2 févr. 2014

De Dieudonné à Taddeï : Chronique d’une dérive étatique et judiciaire


Article publié sur AgoraVox 
le 24 janvier 2014





De Dieudonné à Taddeï :

Chronique d’une dérive

étatique et judiciaire



par

Alexandre Gerbi




Au-delà de l’effroyable crise de société, d’identité et même de civilisation qui mine dangereusement la France, l’affaire Dieudonné illustre les responsabilités d’un Etat et d’une justice devenus trop souvent impuissants. Et charrie d’autres menaces, tout aussi inquiétantes, que pourrait illustrer le sort réservé, dans la foulée, à Frédéric Taddeï…


L’impunité dont a bénéficié, de fait, Dieudonné, en ne payant pas ses amendes, l’a évidemment encouragé à aller toujours plus loin dans l’infamie et le lamentable. Cette même impunité judiciaire entraîne chaque jour, en France, nombre d’individus sur le chemin de la violence, du vol ou de la corruption, en en faisant, peu ou prou, des ennemis de la société. Depuis les malfrats et les criminels divers et variés jusqu’à l’ineffable Jérôme Cahuzac.

L’erreur colossale du Crif, de Valls et consorts, fut non seulement d’accorder une caisse de résonance gigantesque aux élucubrations de Dieudonné, mais aussi, ce qui est sans doute encore plus grave, de sembler les accréditer.

D’abord en obtenant l’interdiction de sa pièce Le Mur, événement pour ainsi dire sans précédent en France. Une censure a priori totalement contraire au droit, comme l’ont relevé nombre d’éminents juristes, y compris de gauche. Ce faisant, le « lobby juif » tant décrié par Dieudonné, dont le rôle est ici joué par le Crif, obtient l’impensable. Cerise sur le gâteau, pivot de l’opération, on vous le donne en mille : au Conseil d’Etat, un juge unique et… juif !, qui tranche, à lui tout seul, dans un sens que tous les maîtres « quenelliers » de France ont eu beau jeu de juger, ipso facto, prévisible autant qu’édifiant. A ce petit jeu-là, les antisémites se régalent et le moulin de Dieudonné tourne à plein régime, inondé de grain à moudre…

Comme si le désastre n’était pas assez complet, le Crif a assimilé, dans le même mouvement, la quenelle à un « salut nazi inversé » (sic). Autrement dit, le geste anti-Système, dont le succès rencontrait un public de plus en plus large ces dernières années (avec un effet d’accélération ces derniers mois, à la grande inquiétude de ses cibles favorites, grosses légumes dudit Système…), est ramené à un geste fanatiquement anti-Juif ! Pour un Dieudonné qui s’évertue, à longueur de spectacles et d’interviews, à inscrire le signe « égale » entre Système et Juif, quel cadeau sur plateau d’argent ! Son public peut saluer d’une quenelle « épaulée » la performance de l’artiste…

Evidemment, dira le cynique, cet amalgame, dont on vient de voir la dangerosité, arrange bien le Système. En effet, celui-ci croit avoir trouvé là un bon moyen de se débarrasser d’un phénomène devenu des plus gênants. Car la quenelle s'est muée en un jeu : parvenir à se faire photographier en l’exécutant aux côtés de personnalités, en particulier politiques, l'image ainsi obtenue ayant pour vocation à être mise en ligne sur la Toile. Avec l’accusation d’antisémitisme, le Système a trouvé (ou a cru trouver…) le moyen d’interdire et d’éradiquer un geste qui le visait et l’atteignait symboliquement et cruellement (en photo) de plus en plus souvent. Mais à quel prix ? Et, au vrai, avec quel succès ?

Quoi qu’il en soit, à la faveur d’une justice impuissante et d’une politique de Gribouille, les spectacles de Dieudonné, depuis dix ans, s’enfonçaient progressivement dans l’antisémitisme le plus grossier, obsessionnel et malsain… Une dérive qui, au bout du compte, a servi de justification à l’interdiction pure et simple d’un de ses spectacles, mais aussi du geste de la quenelle ! Drôle de micmac…

Or, au-delà de leurs ignominies, force est de constater que les spectacles de Dieudonné sont aussi parfois de formidables moments de comique subversif, c’est-à-dire de satire éclatante de vérité... Car si à son antisémitisme répond une islamophilie, voire une « islamistophilie » assumée, Dieudonné a, dans bien des domaines, la dent dure et fait preuve d’un courage certain… dont sont, du reste, bien incapables la plupart de ses détracteurs…

Ainsi, et je m’en tiendrai à cet exemple, j’observe que depuis la publication de Histoire occultée de la décolonisation franco-africaine, mon essai maudit, Dieudonné est le seul homme de spectacle, et même le seul personnage public français, a avoir ouvertement soutenu mon étrange thèse, qui est aussi un tabou puissant et majuscule. Dans un sketch d’ailleurs hilarant et remarquable, Le président africain (dans le spectacle J'ai fait le con, en 2008). 

Quel est ce tabou puissant et majuscule ? Celui du largage, il y a un demi-siècle, des territoires et populations d’Afrique par Charles de Gaulle, figure tutélaire du Système (auquel, selon un paradoxe qui n'est qu'apparent, le Général prétendit s’opposer… afin de mieux accomplir ses plus sombres desseins…), pour d’inavouables calculs civilisationnels et financiers, le tout sous couvert d’indépendance (fictive). Ce non-dit énorme et complexe (il faut prendre le temps d’y réfléchir, ses implications sont cyclopéennes et minent en profondeur notre époque…) trône au panthéon des mensonges sur lesquels est bâtie la catastrophique Ve République.

