18 oct. 2011

Ratonnades d’octobre 61 : Le sang comme écran de fumée

Au lendemain du 50e anniversaire...






Ratonnades d’octobre 61 :

Le sang comme écran de fumée





par


Alexandre Gerbi






Il y a cinquante ans hier, les ratonnades du 17 octobre 1961 ensanglantaient les rues de Paris et rougissaient la Seine, sous le haut patronage de Charles de Gaulle.

Pourquoi Charles de Gaulle donna-t-il l’ordre à Maurice Papon, préfet de police de Paris, de procéder à cette répression ultraviolente ?

Officiellement, pour contrer une manifestation pro-FLN, parti indépendantiste algérien, dont le gouvernement de Charles de Gaulle était en principe l’adversaire.

Voici qui semble fort logique… Et pourtant…

A la même époque, le même Charles de Gaulle intensifiait, dans le plus grand secret, sa politique d’alliance avec le FLN. Politique qu’il poussera d’ailleurs à son terme quelque huit mois plus tard, en livrant l’Algérie, Sahara compris, au parti indépendantiste. Alors même que le FLN était vaincu militairement, et connu pour ses méthodes particulièrement barbares (voir par exemple le massacre de Melouza, en 1957), en particulier à l’endroit des Algériens profrançais ou pro-MNA, parti également indépendantiste, mais concurrent, dirigé par Messali Hadj. D’ailleurs, l’Algérie devenue indépendante connaîtra rapidement un gigantesque bain de sang, où des dizaines de milliers d’Algériens, Harkis ou civils profrançais et leurs familles, seront massacrés dans des conditions souvent atroces.

Alors pourquoi Charles de Gaulle a-t-il donné l’ordre de réprimer aussi cruellement une manifestation -interdite - organisée par ses alliés ?

En réalité, les ratonnades du 17 octobre 1961 visaient, pour de Gaulle, à se donner de lui-même, aux yeux de l’opinion publique française, l’image d’un chef politique intraitable avec le FLN, afin de mieux cacher qu’il traitait avec lui, en en faisant son interlocuteur exclusif, et ce au détriment aussi bien du MNA de Messali Hadj que des Pieds-Noirs et, surtout, des millions d’Algériens profrançais.

Autrement dit, les ratonnades du 17 octobre 1961 s’inscrivent dans la liste presque sans fin des diversions qui permirent à Charles de Gaulle, en l’espace de quatre ans (1958-1962), de mener à bien son projet monstrueux : trahir de A à Z ses engagements de 1958, et procéder au démantèlement de l’ensemble franco-africain. Afin d’éviter la « bougnoulisation » (et l’islamisation…) de la France et, d'autre part, d’organiser le néocolonialisme.

Il est donc bon de commémorer les tragiques événements d’octobre 1961. Non seulement au nom des hommes qui perdirent la vie ce jour-là. Mais aussi parce qu’à travers ce qui fut une habile manœuvre d’intoxication de l’opinion publique, c’est la stratégie machiavélique de Charles de Gaulle, ses trahisons et ses mensonges, qui s’illustra alors.

Et qui s’illustrera de nouveau, de façon également radicale et affreuse, le 26 mars 1962 : ce jour-là, rue d’Isly à Alger, c’est cette fois la foule pied-noire qui fera les frais de la stratégie et des méthodes criminelles de Charles de Gaulle : l’armée fera feu à la mitrailleuse, pendant dix minutes, sur la foule manifestant pourtant pacifiquement son soutien à Bab-el-Oued, quartier populaire d’Alger pro-OAS insurgé contre l'indépendance et, pour cela, en état de blocus. Bilan : une cinquantaine de mort et des centaines de blessés. Manifestation, il est vrai, interdite, tout comme celle d'octobre 1961...

Plus encore que les ratonnades de 1961, cet événement, appelé pudiquement « fusillade de la rue d’Isly », fait l’objet d’une large omerta médiatique qu’il est grand temps de briser.

Rendez-vous en mars 2012, pour le cinquantenaire de ce tragique événement. Voir si les médias et les associations de tous bord sauront ne pas faire le tri entre les victimes d'une Histoire délirante...




Alexandre Gerbi







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11 oct. 2011

Conséquences de l'éviction d'Arnaud Montebourg

« Le drame avec les pessimistes,
c’est qu’ils ont souvent raison... »






Conséquences de l’éviction

d’Arnaud Montebourg






par


Alexandre Gerbi





En définitive, Gilbert Comte avait vu juste : la montagne de la Primaire socialiste a accouché d’une souris à deux têtes.

