22 oct. 2014

Zone Euro : Pourquoi le plan Junker/Macron échouera et ce qu'il faudrait vraiment (enfin) faire




Zone Euro :

Pourquoi le plan 

Junker/Macron échouera

et ce qu'il faudrait 

vraiment (enfin) faire




par

Alexandre Gerbi







300 milliards ! Si elle était destinée à faire tout plein d’effet, la double annonce par Jean-Claude Junker et Emmanuel Macron, à quelques jours de distance, d’un plan d’investissement ou d’un « new deal » européen, sera une nouvelle manière de ne rien régler sur le fond. La solution est pourtant là, à portée de main. Et depuis des années. Explication.

A quelque chose, malheur est bon. Si elle n’engendrait pas d’innombrables malheurs individuels et collectifs, la crise économique et sociale qui n’arrête pas de ronger l’Europe – même l’Allemagne semble touchée à son tour – serait une excellente chose : car elle met les dirigeants européens sous pression.

Une pression qui devrait conduire ceux qui nous servent d’ubuesques chefs à réviser la constitution européenne, afin de mettre fin immédiatement à l’indépendance de la Banque Centrale Européenne (BCE), actuellement dirigée par un transfuge de Goldman Sachs, Mario Draghi. En effet, d’un point de vue républicain, rien ne justifie que la BCE échappe au(x) peuple(s), ni a fortiori qu’elle soit entre les mains de ses ennemis. La monnaie, instrument régalien par excellence, doit être soumise au pouvoir politique, lui-même émanation de la volonté populaire. Si tel n’est pas le cas, alors c’est le début de la tyrannie, pardon, de la technocratie. Laquelle n’est nullement légitime à détenir ce pouvoir exorbitant, puisqu’elle n’est pas représentante du peuple qui, lui, est source de toute souveraineté.

Ce sont là des évidences, du moins lorsqu’on est républicain et démocrate. De là à en conclure que ceux qui nous gouvernent, et qui sont partie prenante dans cette situation aberrante qui veut que la BCE soit indépendante, ne sont ni démocrates, ni républicains, il n’y a qu’un pas. Un pas que permet de franchir la façon dont a été voté par le congrès UMPS, sous la houlette de Sarkozy, le traité de Lisbonne en 2008, au mépris de la volonté populaire exprimée clairement par référendum en 2005. Faut-il vraiment s’étonner qu’un traité voté au mépris de la volonté populaire dépossède le peuple de la maîtrise d’un des principaux outils de sa souveraineté : la monnaie ?

A quelque chose, malheur est bon, disions-nous. La politique désastreuse de la BCE conduit l’Union Européenne au naufrage économique et social. Et en retour, à force de durer, la crise accroît chaque jour un peu plus ses désastres. Au point que les dirigeants européens, bien qu’ultralibéraux, finissent par se sentir acculés à envisager, enfin, une politique de relance. Jean-Claude Junker parle d’un plan de grands travaux financé à hauteur de 300 milliards d’euros. Et dans la foulée, l’ineffable Emmanuel Macron d’appeler de ses vœux un « new deal » (en anglais dans le texte, forcément) européen. Au passage, on apprend qu’il faut être très intelligent (puisque Macron l’est, nous a-t-on rabâché) pour être un perroquet.

Evidemment, je ne puis que concéder que le principe d’un plan de relance est bon, puisqu’il conduit la Commission Européenne (CE) à se rapprocher des préconisations que j’ai exposées dans Rue89 puis dans AgoraVox depuis bientôt cinq ans (voir ici :123).

Au demeurant, ce projet Junker/Macron est très insuffisant, et par conséquent mauvais. Il ne permettra, au mieux, que de limiter la casse, et non pas de relancer l’Europe dans une grande dynamique qui lui permette de résoudre non seulement ses difficultés économiques, mais aussi ses impasses sociales, idéologiques et civilisationnelles. Je reviendrai plus loin sur ces derniers points.
Que faudrait-il donc faire, pour qu’un plan de « relance » soit efficace ?

Je vais livrer ici la réponse que j’avais déjà livrée en 2010 et au cours des années suivantes, légèrement affinée, bien entendu. Elle tient en peu de mots.