A partir de la minute 7'50 :



On le pressent, l’affaire de Dieudonné ne se résume pas à la caricature manichéenne que certains nous servent, du méchant Dieudonné entièrement noir (c’est le cas de le dire) face à un Système entièrement blanc (c’est encore le cas de le dire). Et il est éminemment regrettable que, derrière le juste combat contre l’antisémitisme, se profile le spectre d’une censure dont bien malin pourra dire où elle s’arrêtera…

D’ailleurs, les choses n’ont pas tardé à s’accélérer. Ainsi a-t-on appris que Frédéric Taddeï verrait son émission Ce soir, où jamais ! sinon déprogrammée, du moins, dans un premier temps, repoussée à minuit, soit à un horaire à la fois incongru et potentiellement périlleux pour son avenir… Une mesure qui pourrait bien ressembler à une porte de sortie…

Notons, avec d'autres, qu’il est des plus singulier que certains qui hurlent (à juste titre) sur le « Chaud-Ananas » de Dieudonné soient les complices, par exemple, des Femen qui ont profané récemment l’église de la Madeleine ou Notre-Dame, à Paris. Ci-devant, Caroline Fourest ou Patrick Klugman, respectivement chantre médiatique et avocat officiel desdites Femen.

Car s’il est inacceptable, comme le fait Dieudonné, de verser dans l’infâme et l’abominable (évidemment, on ne peut danser et chanter à répétition, rigolard, sur le souvenir des suppliciés, qu’ils soient juifs ou pas, qu’ils soient instrumentalisés ou pas), il est également inacceptable de profaner un lieu sacré, qu’il soit monothéiste ou païen. Qui ne voit que s’en prendre à un temple, un mausolée ou une sépulture, c’est verser dans la barbarie ? Qui ne voit que Dieudonné et les Femen, en l’occurrence, ne sont pas si éloignés, quelles que soient, par ailleurs, leurs utilités respectives ? Et qui ne voit que les indignations à géométrie variable font le jeu de tous les extrémistes ?

Manifestement, l’affaire Dieudonné laisse espérer à certains de ses ennemis les plus acharnés, non seulement de pouvoir continuer de couvrir des ignominies sacrilèges contraires à nos valeurs démocratiques les plus fondamentales, mais aussi de pouvoir bâillonner la liberté d’expression, foulant ainsi aux pieds un principe essentiel de la République.

En ligne de mire, donc et par exemple, Frédéric Taddeï, coupable d’inviter dans son émission Ce Soir, ou jamais ! des « cerveaux malades » comme Dieudonné, selon l’élégante expression de Patrick Cohen, journaliste à France Inter et France 5 et cible logiquement choyée en retour par Dieudonné (avec toute la lourdeur ignoble dont celui-ci est capable).

Plus récemment, au terme d’une émission au cours de laquelle il avait donné très largement la parole aux détracteurs de Dieudonné (dont Alain Jakubowicz de la Licra), mais aussi à ce détracteur plus inattendu qu’est Marc-Edouard Nabe, « cerveau malade » comme l’a rappelé Taddeï. Ce dernier, faisant allusion à la charge de Patrick Cohen, interviewa par conséquent M.-E. Nabe à part, pendant sept minutes, temps de parole équitable pour une émission d’une heure trente. Le lendemain, Caroline Fourest se crut néanmoins autorisée à twitter : « Chez Taddeï, la démocratie médiatique c’est 5 minutes pour les Juifs et 10 minutes pour Hitler… » Une charge qui bénéficie du haut patronage du tout-puissant BHL, alias Bernard-Henri Lévy, qui depuis bien des années s’emploie à dézinguer Taddeï, et de plus longue date à traîner la France dans la boue (lire par exemple son livre abject intitulé L’idéologie française, Ed. Grasset, 1981).

Ignorant si je fais partie ou non des cerveaux malades (même si le fait que France Inter ne m’ait jamais invité constitue peut-être un élément de réponse), je me sens néanmoins en devoir de rappeler que Frédéric Taddeï est, avec Carole Gaessler du Soir 3, le seul animateur (ou journaliste) à m’avoir accueilli dans une émission télévisée nationale de grande écoute, en mai 2010. Tout simplement parce que Frédéric Taddeï considère que son émission, comme son nom l’indique (« Ce soir, ou jamais ! »), est le lieu par excellence où s’expriment, sans exception, tout ce que le pays – voire le monde – compte de voix et de réflexions diverses, dans la limite de la loi, comme Taddeï l’explique également. Afin d’offrir au téléspectateur, sur le service public, un accès le plus complet possible aux différentes sensibilités du temps, y compris les plus controversées. Ce qui n’est pas du luxe, quand on sait combien le monde médiatique français est contrôlé et verrouillé, et volontiers soumis au « politiquement correct ».

Constatant que Frédéric Taddeï, incarne l’un des rares esprits libres de la télévision, et que son émission Ce soir, ou jamais ! reste un des très rares espaces pluralistes du monde médiatique français, il est particulièrement inquiétant et dommageable que l’affaire Dieudonné en fasse la première victime collatérale d’une mécanique idéologique enclenchée par la décision du Conseil d’Etat, après le intrigues et menées conjointement par Manuel Valls et le Crif.

Pareil scandale, s’il devait se confirmer, augurerait d’un avenir bien sombre pour la liberté d’expression, la démocratie et la République, déjà tellement mal en point en France. Et de lendemains prospères pour l’antisémitisme et pour les ennemis de notre pays. Que ceux-ci se situent à l’extérieur ou à l’intérieur du Système…

Alexandre Gerbi


1 Comments:

At 3/2/14 17:34, Blogger Sophie de Clauzade said...

Bravo pour cet article !
Tandis qu'on est scandalisé d'apprendre que Dieudonné est maintenant interdit dentrer au Royaume-Uni !

 

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