L’indigence abyssale de l’UMPS, sa décomposition par tous
les bouts, transforme par simple effet d’optique Marine Le Pen en grande
prêtresse de la vérité. Selon le même principe, Eric Zemmour brille aisément
face à une caste médiatique discréditée par ses dénis de réalités et ses
hypocrisies au service du Système…
Résultat, Eric Zemmour et Marine Le Pen marchent sur l’eau.
Lui à 5000 exemplaires par jour, elle à 38% d’opinion favorables, selon un
crescendo quasi-permanent…
Or il se trouve que, depuis bien des années, la pensée
d’Eric Zemmour repose sur un énorme contresens historique, une colossale erreur
que son nouveau livre semble devoir illustrer, comme le précédent (Mélancolie
française, 2010).
Eric Zemmour situe l’origine des malheurs de la France aux
années 1970, dans le sillage de Mai 68, traditionnelle bête noire (et rouge…)
du camp réactionnaire. Mieux encore, lorsqu’il chausse les lunettes des
siècles, Zemmour estime que la France a cessé d’être une grande nation en 1815
(oui, au début du XIXe siècle…). Napoléon, « l’Empereur » comme
l’appelle Zemmour avec admiration, aurait donc emporté à Waterloo le dernier
rêve de la grandeur française…
C’est que Zemmour a fait sienne l’image gaullienne – et
barrésienne, et maurrassienne – d’une France dont la grandeur ne saurait être
qu’européenne. On se rappelle le mot de Déroulède en 1881, à propos de
l’Alsace-Lorraine et des colonies d’Afrique : « J’ai perdu deux
sœurs, vous m’offrez vingt domestiques [ou « vingt nègres », selon
les sources] »...
Cette « certaine idée de la France » a conduit,
voilà cinquante ans, De Gaulle à larguer l’Afrique et l’Algérie, dans des
conditions
radicalement
antidémocratiques et parfois meurtrières. Ainsi 95% du territoire de
la République, et la moitié de sa population, furent mis au ban de la France.
Outre ces aspects démographique et géographique, le largage de l’Afrique
impliqua aussi de sévères effets psychologiques. Car en se débarrassant de
l’Afrique pour des motifs à la fois raciaux, civilisationnels et financiers
(même si le largage n’entrava que partiellement l’exploitation des richesses
africaines, dans le cadre néocolonial…), la France foula au pied ses principes
les plus sacrés (en particulier la démocratie), en même temps qu’elle trahit
son idéal (liberté, égalité, fraternité, par delà les races et les religions).
Pour l’âme d’un peuple, pour un inconscient collectif, tout ceci est, bien évidemment,
très lourd de conséquences…
Or tout cela, dans son système, Zemmour le passe
essentiellement à la trappe. Tout en continuant de se réclamer de la vérité et
de pleurer sur la fin de la France…
Pourtant, c’est précisément le largage de l’Afrique et en
particulier de l’Algérie qui a broyé le patriotisme français, en transformant
les Africains partisans de l’unité franco-africaine en traîtres ou, au mieux,
en imbéciles. D’ailleurs ceux-ci, dans les anciens départements d’Algérie,
furent livrés collectivement aux couteaux vengeurs du FLN, avec la complicité
du Machiavel de l’Elysée, et en parfaite connaissance de cause. Ainsi fait-on
rentrer les fâcheux dans le rang…
Au rebours de ce qui est asséné depuis un demi-siècle (au
point que beaucoup en sont aujourd’hui sincèrement convaincus, en particulier
en France et dans ses banlieues…), au tournant des années 1950-1960, l’Afrique
ne voulait à aucun prix de la sécession. Car elle savait qu’elle s’en
trouverait rapidement paupérisée. « Nous ferions un bond de cinquante ans
en arrière », avait prévenu
Valdiodio N’diaye,
partisan d’une « indépendance » dans un cadre confédéral,
c’est-à-dire d’une indépendance à la californienne, qui n’en est donc pas une…
Mais De Gaulle préféra acculer l’Afrique à une sécession qui, comme prévu,
provoqua « un bond de cinquante ans en arrière », pour ne pas dire
plus...
Entre misère de masse et explosion démographique, l’Afrique
s’est donc déversée, et se déverse chaque jour davantage, sur l’ancienne
métropole. Dans des conditions économiques et sociales, mais aussi
idéologiques, délétères. D’autant que les principaux pourvoyeurs d’immigration
africaine dans l’Hexagone furent longtemps les Algériens, chez qui le patriotisme
français avait été broyé, comme on l’a dit, par la double action de De Gaulle
et du FLN, alliés cyniques dans la terreur…
La France gaullienne refusa d’ensemencer l’Afrique (qu’on
relise Alioune Diop) parce qu’elle refusait d’être en retour ensemencée par
elle. En coulisses, De Gaulle parlait, sans ambages, de « bougnoulisation »
et de «
Colombey-les-Deux-Mosquées ».
