13 oct. 2014

Le brillant (et colossal) contresens historique d'Eric Zemmour




Le brillant (et colossal) 

contresens historique

d'Eric Zemmour




par

Alexandre Gerbi







L’indigence abyssale de l’UMPS, sa décomposition par tous les bouts, transforme par simple effet d’optique Marine Le Pen en grande prêtresse de la vérité. Selon le même principe, Eric Zemmour brille aisément face à une caste médiatique discréditée par ses dénis de réalités et ses hypocrisies au service du Système…

Résultat, Eric Zemmour et Marine Le Pen marchent sur l’eau. Lui à 5000 exemplaires par jour, elle à 38% d’opinion favorables, selon un crescendo quasi-permanent…

Or il se trouve que, depuis bien des années, la pensée d’Eric Zemmour repose sur un énorme contresens historique, une colossale erreur que son nouveau livre semble devoir illustrer, comme le précédent (Mélancolie française, 2010).

Eric Zemmour situe l’origine des malheurs de la France aux années 1970, dans le sillage de Mai 68, traditionnelle bête noire (et rouge…) du camp réactionnaire. Mieux encore, lorsqu’il chausse les lunettes des siècles, Zemmour estime que la France a cessé d’être une grande nation en 1815 (oui, au début du XIXe siècle…). Napoléon, « l’Empereur » comme l’appelle Zemmour avec admiration, aurait donc emporté à Waterloo le dernier rêve de la grandeur française…

C’est que Zemmour a fait sienne l’image gaullienne – et barrésienne, et maurrassienne – d’une France dont la grandeur ne saurait être qu’européenne. On se rappelle le mot de Déroulède en 1881, à propos de l’Alsace-Lorraine et des colonies d’Afrique : « J’ai perdu deux sœurs, vous m’offrez vingt domestiques [ou « vingt nègres », selon les sources] »...

Cette « certaine idée de la France » a conduit, voilà cinquante ans, De Gaulle à larguer l’Afrique et l’Algérie, dans des conditions radicalement antidémocratiques et parfois meurtrières. Ainsi 95% du territoire de la République, et la moitié de sa population, furent mis au ban de la France. Outre ces aspects démographique et géographique, le largage de l’Afrique impliqua aussi de sévères effets psychologiques. Car en se débarrassant de l’Afrique pour des motifs à la fois raciaux, civilisationnels et financiers (même si le largage n’entrava que partiellement l’exploitation des richesses africaines, dans le cadre néocolonial…), la France foula au pied ses principes les plus sacrés (en particulier la démocratie), en même temps qu’elle trahit son idéal (liberté, égalité, fraternité, par delà les races et les religions). Pour l’âme d’un peuple, pour un inconscient collectif, tout ceci est, bien évidemment, très lourd de conséquences…

Or tout cela, dans son système, Zemmour le passe essentiellement à la trappe. Tout en continuant de se réclamer de la vérité et de pleurer sur la fin de la France…

Pourtant, c’est précisément le largage de l’Afrique et en particulier de l’Algérie qui a broyé le patriotisme français, en transformant les Africains partisans de l’unité franco-africaine en traîtres ou, au mieux, en imbéciles. D’ailleurs ceux-ci, dans les anciens départements d’Algérie, furent livrés collectivement aux couteaux vengeurs du FLN, avec la complicité du Machiavel de l’Elysée, et en parfaite connaissance de cause. Ainsi fait-on rentrer les fâcheux dans le rang…

Au rebours de ce qui est asséné depuis un demi-siècle (au point que beaucoup en sont aujourd’hui sincèrement convaincus, en particulier en France et dans ses banlieues…), au tournant des années 1950-1960, l’Afrique ne voulait à aucun prix de la sécession. Car elle savait qu’elle s’en trouverait rapidement paupérisée. « Nous ferions un bond de cinquante ans en arrière », avait prévenu Valdiodio N’diaye, partisan d’une « indépendance » dans un cadre confédéral, c’est-à-dire d’une indépendance à la californienne, qui n’en est donc pas une… Mais De Gaulle préféra acculer l’Afrique à une sécession qui, comme prévu, provoqua « un bond de cinquante ans en arrière », pour ne pas dire plus...

