4 janv. 2014

Réponse et réflexions au sujet du rapport contesté sur l’intégration


Bonne année fusionniste 2014 !





Réponse et réflexions

au sujet du rapport contesté

sur l’intégration



par

Alexandre Gerbi




Le rapport sur l’intégration, ou plutôt sur les échecs de l’intégration, qui a défrayé la chronique à la fin de l’année 2013, a été rédigé par une commission constituée d’un aréopage de personnalités triées sur le volet. A l’évidence, le critère de sélection dudit aréopage était la faculté de penser « dans les clous ». Bien évidemment, à l’inverse, penser librement et critiquer en profondeur l’ordre établi est, manifestement, jugé comme une impardonnable faute par ceux qui nous gouvernent. A telle enseigne que, bien évidemment, je n’ai pas été invité à participer à cette commission. Mais qu’à cela ne tienne ! Je livre ici quelques extraits du diagnostic que j’ai posé il y a déjà plus de sept ans, dans mon ouvrage (maudit) : Histoire occultée de la décolonisation franco-africaine, aux éditions L’Harmattan. A chacun d’en juger…


En 2006, donc, j’ouvrais ainsi mon essai Histoire occultée de la décolonisation franco-africaine, sous-titré Imposture, refoulements et névroses :

« La France entre-t-elle dans une crise d’ampleur historique ? 

L’intégration d’une frange importante des Français d’origine maghrébine et africaine pose problème. Le remue-ménage soulevé par le voile islamique en fut le criant symptôme, après la tradition des voitures incendiées les jours de fête, la tendance à la guérilla urbaine anti-flic, anti-pompier, anti-France, la liberté de la femme remise en cause, l’explosion progressive de l’antisémitisme et de l’homophobie… Puis vinrent les terribles émeutes de novembre 2005, qui marquèrent un pic jamais vu dans la violence et la destruction. 

Ces Français qui ont « mal à la France », au point de siffler son hymne et de ne pas se reconnaître dans son peuple et ses valeurs, sont pour beaucoup des descendants d’indigènes de l’ex-Empire. Comme la majorité des Français de souche sont des descendants de serfs, la majorité des Juifs des descendants de parias, la majorité des Antillais et autres ultramarins des descendants d’esclaves ou d’indigènes de l’ex-Empire. Or quelle histoire de la colonisation et surtout de la décolonisation l’école et la télévision leur ont-elles racontée, à ces « jeunes » et moins jeunes qui ne se disent français qu’après leur religion et leur origine ethnique ? La même qu’à tous les petits Français. »

J’expliquais ensuite, au long de 150 pages étayées par 250 notes, que l’histoire de la décolonisation franco-africaine, telle qu’elle est racontée depuis cinquante ans, est essentiellement un mensonge. Un mensonge qui conduit, d’une part, à saper en profondeur le sentiment d’appartenance à la France des Français d’origine africaine, maghrébine ou subsaharienne. Un mensonge qui, d’autre part, et pire encore, conduit bien souvent cette partie de la jeunesse française à haïr la France et à vouloir l’abattre.

 A la fin de l’ouvrage, je constatais :

 « A droite, à gauche, au centre : depuis des années, en France, des voix se font écho pour réclamer un grand changement. Pourtant, quand l’urgence est si grande, aux plus sincères déclarations d’intention ne répond, inexorablement, qu’un désert d’idée. Il est devenu banal de dire qu’« on va droit dans le mur », mais personne ne sait comment arrêter la machine. Tout simplement parce que le diagnostic imposerait de mettre en cause une doxa qui fait encore aujourd’hui, pour ainsi dire, l’unanimité. Il est bien difficile de soigner un mal, lorsqu’on adhère à l’idéologie qui en est la cause… 

L’idéologie officielle de la Vème République, depuis au moins trois décennies, est nettement anti-patriote voire anti-française. En vertu d’une sémantique qui amalgame volontiers patriotisme et nationalisme, d’une lecture de l’Histoire coloniale et post-coloniale qui fait de la France et des Français, au prix d’un étonnant manichéisme, un pays criminel et un peuple raciste, la France des années 1970-2000 s’est complu dans l’autodénigrement. 

C’est dans ce contexte que sont nés et qu’ont grandi les enfants des immigrés, presque tous originaires de l’ex-Empire, avec dans les veines un sang qu’on leur a dit sang des victimes de la France coloniale et des Français, présentés comme collectivement comptables des crimes de l’ère impériale. 

Après tant d’années d’« hémiplégie du souvenir », il serait bon que ce sang qui se croit « victime » de la France se souvienne que la France l’a méprisé beaucoup moins qu’on ne le lui a dit, et qu’il a aimé la France beaucoup plus qu’il ne s’en persuade. 

