, d’ouvrir la voie d’une révolution qui serait peut-être la plus grande de l’histoire de l’humanité. En rendant une force de frappe financière à des Etats européens que la singulière attitude des marchés internationaux et des agences de notation états-uniennes mettent en porte-à-faux.

Alors, préférera-t-on laisser filer l’euro, quitte, en fin de compte, à le voir démanteler et disparaître, sous prétexte – quel paradoxe ! – de le préserver par respect scrupuleux et suicidaire de principes parfaitement contestables ? Tout au contraire, ne ferait-on pas mieux d’utiliser dès à présent ce merveilleux outil qu’est l’euro, encore essentiellement préservé à l’heure qu’il est, pour relancer l’économie européenne et développer ce grand partenaire naturel de l’Europe qu’est l’Afrique ? La science économique et la monnaie ne doivent-elles pas d’abord être envisagées comme des instruments à la disposition du politique, au profit du bien-être du peuple ?

Mais pareille approche impliquerait un courage et surtout une liberté de pensée à l’égard de tous les dogmes. Des qualités qui, depuis longtemps, font cruellement défaut au personnel politique du vieux continent, et nous conduisent au tombeau…



Alexandre Gerbi




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