On se frotte les yeux : François Hollande et Martine Aubry sont bel et bien les vainqueurs, haut la main, du premier tour de la primaire socialiste…

A la décharge des votants, les sondages ont évidemment pesé sur le scrutin, en désignant, de bout en bout, François Hollande et Martine Aubry comme vainqueurs obligatoires, mais aussi en sous-évaluant, et partant en bridant les chances du seul challenger crédible désigné par les urnes : Arnaud Montebourg. Car avec 17% des voix, le député de Saône-et-Loire arrive loin derrière les deux premiers mais loin devant les trois autres, y compris Ségolène Royal, reléguée à 7% dans les profondeurs du classement, alors que les instituts de sondages la plaçaient en troisième position…

Avec un score honorable, donc, compte tenu de sondages qui l’ont desservi et ont simultanément servi ses adversaires, Arnaud Montebourg n’en est pas moins éliminé. Espérons qu’il saura se servir de ce succès miniature pour instiller un zeste de couleur au grisâtre programme du ou de la prétendant(e) qui sera finalement désigné(e) candidat(e).

Reste un mystère : comment des millions d’électeurs théoriquement de gauche ont-ils pu se déplacer pour voter massivement en faveur de deux candidats bien peu de gauche et, de surcroît, au projet à ce point insipide ? Voilà qui est, en tout cas, très inquiétant pour l’avenir, quand le pays aurait tant besoin de lucidité pour enfin changer d’air…

En attendant…

En attendant, la victoire du binôme Hollande/Aubry arrange bien la droite.

Sarkozy peut se féliciter d’avoir à affronter des adversaires aussi ternes, apparatchiks caricaturaux qui sont, d’ailleurs, tous deux énarques… Dans ces conditions, le grand stratège de l’Elysée peut se prendre à rêver d’un scénario à la Chirac/Jospin en 2002 : à la faveur de l’effondrement d’un candidat socialiste couleur de muraille mis à nu dans sa sidérante vacuité au fil de la campagne présidentielle, Sarko peut désormais espérer se hisser au second tour grâce au matelas incompressible de la droite (aux alentours de 20% minimum), pour affronter… Marine Le Pen ! Et ainsi l’emporter finalement, avec le renfort d’une gauche goûtant une nouvelle fois les joies de la pince à linge…

Quant à Marine Le Pen, interrogée sur le résultat du premier tour de la primaire socialiste (dimanche 9 octobre, JT de 20 heures, France 2) elle s’est ouvertement réjouie de voir que la gauche, qu’elle rêve d’affronter, lui opposera un adversaire aussi semblable à Nicolas Sarkozy, c’est-à-dire totalement inféodé au Système de la mondialisation ultralibérale et antisociale qui exaspère les Français, quand cette exaspération est la force principale de la présidente du FN…

Sous ces angles désastreux pour la gauche et surtout pour le pays, resterait au Front de Gauche à tirer les marrons du feu : car l’intronisation de François Hollande ou de Martine Aubry candidat du PS ouvrira, dans tous les cas et de toute évidence, un boulevard à gauche.

Pour le PCF, le Parti de Gauche et leur représentant Jean-Luc Mélenchon, il s’agit, avec un programme ambitieux, courageux, novateur, alternatif, et pour tout dire révolutionnaire, de damer le pion à un PS plus droitisé et plus conformiste que jamais, afin de le remplacer au second tour. Pour affronter à sa place, en duel, Nicolas Sarkozy... ou Marine Le Pen ! Avec, dans les deux cas, de bonnes chances de l’emporter pour le candidat du Front de Gauche…

Seul problème : à sept mois de l'élection, ce programme reste en grande partie à écrire…


Alexandre Gerbi






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9 oct. 2011

Primaire socialiste : Question de Montebourg ou de mort

Premier tour...




Primaire socialiste :

Question de Montebourg

ou de mort




par


Alexandre Gerbi






10h35. Mon ami Gilbert Comte m’appelle à l’instant pour me dire sa stupéfaction, presque son effroi, devant le spectacle de l’affluence qu’il vient d’observer au bureau de vote près de chez lui (14e arrondissement de Paris), dans le cadre du premier tour de la primaire socialiste qu’il tient pour une absolue mascarade.