Il serait bon qu’il conçoive que ses ancêtres ne se virent pas refuser la citoyenneté française par le peuple français, son peuple, qui les aurait volontiers accueillis fraternellement dans la communauté nationale si on l’avait consulté, mais par certains de nos dirigeants politiques d’alors, qui préférèrent ne pas donner au peuple l’occasion d’en décider. Car dans cette affaire, donner la parole au peuple comme l’exige la démocratie aurait très probablement conduit l’Histoire de France à prendre une tout autre direction que celle qui fut finalement choisie... 

Il serait bon qu’il réalise que, souvent, il s’est voué à d’autres passions (d’autres « patries » ?) par dépit d’être rejeté par la patrie française pour laquelle il éprouvait tant d’attirance. De nouvelles passions dont il serait bon, aussi, qu’il s’aperçoive qu’elles sont souvent illusoires ou mauvaises : la haine rapo-banlieusarde, l’intégrisme, l’ethnicisme, le communautarisme, le machisme, l’antisémitisme, l’homophobie… 

Il serait bon, aussi, que ce sang meurtri se souvienne, puisqu’il aime tant à invoquer le respect et la justice, que lui non plus n’est pas tout pur et que, s’il est question de race et de responsabilités devant l’Histoire et devant l’humanité, sa race à lui, arabe ou noire, a largement sa part dans les grands crimes dont les peuples d’Afrique et du Maghreb ont souffert à travers les siècles, et encore aujourd’hui, à commencer par l’esclavage, le racisme, l’aliénation de la femme, le mépris du petit peuple et autres crimes contre l’humanité.

Il lui faudrait surtout comprendre que l’homme a longtemps été un loup pour l’homme, et qu’il l’est encore souvent quelle que soit la couleur de la victime, celle du bourreau et la nature de ses prétextes – au demeurant, ne se rêve-t-il pas lui-même prédateur suprême dans la cité moderne son territoire, ce sang qui ne se veut qu’humilié et victime de Babylone ? »

Au terme de l’essai, je concluais :

« Sans doute serait-il naïf d’accorder un crédit sans limites aux spéculations de Freud et de Jung. En bons germaniques qu’ils étaient, l’un et l’autre ont certainement péché par esprit de système. Pourtant, s’il est question d’inconscient collectif aujourd’hui en France, je dirais qu’il n’est pas possible de vivre en paix avec un mensonge. 

Les Français d’origine subsaharienne ou maghrébine ne peuvent aisément se réclamer d’une nation qui a rejeté leurs grands-parents, et qui tente, par tous les moyens, de le faire oublier. 

Comment se revendiquer avec fierté d’un pays qui jugea vos ancêtres à ce point indignes d’en obtenir la nationalité qu’il préféra abandonner son Empire plutôt que de satisfaire leur désir d’égalité et de fraternité ? Comment se sentir citoyens d’une République qui, depuis près d’un demi-siècle, ment et travestit l’Histoire pour dissimuler ses choix et les raisons de ses choix, touchant à des territoires et à des hommes intimes à vos sensibilités affectives ? Comment, enfin, se sentir partie intégrante d’un peuple que vos ancêtres ont rejeté à cor et à cri, vous répète-t-on comme à plaisir, parce qu’ils ne voulaient à aucun prix en être les membres ?

On ne pourra faire l’économie d’un pénible et immense aveu. Car tous ces non-dits, tous ces travestissements d’Histoire sont autant de flétrissures que les « Français issus de l’immigration », sans doute plus que les autres, savent et refoulent, et dont ils souffrent. Parce qu’à vivre sur une amnésie volontaire, en effaçant tous les souvenirs d’amour, en s’inventant des souvenirs de haine, on se forge de dangereuses névroses. 

Notre époque parle sans cesse de névroses individuelles (le plus souvent, du reste, avec un grand sourire narcissique…) sans voir que ce qui ronge la France post-gaullienne, c’est une névrose collective, nourrie de ce secret inavouable qui nous condamne à vivre ses funestes conséquences. Les élites blanches, intelligentsia et classe politique en tête, irrémédiablement honteuses du blancisme et du racisme incarnés par la Vème République et sa fallacieuse «décolonisation», ont généré une société médiatique à l’antiracisme ostentatoire, désorientée dès qu’elle considère un descendant des « indigènes ». Parce que ces élites, percluses de remords, n’osent pas regarder l’Histoire en face, elles sont aveugles au mécanisme qu’elles ont enclenché. Elles se montrent incapables de comprendre et, par conséquent, d’endiguer le phénomène de la « haine » qui prospère dans les banlieues. De leur côté, de nombreux jeunes issus de l’immigration, désormais largement rétifs à l’intégration, sont animés d’un vif ressentiment à l’égard de la France et de la francité, parce qu’en rejetant leurs pères, l’Histoire les a frustrés, précisément, de France et de francité. C’est pourquoi, dans les parfums délétères du lavage de cerveau et de la propagande, mus par la force folle et âpre du refoulé, ils ont mis le feu à la France. On n’immole rien avec tant d’ardeur que ce qui fut en vain adoré. »

Touchant à la nature de l’union des différentes composantes civilisationnelles, et à ses conditions de viabilité, dans la République, je précisais au milieu de l’ouvrage :

« Charles de Gaulle et l’idéologie de la Vème République ont cherché à oblitérer tout un pan de la sensibilité française et de l’Histoire de France. A oblitérer, aussi, tout un pan de la sensibilité et de l’Histoire de l’Afrique subsaharienne et du Maghreb. Une histoire fraternelle, où le sentiment d’appartenance à la France transcendait races et cultures, et se sublimait en une volonté ardente de construire une nation dépositaire d’un idéal traversé de l’esprit des Lumières. 

