22 nov. 2011

ConaCrika : Au cœur des flammes, une tragédie africaine

En ce moment à Paris...





ConaCrika :

Au cœur des flammes,

une tragédie africaine



par


Alexandre Gerbi






Sur la scène de la Manufacture des Abbesses, se joue actuellement une petite merveille de pièce, ConaCrika. Une œuvre terrible de Facinet, jeune auteur guinéen à l’écriture écorchée vive, qui semble fondre en un puissant alliage les vertiges d’un Rimbaud, les vitriols d’un Damas et les fulgurances crissantes et cristallines d’un Yambo Ouologuem. Dans une sorte de nouveau théâtre de la Cruauté.

Comme en réponse à notre monde, débile jusqu’au grotesque, de plus en plus obsédé par les couleurs de peau, l’auteur, Facinet, et la metteuse en scène, Alice Lacharme (lauréate de la Fondation de France), également comédienne dans la pièce et subsidiairement étudiante à Sciences Po, ont eu la riche idée de faire incarner la tragédie guinéenne par les trois couleurs : le Noir (Forbon N’Zakimuena), le Blanc (Alice Lacharme) et le Métis (Julien Béramis). Sans qu’aucun pigment ne commande à un quelconque rôle. Pour mieux désamorcer les manichéismes de comptoir et les délétères antagonismes d’épiderme que favorise un devenir, de longue date, monstrueux et déchiré.

La tragédie du stade de Conakry, en 2009, sous le règne d’abord plein d’espoir, finalement néronien de Dadis Camara, est à la fois la cible et le pivot du spectacle. Quand l’armée guinéenne, jouet d’un pouvoir politique devenu fou, vida ses chargeurs sur la foule, puis viola les femmes avec le canon encore fumant des fusils. Visions atroces, à l’image d’une Afrique martyre depuis des siècles, et d’une Guinée crucifiée par l’Histoire.

Cette Histoire, justement, ConaCrika nous y plonge, dans un mélange étourdissant de sang, de verdure et d’or, de pourriture, de misère et d’amour. Par l’angoisse et par le rire, au gré du jeu impeccable et même magistral de Julien Béramis (Les Nègres, Omar m’a tuer), dont le visage et les muscles vibrent au diapason d’une voix emportée et sans faille.

Dans une lumière crue, entre deux simples caisse et coffre de bois, les siècles défilent, le passé et le présent, l’universel et l’intime se répondent puis s’embrassent, comme les corps des comédiens dans de spectaculaires contorsions, épousailles, cris et danses.

Entre-temps, le colonialisme bouffi de bêtise, remonté des infections esclavagistes du XVIIe siècle, finit par nous tirer des éclats de rire, grâce aux pouffements hilarants de Forbon N’Zakimuena et aux vapeurs gloussantes d’Alice Lacharme, soudain possédés par l’âme d’un bourgeois et d’une marquise très Grand Siècle… Avant de nous confronter à nouveau, en leurs métamorphoses, au spectre de la tyrannie, et lancer finalement le défi du courage, de la révolte et de la vie.

Au cœur du malheur contemporain, un élixir, un vin de palme, une quintessence irradiante et miraculeusement salvatrice…

Alexandre Gerbi


Jusqu’au 28 décembre, du dimanche au mercredi, à 21 heures, au théâtre de la Manufacture des Abbesses, 7 rue Véron, Paris 18e. Métros Pigalle, Abbesses ou Blanche.
Réservations : 01 42 33 42 03






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