Le grand chef se résolut donc à réduire la France comme peau de chagrin. A la
ramener vraiment à elle-même, corrigerait le gaullo-barrésien Zemmour. Ainsi,
entre 1958 et 1962, la France connut le plus grand rétrécissement volontaire
qu’un pays ait connu à travers l’histoire du monde. Quitte, à partir de là, à
être condamnée à subir la loi du plus fort. Bizarrement, ces évidences semblent
totalement échapper à Zemmour, habituellement plus sagace…
Cet étrange aveuglement de Zemmour coïncide avec la doxa de
la Ve République gaullienne. Aussi les petits soldats du « PAF » ne
risquent pas de le dénoncer : ils en sont eux-mêmes victimes. Ce n’est pas
de sitôt qu’on verra un Patrick Cohen, une Ruth El Krief, un Aymeric Caron, une
Léa Salamé ou un Laurent Ruquier venir reprocher à Eric Zemmour d’exonérer
Charles de Gaulle de ses responsabilités éminentes et accablantes dans le
désastre français contemporain. Sous cet angle, Zemmour fait bien partie
du
même Système que ses détracteurs, lui qui se pose volontiers en
rebelle…
Contrairement à ce qu’affirment les gaullistes dont Zemmour,
si de Gaulle n’avait pas largué l’Algérie et l’Afrique, s’il n’avait pas trahi
les
promesses solennelles au nom desquelles il organisa le coup d’Etat de
mai 1958 et renversa la IVe République, aujourd’hui, la France serait davantage
elle-même, c’est-à-dire plus conforme au génie de son peuple (liberté, égalité,
fraternité) et à sa volonté. Mais ce génie du peuple français fut assassiné en
même temps que la Révolution de 58. L’Afrique fut larguée, la France démembrée
et finalement détruite ou, si l’on préfère, démantelée. Avant d’entrer
en
décomposition…
Tout cela, je l’ai expliqué il y a bien des années dans mon
livre Histoire occultée de la décolonisation franco-africaine, imposture,
refoulements et névroses (L’Harmattan, 2006). Le Suicide français d’Eric
Zemmour, aussi pertinent dans ses constats qu’erroné dans ses conclusions et
dans son analyse globale, aurait dû être vendu accompagné d’Histoire occultée en
guise d’indispensable appendice. Ainsi aurait-il évité au Suicide français d’être
un vaste et brillant contresens historique, qui au lieu d’éclairer notre
présent, permet de prolonger l’imposture et d’accompagner les désastres qui
menacent d’achever la France…
2 Comments:
Bravo et encore merci pour cette si excellente et indispensable mise au point!
Encore un excellent article sur ce blog… Une vision claire face au spectacle du quotidien offert tant par Zemour que la Marine et autres histrions "marchant sur l'eau" sans autre objectif que de meubler laborieusement un intermède avant le grand cirque de 2017… …
Je rentre d'un voyage en Asie centrale… Initialement sur les traces de Iouri Dombrovski et sa Faculté de l'Inutile à Alma Ata… La cathédrale Zenkov, musée du temps de Dombrovski, est redevenue cathédrale… Un musée de la répression par contre y a été ouvert… Les églises rouvertes, les goulags sont à présent musées… La "Iejovschina" révolue depuis longtemps… Staline et Iéjov entrés dans un passé vrai quand en France plane toujours le mythe de DeGaulle et qu'un Pasqua enroué tente encore de rugir de temps à autre…
Reléguée au musée la grande terreur stalinienne, très vite ce qui m'y a le plus frappé c'est la réussite du démembrement de l'URSS… Cette "décolonisation" russe… Les liens entre les anciennes Républiques soviétiques et la Russie sont incontestablement demeurés étroits et forts tant au niveau des États que des personnes… S'impose alors un parallèle entre ce qu'a réussi la Russie et l'effondrement de la France… Cette Russie aujourd'hui vomie pour son éclatante réussite par une France incorrigiblement arrogante, même à l'agonie…
Et pourtant sachant les agressions visant la Russie, l'on ne peut s'empêcher de frémir face aux risques encourus si par malheur la Russie et sa Communauté venaient à s'enflammer du péril islamique…
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