12 févr. 2015

« La France ne serait plus la France » et « Apartheid » : Décryptage de deux énormes « lapsus » de Manuel Valls




« La France ne serait plus la France » 

et « Apartheid » : 


Décryptage 

de deux énormes « lapsus » 

de Manuel Valls




par

Alexandre Gerbi







Un mois après les attentats de Paris, les grands tabous de la Ve République demeurent, même s’ils ont affleuré dans deux jolis « lapsus » gouvernementaux. Analyse d’un étrange phénomène psychologique et sémantique qui frappe un régime et un pays au bord de l’explosion…

Après les massacres de Charlie-Hebdo, de Montrouge et de la porte de Vincennes, les médias nous avaient solennellement promis un changement de « logiciel ». Afin, avaient-ils expliqué gravement, de ne pas commettre à nouveau les erreurs qui avaient conduit à cette horreur… Autant dire qu’ils nous promettaient une révolution copernicienne ! Car le déni de réalité et le règne de l’omerta qui, depuis des décennies, caractérisent en France les médias d’Etat et la quasi-totalité de la presse subventionnée (du Monde à France Inter en passant par France2 et Libération) sont à la hauteur de la tragédie : effroyables…

Les ratés du « logiciel » 

Bien sûr, avec un mois de recul, quelques déblocages ont eu lieu. Vu l’ampleur du séisme, c’est le moins qu’on pouvait attendre. Mais pour autant, la révolution annoncée ne s’est pas produite. D’ailleurs, dès le lendemain de la grande marche du dimanche 11 janvier, tandis que la presse répétait en boucle qu’elle allait rompre avec ses vieux démons, la même presse retombait aussitôt dans son vice : les médias unanimes célébrèrent la formidable union nationale dont la manifestation géante avait témoigné, en semblant ne pas avoir vu que les musulmans y étaient fort rares, et que c’est essentiellement la France « blanche » qui peuplait les cortèges. Il fallut trois jours et, on le devine, d’intenses conférences de rédactions, pour qu’à l’image d’un Yves Calvi dans C dans l’air sur France 5, les médias se résolvent à reconnaître, du bout des lèvres, que la France des « cités » avait boudé le défilé. Ce qu’au demeurant, tout participant à la marche avait constaté de ses yeux dès le dimanche. Le moins qu’on puisse dire, c’est que le « nouveau logiciel » médiatique peinait au démarrage. Mais le meilleur restait à venir…

La vraie cause (secrète) de la crise française 

Depuis des années, je me suis évertué, à travers livres (notamment Histoire occultée de la décolonisation franco-africaine, éd. L'Harmattan), articles, colloques, à proposer des clefs essentielles, pour ainsi dire jamais évoquées mais indispensables pour comprendre la crise qui ronge la France. Dans mes ouvrages, j’analyse la manière dont, depuis un demi-siècle, l’histoire de la décolonisation, qui engendra la Ve République, est travestie en profondeur par l’Etat français et ses alliés. Je montre que la source première des malheurs de la France réside dans cette page falsifiée et néanmoins cruciale de notre histoire récente, dont les effets sont multiples, et touchent de nombreux domaines. A commencer par la crise d’identité collective et les échecs de l’intégration des populations prétendument « issues de l’immigration », venues en réalité pour l’essentiel, qu’on le veuille ou non, des anciens territoires français d’Afrique, et notamment d’Algérie. Mes travaux expliquent comment le général de Gaulle entre 1958 et 1962, après avoir copieusement menti au peuple et violé à maintes reprises la constitution sur des points fondamentaux, imposa, sans les consulter, l’indépendance aux populations d’Afrique. Je montre que celle-ci, contrairement à la légende, souhaitait maintenir des liens étroits et organiques avec la France et la République, une option que par un mélange de racisme, de considérations civilisationnelles et de calculs financiers, de Gaulle rejeta.

Persistance de l’omerta 

Ce refus gaullien prit la forme d’une trahison politique et institutionnelle de nature gravissime, mais ne fut jamais admise comme telle par la Ve République. Et ce malgré cinquante ans de recul, et malgré les dégâts que cette vaste machination continue de provoquer, dont la catastrophe des banlieues n’est qu’un des aspects. Voilà ce que mes travaux essayent d’expliquer le plus rigoureusement possible. Il va sans dire que les médias ne m’ont que très peu donné la parole, et n’ont pas davantage jugé opportun de me la donner depuis un mois. Qu’on ne me donne pas la parole n’est évidemment pas grave en soi. En revanche, ce qui l’est nettement plus, c’est que la thèse que le Club Novation Franco-Africaine défend lui aussi, n’ait pas affleuré une seule fois depuis trois semaines, alors qu’on nous promettait à grands sons de trompes, jour après jour, un débat enfin libre et non faussé. Heureusement les choses ont leur cohérence… et leurs malices ! Car bien que la mémoire du « largage » de l’Afrique par l’Etat gaullien brille par son absence aujourd’hui comme hier, Manuel Valls s’est livré, en ces occasions, à deux « lapsus » particulièrement savoureux.