D’évidence, si cette affluence devait se confirmer à l’échelle nationale et se solder ce soir par l’arrivée au second tour de Martine Aubry et François Hollande, il y aura de quoi être consterné. Vacuité contre vacuité, l’affluence révélerait la bêtise crasse générale.

En revanche, si le succès effectif de cet étrange scrutin conduit à qualifier Arnaud Montebourg pour la finale, il y aura de quoi se féliciter de la clairvoyance et de la pugnacité des Français, quelle que soit l’indigence du programme du député de Saône-et-Loire. Car par sa simple originalité (au royaume des aveugles et caetera), il écrase sans aucun doute possible celui des deux autres.

Mais mon ami Gilbert Comte pense que si l’hypothèse est merveilleuse, elle est impossible dans l’effondrement général.

Verdict ce soir.



Alexandre Gerbi







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4 oct. 2011

Les Harkis, Sarkozy, De Gaulle et les élites de la République confédérale de Françafrique

Décryptage d'un mensonge dantesque...





Les Harkis, Sarkozy,

De Gaulle et les élites

de la République confédérale

de Françafrique




par


Alexandre Gerbi






Vendredi 23 septembre, sur le plateau de la nouvelle émission de Paris Première intitulée Zemmour & Naulleau, un journaliste de Mediapart, Fabrice Arfi, déclarait que l’affaire Karachi était potentiellement
« le plus grand scandale de la Ve République ». François Bayrou, président du MODEM, lui répondit sans rire que le plus grand scandale de la Ve République, c’était peut-être, selon lui, l’affaire Tapie.

Il convient de répondre à ces deux amnésiques que les affaires Karachi et Tapie ne sont que pipi de chat (et je pèse mes mots, sans mépriser les victimes) comparé au scandale fondateur de la Ve République, dont le grand responsable fut Charles de Gaulle.

La preuve : bien que les faits remontent à bientôt d’un demi-siècle, la Ve République refuse toujours de reconnaître sa responsabilité dans l’holocauste des Harkis et des Algériens francophiles en 1962…

Responsabilité inavouable, parce que cet holocauste fut la phase finale de la plus grande imposture de l’Histoire de France et, par conséquent, du plus grand scandale, d’ailleurs fondateur, du régime actuel : le largage de l’Afrique par Charles de Gaulle, en vue de conjurer le métissage (« bougnoulisation » selon de Gaulle) de la France et de lever toute entrave au néocolonialisme, sur fond d’apartheid organisé à l’échelle intercontinentale…

Le samedi 24 septembre 2011, Zohra Benguerrah et Hamid Gouraï, fille et fils de Harkis, accompagnés d’une trentaine de marcheurs, ont achevé leur Longue Marche à travers la France. Un périple qui les a conduits, en un mois, de la préfecture de Montpellier aux portes de Paris.

Ce samedi soir-là, partis de Bourg-la-Reine en début de soirée, les marcheurs sont entrés dans Paris, comme promis, avec les flambeaux de la mémoire à la main.

Après avoir traversé les rues de la capitale en scandant « Sarkozy, menteur, De Gaulle, assassin » ou encore « Harkis, Français par le sang versé », le cortège est arrivé aux Invalides, dans la nuit.

Le lendemain, Nicolas Sarkozy présidait pour la première fois depuis son élection la cérémonie annuelle d’hommage aux Harkis. Sans juger bon d’y prononcer le moindre discours, dans une sorte d’ultime injure aux Harkis. Au même moment, les Marcheurs étaient interpellés sur la rive droite par les CRS, tandis qu’ils fonçaient vers l’Arc de Triomphe dans l’espoir de bloquer les Champs-Elysées, faute d’avoir obtenu le droit de venir assister à la cérémonie…

Pourquoi Nicolas Sarkozy continue-t-il de se parjurer et de mentir sur l’Histoire des Harkis ?

Elements de réponse…



Mea culpa : il y a un an, je croyais que de Gaulle n’en avait plus que quelque mois à passer pour le saint homme qu’il ne fut point, hélas, mais alors point du tout. Or je me suis trompé. En ce mois de septembre 2011, bien que dangereusement rongée de l’intérieur, la statue du Commandeur est toujours debout. Et Sarkozy toujours dans son costume de grand prêtre de la Ve République blanciste en ses trésors de tartufferie, sous l’icône du grand homme déifié.

Entièrement soumis au tabou des tabous, l’actuel chef de l’Etat continue donc de pipeauter, pour ne pas écorner l'image du fondateur du régime, qui mériterait pourtant bien plus que quelques égratignures.