Le Plan, en trois phases et deux théâtres d’opération

D’une part, il convient de tirer les milliards d’euros qui financeront le plan sans bons du trésor en échange. Il ne s’agit même pas d’imprimer l’équivalent en billets de banque. Il convient simplement de créer des lignes de crédits garanties par la BCE. L’injection de ces liquidités provoquera une hausse (ou plutôt une réapparition) de l’inflation : tant mieux, l’inflation est trop basse. Elle provoquera une dévaluation de l’euro : tant mieux, l’euro est trop haut.

D’autre part, les montants injectés doivent être bien supérieurs à ceux annoncés par Jean-Claude Junker. De l’ordre de 2000 à 3000 milliards d’euros au total au cours des vingt prochaines années, selon un calendrier qui aura vocation à être ajusté en fonction des événements. Car aucun économiste sérieux ne peut prétendre pouvoir anticiper ce qu’il résultera de l’application des deux premières phases du plan.

Première phase (2014-2019) : Création immédiate de lignes de crédit à hauteur de 500 milliards d’euros.

Une grosse moitié de la somme (350 milliards) devra être consacrée à une politique de grands travaux et de développement de la recherche.

Une deuxième partie (150 milliards) devra être consacrée au développement de l’Afrique avec des pays africains partenaires et volontaires, avec une triple priorité : l’éducation, la santé, les transports. On postule que ces trois postes étant satisfaits (alors qu’aujourd’hui ils sont très loin de l’être), le développement des pays partenaires, notamment du point de vue économique, en découlera.

Deuxième phase (2019-2024) : Création de lignes de crédit à hauteur de 500 milliards d’euros affectés selon les mêmes modalités. Cette somme devra, bien entendu, être ajustée en fonction de l’effet produit par la première phase du plan. Les affectations devront également être modulées en fonction de la situation (inflation, parité de l’euro, croissance, chômage, dette, etc.).

Troisième phase (2024-2034)  : Création de lignes de crédit à hauteur de 1000 à 2000 milliards d’euros, selon les mêmes principes qu’au cours des phases précédentes.

Mais cette dernière période (2024-2034) étant lointaine, et on me pardonnera donc de ne pas détailler...

En revanche, plus proches de nous, la première et la deuxième phases se solderont probablement par une forte chute du chômage. En effet, les grands travaux en Europe et, tout autant voire davantage, le développement de l’Afrique impliquera non seulement l’équipement de l’Afrique en bien divers dont l’Europe est productrice (elle qui dispose d’un appareil productif en état de sous-production permanent depuis de nombreuses années), mais encore l’envoi sur place de nombreux coopérants, notamment dans l’enseignement et la santé (de nombreux diplômés actuellement sous-employés pourraient ainsi trouver un emploi à la hauteur de leurs qualifications, et libérer les postes qu’ils occupent actuellement au détriment de moins diplômés). Les enseignants et les personnels de santé européens, en liaison avec leurs collègues africains enfin dignement rémunérés et bénéficiant de conditions de travail dignes, seront amenés à incarner une fraternité qui permettra d’en finir avec le complexe de culpabilité, d’ailleurs pleinement justifié actuellement, de l’Europe (de ses Etats, non de ses peuples qui en sont victimes) à l’égard de l’Afrique (de ses peuples victimes, non de ses Etats, eux aussi responsables et complices du désastre). 

Beaucoup de rancœurs alors pourront s’apaiser, tandis que le développement économique et social permettra, au nord comme au sud de la Méditerranée et du Sahara, de faire reculer la misère, mais aussi l’obscurantisme politique, religieux ou superstitieux (étant bien entendu, sur ces derniers points, que l’argent et le développement social ne suffiront sans doute pas, mais ce serait l’objet d’un autre article). Au passage, on pourra espérer endiguer le tsunami de l’immigration de masse qui, dans le contexte social mais aussi idéologique actuel, menace de tourner à la catastrophe, au détriment de tous.

Soulignons : cette double imbrication, économique et humaine, de l’Europe et de l’Afrique dans le plan ici préconisé, est essentielle. Non seulement parce qu’elle répond à des impératifs politiques (au sens le plus large du terme) immédiats, mais aussi parce qu’elle s’inscrit dans un héritage historique jusqu’à aujourd’hui essentiellement masqué et dont les effets sont délétères, comme je l’ai expliqué en 2006 dans Histoireoccultée de la décolonisation franco-africaine, Imposture, refoulements etnévroses (L’Harmattan).

