Paris / Alger :
Les bras du déshonneur
par
Alexandre Gerbi
Tandis que les bras d’honneur
s’échangent joyeusement entre Paris et Alger (c’est toujours mieux qu’au temps
jadis, quand la gégène répondait aux boulons et autres clous propulsés à
l’explosif…), ils sont innombrables, en France comme en Algérie, à tomber dans
le panneau...
Las ! Cette perpétuelle
guéguerre d’Algérie vise un tout autre but que celui apparemment poursuivi.
En effet, loin de participer au
dépassement du « contentieux » franco-algérien (que devaient assurer
les accords d’Evian), cette demande de repentance formulée pour ainsi dire
chaque année par l’Etat FLN (au pouvoir sans discontinuer depuis un demi-siècle,
avec les magnifiques résultats que l’on sait pour le peuple algérien et
l’Algérie…) vise à enfouir un pot-aux-roses qui menace, lui aussi
perpétuellement, de ressurgir.
Ce pot-aux-roses tient en peu de
mots : la collusion étroite et fondamentale qui unit l’Etat FLN, ou Etat
algérien, et l’Etat néo-gaullien, ou Etat français. Avec tous les crimes –
colossaux et polymorphes – qui y sont attachés.
Alliance des identitaires… avant la lettre
Historiquement, un nationaliste
hexagonal, identitaire avant la lettre, Charles de Gaulle (déguisé à l’époque,
il est vrai, en progressiste révolutionnaire, lors du quasi-coup d’Etat militaire
de mai-juin 1958, depuis longtemps effacé des mémoires, qui lui permit de
prendre le pouvoir au nom d’une Algérie française enfin égalitaire et
fraternelle… à seule fin de mieux finalement la détruire), crut bon de s’allier
aux nationalistes algériens du FLN, eux aussi identitaires avant la lettre. Les
identitaires des deux rives de la Méditerranée, français et arabes, faisant alliance, il suffisait d’y penser… de
Gaulle l’a fait !
Résultat : en 1962, la France,
débarrassée de ses populations arabo-berbères, et pour la plupart musulmanes,
d’Algérie, fut préservée (du moins théoriquement) dans son identité
« avant tout de race blanche, de culture grecque et latine et de religion
chrétienne », selon l’expression parfaitement antirépublicaine dont le Général
n’usait, bien entendu, qu’en coulisses, pour justifier sa politique algérienne.
Sans perdre le bénéfice, suprême adresse, du pétrole saharien. Car sur ce dernier
et crucial chapitre, le FLN sut mettre son intransigeance en veilleuse… en
attendant que le Général cassât sa pipe, ce qui ne manqua pas de survenir, le 9
novembre 1970 : moins de quatre mois après le décès du saint homme, le 24
février 1971, la nationalisation du pétrole algérien était un fait accompli. Au
plus grand bénéfice des hiérarques FLN et de leurs comptes en Suisse…
Les vertus indicibles de la terreur
Or en faisant délibérément du FLN
le maître absolu des anciens départements d’Algérie, Charles de Gaulle joua (du
moins le croyait-il) une carte fort habile : conformément à ce qu’avait
annoncé Raymond Aron dans son essai La
Tragédie algérienne (Plon, 1957), le FLN se chargea de chasser les
Pieds-Noirs. Tout bénéfice pour l’Hexagone, où un million de
« rapatriés », menacés collectivement de mort (selon le slogan
« la valise ou le cercueil »), trouvèrent refuge, malgré les huées et
les crachats de leurs compatriotes métropolitains opportunément conditionnés
par l’Etat, les médias et les intellectuels de Saint-Germain-des-Prés. Ces
sales Pieds-Noirs purent ainsi apporter leur force de travail, à l’heure où
l’économie hexagonale avait grand besoin de bras. En attendant que l’Algérie,
paupérisée et terrorisée, devienne, comme le reste du Maghreb et de l’Afrique,
un réservoir de main-d’œuvre abondante, servile et à bon marché pour
l’industrie française…
Mieux encore, le FLN se livra
comme prévu, dans l’Algérie nouvellement « indépendante », à un grand
nettoyage. Celui-ci se solda, entre juillet et octobre 1962, en trois vagues, par
un gigantesque bain de sang et de supplices. Selon les historiens, entre 45.000
et 150.000 Algériens, militaires ou
civils, furent éliminés en quelques mois. Peut-être même davantage… Une méthode
efficace qui permit, comme par enchantement, de transformer chaque Algérien en
partisan absolu de l’indépendance et d’effacer dans les têtes tout souvenir
favorable à la France et à l’unité franco-algérienne (passible de la peine de
mort, pour soi et pour sa famille…). Des vertus indicibles de la terreur…
Pas une tête ne dépasse
Cinquante ans plus tard, aujourd’hui,
le résultat est là, incontestable : impossible de trouver un Algérien (ou
une Algérienne) qui se rappelle un père, une grand-mère ou un tonton partisan
de l’« Algérie française ». Au contraire, comme dans un monde
parfait, pas une tête ne dépasse : tous ou presque sont des descendants de
« moudjahid », prêts à le jurer sur le cœur…
Même topo, d’ailleurs, pour une
bonne part des Français d’origine algérienne. Et pour cause : grâce à la
collusion De Gaulle/FLN, les partisans algériens de la France ayant été
déclarés sans appel « traîtres » et « collabos », l’unité
franco-algérienne ayant été déclarée définitivement scandaleuse ou absurde par
les nouveaux maîtres de la France et de l’Algérie, en l’an 2012, à part
quelques Harkis masochistes (ou héroïques…), il faudrait être idiot pour ne pas
s’être rangé, depuis longtemps, dans le camp des nobles « résistants »
et s’être inventé, au besoin, un passé à l’avenant…
Trimballant la triple culpabilité
du massacre des Harkis et des Algériens francophiles (répétons-le, de 45.000 à
150.000 victimes, voire davantage), du désastre économico-idéologico-politique
de l’Algérie (malgré la manne pétrolière) et de sa collusion avec l’Etat blanciste
de Charles de Gaulle, le FLN s’érige donc en accusateur de la France et de ses
crimes colonialistes, pour mieux cacher ses propres crimes et ses accointances
avec la Ve République blanciste…
Cette dernière, du reste, y
trouve son compte, soucieuse elle aussi d’enfouir ses misérables turpitudes,
ses trahisons, ses ignominies.
Au rythme des bras d’honneur de Gérard Longuet
ou de Khaled Bounedjma, qu’on appellerait mieux, au vrai, « bras du
déshonneur ».
Alexandre Gerbi