Car en réalité, Charles de Gaulle aurait dû être condamné pour haute trahison et crime contre l’humanité. Cette idée a longtemps été soutenue par les adversaires les plus acharnés du Général, en particulier l’OAS (Organisation Armée Secrète), ce qui permit de la cataloguer absurde ou scandaleuse. Pourtant, le crime de haute trahison de Charles de Gaulle est une évidence qui s’impose à l’esprit, si on prend la peine d’examiner les faits. Mais encore faut-il se livrer à cet exercice, d’où l’utilité de l’amnésie bien utile à certains, que nous évoquions en ouverture…

Certes, il est permis de se doucher avec du rire, puisque tout ceci est, finalement, très amusant. Autant d’hypocrisie, autant de soumission, autant de mensonges, énormes, gigantesques et colossaux aux effets forcément cataclysmiques, voilà qui est bel et bien drôlatique… Le pays d’Ubu, qui n’est pas la Pologne, mérite plus que jamais ce grotesque et tubulaire saint patron…

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On ne le répètera jamais assez : aujourd’hui notoirement connu pour être un raciste de la pire espèce (hors micros, l’homme ne s’en cachait d’ailleurs pas), méprisant les « Bougnoules » à peu près autant que les « Nègres », se défiant comme du choléra des musulmans, le Charles de Gaulle qui sévit à partir de 1958 était aussi un genre de fasciste à caractère machiavélique, jouant sans restriction du mensonge et de la duplicité…

« Le Général a toujours été un ardent républicain et un démocrate scrupuleux ! » s’insurgeront quelques derniers gaullolâtres particulièrement aveugles ou eux-mêmes antidémocrates et antirépublicains. Las ! Qu’il me soit, pour ma part, permis d’en douter, et même davantage…

Scandale que de le dire. Il ne s’agit pourtant là que d’une consternante vérité.

Pour l’illustrer, je m’en tiendrai à quelques grandes lignes :

Charles de Gaulle a totalement subordonné le parlement à un Exécutif réduit, souvent, à sa seule personne, en particulier touchant à la gestion (désastreuse) de l’Affaire algérienne ; il a piétiné la Constitution à de très nombreuses reprises, sur des points fondamentaux et avec des conséquences gravissimes (voir, par exemple, l'Affaire gabonaise et la Loi 60-525, ou encore les discours d’Alger et de Mostaganem confrontés aux confidences à Peyrefitte) ; de Gaulle a ainsi, selon des voies antidémocratiques et ultraviolentes, démantelé la République en mettant au ban de la France les populations ultramarines (Afrique subsaharienne et Algérie), tout en conservant le bénéfice de l’exploitation de leurs terres, par le truchement du néocolonialisme. Tout cela pour, à la fois, préserver l’Hexagone de la « bougnoulisation » et du prétendu « boulet » économique et social subsaharien et maghrébin.

Ce vaste « largage », à la double essence racialiste et néocolonialiste travestie en mirifique « indépendance », fut accompli, répétons-le, au mépris des Institutions, des Lois, des principes républicains et de la démocratie, mais aussi de l’Histoire de France, voire de l’Histoire du monde, comme je l’ai expliqué dans Histoire occultée de la décolonisation, Imposture, refoulements et névroses (Ed. L’Harmattan, 2006).

En outre, pour mieux, à la fois, ensevelir ses mensonges et rendre ses décisions irréversibles, Charles de Gaulle n’a pas hésité à provoquer la mort de centaines de milliers de personnes. Ce fut le génocide des Algériens francophiles, en particulier des Harkis – interdits de rapatriement et livrés en tout connaissance de cause au supplice et à la mort – et les Pieds-Noirs – eux-mêmes menacés, parfois frappés de massacre, et condamnés ainsi à l’exode. Pareils violences et tragédies s’inscrivant, répétons-le, sur fond de démocratie bafouée, de principes transgressés, de manipulations, de duplicité…

Or au lieu d’être destitué et traduit en justice pour haute trahison et crime contre l’humanité, l’auteur du coup d’Etat militaire de mai-juin 1958 parvint à ses fins. Sur ce socle fondamentalement vicié car monstrueux et mensonger, il fonda un régime, le nôtre, la Ve République blanciste, qui tient debout (pour combien de temps encore ?) depuis un demi-siècle.