Hélas, la Commission européenne et ceux qui nous tiennent lieu de chefs ont-ils vraiment pour dessein de nous affranchir de nos obscurantismes et de nos misères de toute sorte ? Pour déposséder l’homme de sa faim insatiable de (vraie) démocratie et de (vraie) république, pour l’empêcher d’être un adversaire acharné et actif de tous les esclavages et de toutes les exploitations, n’est-il pas bon de l’affamer, d’en faire un « sans-dents », et en même temps de l’abrutir, d’en faire un « illettré », théoriquement incapable de se révolter efficacement contre le Maître ?

A défaut de ce grand plan euro-africain, espérons contre Tocqueville que la révolte viendra tout de même, « sans-dents » ou pas, « illettrés » ou pas. Avant qu’il ne soit trop tard…

Alexandre Gerbi

13 oct. 2014

Le brillant (et colossal) contresens historique d'Eric Zemmour




Le brillant (et colossal) 

contresens historique

d'Eric Zemmour




par

Alexandre Gerbi







L’indigence abyssale de l’UMPS, sa décomposition par tous les bouts, transforme par simple effet d’optique Marine Le Pen en grande prêtresse de la vérité. Selon le même principe, Eric Zemmour brille aisément face à une caste médiatique discréditée par ses dénis de réalités et ses hypocrisies au service du Système…

Résultat, Eric Zemmour et Marine Le Pen marchent sur l’eau. Lui à 5000 exemplaires par jour, elle à 38% d’opinion favorables, selon un crescendo quasi-permanent…

Or il se trouve que, depuis bien des années, la pensée d’Eric Zemmour repose sur un énorme contresens historique, une colossale erreur que son nouveau livre semble devoir illustrer, comme le précédent (Mélancolie française, 2010).

Eric Zemmour situe l’origine des malheurs de la France aux années 1970, dans le sillage de Mai 68, traditionnelle bête noire (et rouge…) du camp réactionnaire. Mieux encore, lorsqu’il chausse les lunettes des siècles, Zemmour estime que la France a cessé d’être une grande nation en 1815 (oui, au début du XIXe siècle…). Napoléon, « l’Empereur » comme l’appelle Zemmour avec admiration, aurait donc emporté à Waterloo le dernier rêve de la grandeur française…

C’est que Zemmour a fait sienne l’image gaullienne – et barrésienne, et maurrassienne – d’une France dont la grandeur ne saurait être qu’européenne. On se rappelle le mot de Déroulède en 1881, à propos de l’Alsace-Lorraine et des colonies d’Afrique : « J’ai perdu deux sœurs, vous m’offrez vingt domestiques [ou « vingt nègres », selon les sources] »...

Cette « certaine idée de la France » a conduit, voilà cinquante ans, De Gaulle à larguer l’Afrique et l’Algérie, dans des conditions radicalement antidémocratiques et parfois meurtrières. Ainsi 95% du territoire de la République, et la moitié de sa population, furent mis au ban de la France. Outre ces aspects démographique et géographique, le largage de l’Afrique impliqua aussi de sévères effets psychologiques. Car en se débarrassant de l’Afrique pour des motifs à la fois raciaux, civilisationnels et financiers (même si le largage n’entrava que partiellement l’exploitation des richesses africaines, dans le cadre néocolonial…), la France foula au pied ses principes les plus sacrés (en particulier la démocratie), en même temps qu’elle trahit son idéal (liberté, égalité, fraternité, par delà les races et les religions). Pour l’âme d’un peuple, pour un inconscient collectif, tout ceci est, bien évidemment, très lourd de conséquences…

Or tout cela, dans son système, Zemmour le passe essentiellement à la trappe. Tout en continuant de se réclamer de la vérité et de pleurer sur la fin de la France…

Pourtant, c’est précisément le largage de l’Afrique et en particulier de l’Algérie qui a broyé le patriotisme français, en transformant les Africains partisans de l’unité franco-africaine en traîtres ou, au mieux, en imbéciles. D’ailleurs ceux-ci, dans les anciens départements d’Algérie, furent livrés collectivement aux couteaux vengeurs du FLN, avec la complicité du Machiavel de l’Elysée, et en parfaite connaissance de cause. Ainsi fait-on rentrer les fâcheux dans le rang…