Entre misère de masse et explosion démographique, l’Afrique s’est donc déversée, et se déverse chaque jour davantage, sur l’ancienne métropole. Dans des conditions économiques et sociales, mais aussi idéologiques, délétères. D’autant que les principaux pourvoyeurs d’immigration africaine dans l’Hexagone furent longtemps les Algériens, chez qui le patriotisme français avait été broyé, comme on l’a dit, par la double action de De Gaulle et du FLN, alliés cyniques dans la terreur…

La France gaullienne refusa d’ensemencer l’Afrique (qu’on relise Alioune Diop) parce qu’elle refusait d’être en retour ensemencée par elle. En coulisses, De Gaulle parlait, sans ambages, de « bougnoulisation  » et de « Colombey-les-Deux-Mosquées ». Le grand chef se résolut donc à réduire la France comme peau de chagrin. A la ramener vraiment à elle-même, corrigerait le gaullo-barrésien Zemmour. Ainsi, entre 1958 et 1962, la France connut le plus grand rétrécissement volontaire qu’un pays ait connu à travers l’histoire du monde. Quitte, à partir de là, à être condamnée à subir la loi du plus fort. Bizarrement, ces évidences semblent totalement échapper à Zemmour, habituellement plus sagace…

Cet étrange aveuglement de Zemmour coïncide avec la doxa de la Ve République gaullienne. Aussi les petits soldats du « PAF » ne risquent pas de le dénoncer : ils en sont eux-mêmes victimes. Ce n’est pas de sitôt qu’on verra un Patrick Cohen, une Ruth El Krief, un Aymeric Caron, une Léa Salamé ou un Laurent Ruquier venir reprocher à Eric Zemmour d’exonérer Charles de Gaulle de ses responsabilités éminentes et accablantes dans le désastre français contemporain. Sous cet angle, Zemmour fait bien partie du même Système que ses détracteurs, lui qui se pose volontiers en rebelle…

Contrairement à ce qu’affirment les gaullistes dont Zemmour, si de Gaulle n’avait pas largué l’Algérie et l’Afrique, s’il n’avait pas trahi les promesses solennelles au nom desquelles il organisa le coup d’Etat de mai 1958 et renversa la IVe République, aujourd’hui, la France serait davantage elle-même, c’est-à-dire plus conforme au génie de son peuple (liberté, égalité, fraternité) et à sa volonté. Mais ce génie du peuple français fut assassiné en même temps que la Révolution de 58. L’Afrique fut larguée, la France démembrée et finalement détruite ou, si l’on préfère, démantelée. Avant d’entrer en décomposition

Tout cela, je l’ai expliqué il y a bien des années dans mon livre Histoire occultée de la décolonisation franco-africaine, imposture, refoulements et névroses (L’Harmattan, 2006). Le Suicide français d’Eric Zemmour, aussi pertinent dans ses constats qu’erroné dans ses conclusions et dans son analyse globale, aurait dû être vendu accompagné d’Histoire occultée en guise d’indispensable appendice. Ainsi aurait-il évité au Suicide français d’être un vaste et brillant contresens historique, qui au lieu d’éclairer notre présent, permet de prolonger l’imposture et d’accompagner les désastres qui menacent d’achever la France…


Alexandre Gerbi

2 Comments:

At 13/10/14 19:40, Blogger Sophie de Clauzade said...

Bravo et encore merci pour cette si excellente et indispensable mise au point!

 
At 15/10/14 05:34, Blogger Gilles said...

Encore un excellent article sur ce blog… Une vision claire face au spectacle du quotidien offert tant par Zemour que la Marine et autres histrions "marchant sur l'eau" sans autre objectif que de meubler laborieusement un intermède avant le grand cirque de 2017… …
Je rentre d'un voyage en Asie centrale… Initialement sur les traces de Iouri Dombrovski et sa Faculté de l'Inutile à Alma Ata… La cathédrale Zenkov, musée du temps de Dombrovski, est redevenue cathédrale… Un musée de la répression par contre y a été ouvert… Les églises rouvertes, les goulags sont à présent musées… La "Iejovschina" révolue depuis longtemps… Staline et Iéjov entrés dans un passé vrai quand en France plane toujours le mythe de DeGaulle et qu'un Pasqua enroué tente encore de rugir de temps à autre…
Reléguée au musée la grande terreur stalinienne, très vite ce qui m'y a le plus frappé c'est la réussite du démembrement de l'URSS… Cette "décolonisation" russe… Les liens entre les anciennes Républiques soviétiques et la Russie sont incontestablement demeurés étroits et forts tant au niveau des États que des personnes… S'impose alors un parallèle entre ce qu'a réussi la Russie et l'effondrement de la France… Cette Russie aujourd'hui vomie pour son éclatante réussite par une France incorrigiblement arrogante, même à l'agonie…
Et pourtant sachant les agressions visant la Russie, l'on ne peut s'empêcher de frémir face aux risques encourus si par malheur la Russie et sa Communauté venaient à s'enflammer du péril islamique…

 

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