L’Histoire étant écrite par ses vainqueurs, celle qui nous est racontée depuis lors est donc dictée par Charles de Gaulle, ses alliés, ses successeurs et ses héritiers. Avec d’autant plus de force que le reste du monde fait caisse de résonance, rançon internationale de la trahison, évidemment…

Rien d’étonnant donc à ce que l’histoire qui nous est racontée par le Système, ses médias, ses écoles, ses universités, ses intellectuels, sa classe politique, soit fondamentalement mensongère.

Or rien de sain ne peut se construire sur le mensonge et la trahison. On aurait donc tort de s’étonner que le régime de la Ve République blanciste, moralement corrompu dès son origine, marqué du sceau de l’infamie, du crime et de la transgression, a fini par détruire le pays, après avoir dévasté ses anciens territoires d’Afrique noire et anéanti l’Algérie.

Régime criminel, régime abject, régime pourri dès l’origine, car fondé sur la destruction d’un rêve républicain, égalitaire, antiraciste, laïc et social (cf. les Discours d’Alger et de Mostaganem de Charles de Gaulle, 4 et 6 juin 1958). Ce projet républicain qu’il prétendit d’abord bâtir pour justifier son coup d’Etat, de Gaulle, une fois élu, s’employa à le détruire au profit d’un apartheid organisé à l’échelle intercontinentale. Les territoires d’Afrique demeurèrent en effet, pour l’essentiel, dans la main de l’Etat français, lui-même centralisé à l’Elysée. Réseaux Foccart et barbouzes à l’appui. Et là encore, violence, au besoin ultraviolence à la clef…

Car Charles de Gaulle était de l’ancienne école, celle des généraux de 14. Il faisait peu de cas de la vie humaine, y compris quand les morts se chiffraient par dizaines ou par centaines de milliers. Les Harkis et les Algériens francophiles en savent quelque chose. L’Algérie martyre, aussi. Sans rien dire de l’Afrique subsaharienne.

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Logiquement, cet ensemble franco-africain qui, par-delà des indépendances de façade, s’est maintenu sans le dire, se dota progressivement, ou plutôt développa des élites et une bourgeoisie communes, partageant le même catéchisme mensonger fabriqué par Charles de Gaulle, ses serviteurs et ses alliés.

Au-delà des indépendances fictives, ce vaste pays qui ne disait pas son nom, ce qu’on pourrait appeler « la République confédérale de Françafrique » ou « la Ve République blanciste » ou encore « la Ve République gaullienne blanciste », nanti de ses dominions africains, avait son gouvernement basé à Paris, précisément à l’Elysée, et ses gouverneurs africains officiellement indépendants mais en réalité vassalisés de gré ou de force. En métropole, les élections demeuraient à peu près démocratiques (sans exclusive de manipulations, via les médias ou le mode de scrutin, par exemple), tandis qu’en Afrique, l’Elysée décidait tout simplement, en dernier ressort, à la place des populations.

Ce vaste pays avait son tissu industriel, il avait sa monnaie pour ainsi dire unique (le franc CFA, portant justement le nom de la monnaie de l’Hexagone auquel il était attaché), ses capitaines d’industrie et ses amis.

Tant qu’à faire, tout ce beau monde mettait sa progéniture dans les mêmes écoles, d’abord la « mission », l’école française, puis le collège, puis le lycée français. Exclusivement entre progéniture de bourgeois africains totalement francisés, et progéniture de Français « expatriés » et le plus souvent bourgeois. Etudes supérieures dans l’Hexagone, ou en Amérique. Ainsi se développa cette bourgeoisie franco-africaine mais aussi franco-maghrébine, élite politique et économique flanquée de ses intellectuels officiels bien d’accord les uns avec les autres sur le bienfondé du divorce franco-africain. Une élite qui partage à la couleur locale près les mêmes codes, les mêmes goûts, les mêmes valeurs. Et surtout le même catéchisme historique et politique.