C’est là que gît le grand scandale : en organisant l’amnésie pour assurer sa victoire, en promouvant la vision exclusive et pernicieuse d’une France « avant tout de race blanche, de culture grecque et latine et de religion chrétienne », cette idéologie s’est opposée radicalement aux valeurs de la France moderne et contemporaine, fille de la Révolution de 1789. 

Certes, les valeurs de la France moderne (liberté, égalité, fraternité, et laïcité) sont incontestablement tributaires des facteurs qui composent le socle français (du moins culture et religion). Mais l’originalité radicale de ces valeurs est, précisément, d’appeler au dépassement de ces facteurs par l’avènement de la Nation multiraciale (ou plutôt antiraciste, puisque la République ne connaît pas de race) et pluri-religieuse (ou plutôt laïque, puisque la République proclame la liberté de conscience) voire multiculturelle (à condition que les cultures ne prétendent pas opposer leurs propres valeurs à celles de la République). Ce dépassement est rendu possible par l’adhésion des citoyens, quelles que soient leurs cultures, leurs religions ou leurs races, aux valeurs de la République. C’est précisément ce dépassement que les anti-intégrationnistes, en particulier le général de Gaulle, jugèrent insensé. »

Le livre, Histoire occultée de la décolonisation franco-africaine, n’a bénéficié d’aucun article dans la presse écrite. Oui, vous avez bien lu : aucun article. Il est vrai qu’en 2006, en soutenant que l’indépendance avait été imposée à l’Afrique subsaharienne, je passais aux yeux de beaucoup pour un scandaleux hurluberlu. Quatre ans plus tard, Henri Lopes, grand diplomate congolais, écrivain de renom et ancien indépendantiste, confirmait la validité de cette thèse, lors d’une table ronde organisée par l’Institut Pierre Mendès France, à Paris, dans le cadre du cinquantenaire des indépendances africaines, en déclarant que l’indépendance avait été « imposée » aux Africains. Symptomatiquement, tous les participants de ladite table ronde, hautes personnalités médiatico-politiques, firent mine de n’avoir rien entendu. A quatre ans de distance, la voix d’un grand ambassadeur africain semblait donc aussi inaudible que celle du petit essayiste français que je suis… D’ailleurs, tout au long de cette année-là, en 2010, hormis le symposium dont je fus le coordinateur, au théâtre du Lucernaire, à Paris, avec les éditions L’Harmattan, je ne fus invité à participer à aucun des nombreux colloques organisés à travers la France à la faveur du cinquantenaire des indépendances. Et pour cause : tous ces colloques organisés par l’Etat ou ses ramifications, s’employèrent à marteler comme une vérité absolue et incontestable le mensonge officiel, selon lequel les indépendances africaines furent arrachées par une Afrique avide de se séparer de la France. Le « droit des peuples à disposer d’eux-mêmes » fut ainsi mis perpétuellement en avant, par des gens comme Benjamin Stora ou Catherine Coquery-Vidrovitch, alors même que les peuples subsahariens ne furent pas consultés, au prix d’ailleurs d’un véritable scandale constitutionnel, comme je l’ai expliqué dans un article (intitulé L’effarante Loi 60-525) qui fit, en 2008, l’effet d’une bombe dans les coulisses franco-africaines. L’effet d’une bombe dans les coulisses, mais totalement « pschitt » dans la presse française et sur le devant de la scène nationale et internationale, comme d’habitude.

En l’an 2013, il est révélateur que de prétendus « chercheurs » en réalité serviteurs du mensonge historique et de l’ordre établi tiennent le haut du pavé médiatique et politique, et que des empêcheurs de tourner en rond comme ma modeste personne soient tenus essentiellement sur la touche, muselés. Dans le même temps, les imposteurs, notamment les auteurs du rapport commandé puis mis en ligne par Matignon, sont grassement payés pour aligner les tartufferies et les inepties… Mon cas personnel est de peu d’importance. J’en fais ici état parce qu’il me semble révélateur du sort que l’ordre établi réserve à ses adversaires les plus déterminés. Ce qui, en revanche, m’apparaît beaucoup plus grave, et que je n’accepterai jamais, c’est qu’après l’immense martyre de l’Afrique francophone, de ses territoires merveilleux aux populations et aux civilisations souvent admirables, la France, notre pays magnifique et sublime, est en train d’en mourir à son tour. Assassiné par son Etat et ses superstructures aveugles.

Alexandre Gerbi