Fabius à Alger
ou
Bouteflika et Hollande
ou
La créature et son créateur
ou
Il est minuit Docteur Frankenstein
par
Alexandre Gerbi
L’Etat algérien et l’Etat
français entretiennent les rapports malsains de la créature avec son créateur,
quand celui-ci, le créateur, a le visage du Docteur Frankenstein.
Le mensonge est leur lot commun.
Car il faut cacher, précisément, ce lien de créature à créateur et, bien sûr,
de créateur à créature, ce ballet se dansant à deux, selon une dissymétrie
particulièrement riche en sens uniques et en culs-de-sac…
« Cachez ce lien que je ne
saurais voir ! » tel semble être le maître-mot d’Abdelaziz Bouteflika
à François Hollande (et vice-versa) – représenté ce lundi 16 juillet à Alger
par Laurent Fabius – tout affairés, encore et toujours, à masquer la vraie
nature du lien qui les unit.
C’est sûr, tous les deux
connaissent par cœur leur récitation. Pour la galerie, la « colonie »
Algérie (ou, si l’on est plus érudit, les départements) s’est battue unanimement
pour son indépendance, et ces rapports perpétuellement tendus entre les deux
Etats sont le fruit de l’affrontement initial et fondateur. Ceci explique, nous
dit-on, pourquoi la France était persona
non grata aux cérémonies du 50e anniversaire de l’indépendance,
célébrées il y a quelques jours, à Alger.
En réalité, cet entrechat diplomatique vise, en nous refaisant pour la
énième fois le coup de la brouille, à mieux cacher les liens de complicité
totale, de collusion intime, les petits et les grands secrets, les intérêts
communs à la créature et à son créateur…
D’ailleurs, au-delà des bisbilles
montées en épingle et des rancœurs en carton pâte, Abdelaziz Bouteflika et
François Hollande sont exactement sur la même longueur d’onde sur le chapitre
historiographique : avec l’aide du grand prêtre Benjamin Stora
(omniprésent sur les deux rives de la Méditerranée
pour dispenser la bonne parole en ce cinquantenaire (1)) ils sont bien d’accord pour proclamer très
officiellement qu’en 1962, il y a tout juste cinquante ans, la France, enfin
lucide car enfin gouvernée par le grand général de Gaulle, s’est rendue à
l’évidence d’un divorce inéluctable avec l’Algérie.
Nos deux compères, François et
Abdelaziz, savent pourtant parfaitement, mais cela ils ne le disent pas, que le
barréso-maurrassien de Gaulle méprisait les Algériens, arabes ou berbères,
qu’il appelait indistinctement les « Bougnoules », et avait compris
(c’est le cas de le dire…) qu’en leur accordant l’égalité des droits, il
métamorphoserait la France. « Mon village ne s’appellerait plus
Colombey-les-Deux-Eglises mais Colombey-les-Deux-Mosquées. », expliquait-il
en coulisses. Le bonhomme en ayant au moins autant, bien entendu, au service
des « Nègres »…
Alors de Gaulle décida que l’Algérie
serait « indépendante », comme le reste des territoires (et surtout
des populations…) d’Afrique. Et pour en finir avec les millions de Harkis, d’Algériens
francophiles ou pro-français, de Pieds-Noirs qu’il trouvait malencontreusement sur
sa route, il s’allia tout simplement avec le FLN. Ainsi les uns furent
massacrés en masse, les autres collectivement chassés du pays, toujours avec la
bénédiction du Général.
C’est sur cet exode (plus d’un
million de personnes sur une population de dix) doublé d’un gigantesque bain de
sang (selon les historiens, entre 45.000 et 150.000 morts, peut-être 200.000,
voire davantage…), tant de forces vives et de joies perdues, qu’a été fondée
l’Algérie contemporaine, avec le FLN placé à sa tête dans le rôle du nettoyeur.
Nation apocalyptique, on le voit,
puisque, dans l’esprit de celui qui tirait les ficelles, Charles de Gaulle,
l’option FLN permettait de briser définitivement tous les liens humains ou affectifs
qui, tôt ou tard, eussent pu reconduire à une fraternité franco-algérienne. C’est-à-dire
à une
réunification franco-africaine lourde en dangers de métissage (2)...
Désormais brisé, désorganisé, terrorisé,
amputé d’une partie de lui-même, ce qui restait du peuple algérien fut soumis à
un gigantesque bourrage de crâne par le régime que l’ancien maître avait choisi
pour son aptitude à servir une idéologie nationaliste des plus radicales, mais
aussi pour son talent à transformer une « indépendance » exaltée ad nauseam en formidable hold-up, avec
ce titre accrocheur : main basse sur les hydrocarbures… et sur tout le reste !
Ainsi l’Algérie prétendument
souveraine sombra dans la tyrannie et la manipulation surmultipliées, sous
l’œil bienveillant du général de Gaulle, orfèvre en ce domaine, fondateur de la
glorieuse Ve République bâtie sur le cadavre de l’unité franco-algérienne.
Opération réussie, puisqu’il ne viendrait aujourd’hui à l’esprit d’aucun
officiel algérien (ou français, ou franco-algérien) d’émettre le moindre doute
au sujet de la thèse officielle, comme le fit, par exemple,
l’ambassadeur Henri Lopes, à propos des indépendances en Afrique subsaharienne (3).
Alors à un demi-siècle de là,
lors d’un tout petit voyage de l’an 2012, à travers Laurent Fabius, François
Hollande comme avant lui tous ses prédécesseurs, prétend donner un
« nouvel élan » afin de bâtir la réconciliation, tout en continuant,
simultanément, de perpétuer les mensonges qui ont permis de tout détruire…
A l’heure où ses plaies, ses
mensonges et névroses postcoloniaux menacent de disloquer la France et achèvent
de ravager l’Afrique, impossible gageure ou démarche paradoxale ?
Les deux, Docteur Frankenstein, pardon,
Monsieur le Président…
Alexandre Gerbi
1 Comments:
Ce nouveau blog de vérité se passe de commentaire... Récemment invité par J.-P. Elkabbach sur le plateau de la Bibliothèque Médicis ("L'Algérie et nous", 22 juin 2012, sur France 5, consultable en réécoute), le journaliste contemporain des évènements d'Algérie où il avait servi en militaire, Hervé Bourges,ne pouvait-il pas être entendu porter encore cette thèse officielle, simpliste et mensongère, en disant (il est vrai d'un ton quelque peu interrogateur et non convainquant...)que c'est parce que les ex-colonies d'Afrique avaient voulu leur indépendance en 1960 que De Gaulle se serait rendu à l'évidence de devoir donner la sienne à l'Algérie ?
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