Adeptes du faites comme je dis et pas comme je fais, elles s’entendent comme larrons en foire, vivent le même french (or american) way of life, barbotent ensemble dans de grandes piscines de champagne et d’argent, dégustent de délicieux et capiteux cocktails, roulent dans de puissantes voitures allemandes, habitent de superbes demeures, considèrent avec le plus grand mépris le petit peuple (qu’il soit noir ou blanc), font affaire dans un français de langue maternel, ont d’ailleurs souvent la nationalité française ou, au besoin, la double nationalité…

Mais cette bourgeoisie commune à tous les Etats de ce que nous avons appelés la République confédérale de Françafrique, cette bourgeoisie franco-africaine ou françafricaine parfaitement unie jusque dans ses mœurs et ses intérêts, cette bourgeoisie françafricaine explique doctement au peuple qu’il doit être séparé, qu’il est très bien qu’il soit séparé, qu’il a toujours voulu être séparé, qu’il s’est battu pour être séparé. Même si tout cela est faux. Les Hexagonaux d’un côté, les Africains de l’autre, ces derniers de préférence balkanisés… Ainsi tout est mis en œuvre par ces bourgeoises parfaitement occidentalisées et/ou américanisées pour que leurs peuples soient les moins unis possible… Pour quelle mystérieuse raison ?

Quoi qu’il en soit, la bourgeoisie, les élites franco-africaines, qu’elles soient hexagonales, maghrébines ou subsahariennes, exaltent à qui mieux-mieux l’indépendance et les luttes de libération – alors qu’elles sont bien placées pour savoir que l’indépendance en Françafrique est une vue de l’esprit qui, si elle vaut pour le peuple qui le sent bien passer, n’est qu’une aimable fiction pour la bourgeoisie franco-africaine ou françafricaine unifiée…

Ainsi va la bourgeoisie franco-africaine ou françafricaine, de collusions symbiotiques en hypocrisie commune, de petites affaires en opulence, de travestissement de l’Histoire en destruction de leur peuple et de leur pays…

Et il faut bien reconnaître que le résultat est là : à force d’abnégation, à force de propagande et de rhétorique, les élites de la République confédérale françafricaine sont parvenues à séparer en divers morceaux le peuple françafricain. Divisé pour être mieux assujetti, exploité, neutralisé, celui-ci est dupe du baratin, tandis que meurent en silence les derniers vieux qui murmuraient que de Gaulle les avait entourloupés alors que l’unité, la fraternité franco-africaine égalitaire était la panacée.

Dans le monde numérique et amnésique, un nouveau monde surgit, débarrassé des chimères fraternelles et républicaines franco-africaines, au profit d’une mondialisation ultralibérale et ultracapitaliste, doublée d’une montée des obscurantismes politiques et religieux tous azimuts (la laïcité et les Lumières sont aussi les grandes victimes du largage gaullien et de ses étranges alliances, en particulier en Algérie…), où le social n’a qu’une très secondaire importance...

La victoire totale. Après un demi-siècle d’un système qui a eu pour effet de basculer l’Afrique dans d’effarantes régressions et chaos économiques, sociaux et politiques, et de reléguer la France au rang de puissance de deuxième et bientôt de troisième catégorie accablée de maux divers, entre effondrement économique, politique, social, moral et culturel, la porte de sortie préconisée par les élites françafricaines est toujours la même, le remède ne change pas : il faut que les différents morceaux déjà tronçonnés et rongés par leurs soins depuis cinquante ans achèvent leur séparation.

Selon une figure à l’extraordinaire audace, la formule magique qui a permis depuis des décennies de démolir et de ravager l’ensemble républicain franco-africain, continue d’être présentée aujourd’hui comme la clef de la situation dramatique qu’elle a pourtant provoqué…

« Comment tirer l’Afrique du sous-développement ? Par l’Indépendance ! En particulier à l’égard de la France ! »

Indépendance, mot toujours élégant (et, du reste, fictif) pour enrober la séparation, elle-même moyen de toutes les aubaines…

Amusant retournement des choses, sous les allures d’une continuité, et vice-versa…

Dans ce courant, évidemment, ceux qui prônent pour aujourd’hui et pour demain l’unité franco-africaine comme réponse aux ravages provoqués par la séparation qui fut imposée, répétons-le, de façon antidémocratique, antirépublicaine et anticonstitutionnelle, entre 1958 et 1962, se font traiter de… néocolonialistes ! Par ceux-là même qui se réclament de l’idéologie de la séparation qui, imposée par Charles de Gaulle au mépris de la démocratie et des principes républicains, y compris au mépris des Africains, a fait des ravages au nord comme au sud de la Méditerranée, et commande la plupart de nos maux…

En attendant, sûr de leur fait, Hamid Gouraï et Zohra Benguerrah, après avoir assiégé près de deux ans l’Assemblée nationale et le pouvoir sarkozyen, après avoir accompli leur Longue Marche des Harkis à travers la France et avoir été déclaré indésirables aux Invalides, répètent : « Nous irons jusqu’au bout ».


Alexandre Gerbi







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