Au rebours de ce qui est asséné depuis un demi-siècle (au point que beaucoup en sont aujourd’hui sincèrement convaincus, en particulier en France et dans ses banlieues…), au tournant des années 1950-1960, l’Afrique ne voulait à aucun prix de la sécession. Car elle savait qu’elle s’en trouverait rapidement paupérisée. « Nous ferions un bond de cinquante ans en arrière », avait prévenu Valdiodio N’diaye, partisan d’une « indépendance » dans un cadre confédéral, c’est-à-dire d’une indépendance à la californienne, qui n’en est donc pas une… Mais De Gaulle préféra acculer l’Afrique à une sécession qui, comme prévu, provoqua « un bond de cinquante ans en arrière », pour ne pas dire plus...

Entre misère de masse et explosion démographique, l’Afrique s’est donc déversée, et se déverse chaque jour davantage, sur l’ancienne métropole. Dans des conditions économiques et sociales, mais aussi idéologiques, délétères. D’autant que les principaux pourvoyeurs d’immigration africaine dans l’Hexagone furent longtemps les Algériens, chez qui le patriotisme français avait été broyé, comme on l’a dit, par la double action de De Gaulle et du FLN, alliés cyniques dans la terreur…

La France gaullienne refusa d’ensemencer l’Afrique (qu’on relise Alioune Diop) parce qu’elle refusait d’être en retour ensemencée par elle. En coulisses, De Gaulle parlait, sans ambages, de « bougnoulisation  » et de « Colombey-les-Deux-Mosquées ». Le grand chef se résolut donc à réduire la France comme peau de chagrin. A la ramener vraiment à elle-même, corrigerait le gaullo-barrésien Zemmour. Ainsi, entre 1958 et 1962, la France connut le plus grand rétrécissement volontaire qu’un pays ait connu à travers l’histoire du monde. Quitte, à partir de là, à être condamnée à subir la loi du plus fort. Bizarrement, ces évidences semblent totalement échapper à Zemmour, habituellement plus sagace…

Cet étrange aveuglement de Zemmour coïncide avec la doxa de la Ve République gaullienne. Aussi les petits soldats du « PAF » ne risquent pas de le dénoncer : ils en sont eux-mêmes victimes. Ce n’est pas de sitôt qu’on verra un Patrick Cohen, une Ruth El Krief, un Aymeric Caron, une Léa Salamé ou un Laurent Ruquier venir reprocher à Eric Zemmour d’exonérer Charles de Gaulle de ses responsabilités éminentes et accablantes dans le désastre français contemporain. Sous cet angle, Zemmour fait bien partie du même Système que ses détracteurs, lui qui se pose volontiers en rebelle…

Contrairement à ce qu’affirment les gaullistes dont Zemmour, si de Gaulle n’avait pas largué l’Algérie et l’Afrique, s’il n’avait pas trahi les promesses solennelles au nom desquelles il organisa le coup d’Etat de mai 1958 et renversa la IVe République, aujourd’hui, la France serait davantage elle-même, c’est-à-dire plus conforme au génie de son peuple (liberté, égalité, fraternité) et à sa volonté. Mais ce génie du peuple français fut assassiné en même temps que la Révolution de 58. L’Afrique fut larguée, la France démembrée et finalement détruite ou, si l’on préfère, démantelée. Avant d’entrer en décomposition

Tout cela, je l’ai expliqué il y a bien des années dans mon livre Histoire occultée de la décolonisation franco-africaine, imposture, refoulements et névroses (L’Harmattan, 2006). Le Suicide français d’Eric Zemmour, aussi pertinent dans ses constats qu’erroné dans ses conclusions et dans son analyse globale, aurait dû être vendu accompagné d’Histoire occultée en guise d’indispensable appendice. Ainsi aurait-il évité au Suicide français d’être un vaste et brillant contresens historique, qui au lieu d’éclairer notre présent, permet de prolonger l’imposture et d’accompagner les désastres qui menacent d’achever la France…


Alexandre Gerbi