Quelle « France ne serait plus la France » ? 

D’abord devant le supermarché Hypercacher, porte de Vincennes à Paris, où le Premier ministre déclara que « sans les juifs de France, la France ne serait plus la France. ». Formule reprise, quelques jours plus tard, à Jérusalem, par Ségolène Royal. Singuliers échos, pour le moins, à la célèbre confidence du Général à Alain Peyrefitte, expliquant, en 1959, sa volonté de se « dégager » de l’Algérie et du reste : « C’est très bien qu’il y ait des Français jaunes, des Français noirs, des Français bruns (…) mais il faut qu’ils restent une petite minorité (…) sinon la France ne serait plus la France, mon village ne s’appellerait plus Colombey-les-Deux-Eglises mais Colombey-les-Deux-Mosquées. » Les « bruns » étant des Arabes dans la phrase de De Gaulle, on peut relever que la phrase de Valls est une sorte de citation modifiée, où les « juifs » remplacent les « jaunes », les « noirs » et les « bruns », ces deux dernières catégories coïncidant avec l’origine des tueurs Coulibaly et Kouachi, respectivement d’origine malienne (le Mali est l’ancien Soudan français) et algérienne (anciens départements français), et musulmans... On notera aussi, autre curiosité, l’inversion du sens dans le « lapsus » vallsien, puisque selon De Gaulle, trop des uns ferait que la France cesserait d’être elle-même, quand à un demi-siècle de distance, d’après l’actuel Premier ministre, c’est l’absence des autres qui défigurerait ladite France…

Apartheid, dessein gaullien

Le second « lapsus » de Manuel Valls est peut-être plus troublant encore. Manuel Valls a cru bon de dénoncer un « apartheid » en France. Comme beaucoup l’ont relevé, parfois en s’en offusquant, ce terme est impropre, puisque la ségrégation qui, de fait, clive actuellement en profondeur, et chaque jour davantage, la société française, n’a pas été le fruit d’une volonté des pouvoirs publics. Au contraire, l’Etat et ses services ont, depuis trente ans, déployé toutes sortes d’efforts pour tenter de l’endiguer, notamment à coups de milliards, en vain (ironie du sort, Oncle Bernard, s’opposant à Tignous, lui aurait rappelé avant l’irruption des tueurs dans la conférence de rédaction de Charlie-Hebdo, que la France avait « beaucoup fait pour ses banlieues »…). Au demeurant, la remarque de Valls relève du « lapsus » révélateur. Car si cette fracture de la société française n’est pas le résultat d’un apartheid voulu par l’Etat français dans l’Hexagone, en revanche elle est bel et bien la projection, sur le territoire métropolitain, de l’apartheid, bien réel celui-ci, qu’a organisé l’Etat français avec la décolonisation gaullienne. En effet, en imposant une indépendance fictive aux territoires d’Afrique, de Gaulle a mis en place de véritables « bantoustans » dont l’Elysée, jusque bien après la disparition du grand homme, a gardé le contrôle. En confiant la direction de ces « bantoustans » à des hommes triés sur le volet, tantôt soutenus, tantôt déboulonnés en fonction des besoins. Cet apartheid organisé à l’échelle intercontinentale, ayant en commun avec son « modèle » sud-africain de maintenir sous le joug d’un Etat, dans le cas français via le néocolonialisme, des entités ségréguées en fonction de critères raciaux. A la fois pour les empêcher de se mélanger, mais aussi dans un but d’exploitation économique. Ce modèle qui pose l’Africain comme non-Français car non-Blanc, non-gréco-latin et non-chrétien, et qui décida des contours de la France néocolonialiste contemporaine (l’Hexagone d’un côté, les anciens territoires d’Afrique de l’autre), s’est projeté dans les « cités ». Il fut nourri de la légende, développée par l’Etat français, d’une indépendance désirée et arrachée par l’Afrique, illustrée par les deux figures antagoniques de l’indépendantiste ennemi de la France présenté en héros (le fellagha ou moudjahid assimilé au glorieux résistant) et du partisan de la France dépeint comme un traître (le harki, assimilé à l’infâme collabo). L’Etat français avait, du moins en apparence, tout intérêt à maquiller le honteux largage en victoire du « droit des peuples à disposer d’eux-mêmes » et les « indépendances » (le plus souvent fictives) en triomphe de la liberté. Avec la complicité, en Algérie, du FLN déclaré seul vainqueur et rendu maître exclusif du pays, avec pour mission d’imposer cette vision des choses, par la terreur et dans le sang, à la population, en procédant à une véritable « défrancisation » sur fond d’« arabisation » et d’« islamisation », et d’élimination des francophiles, militaires ou civils, avec la bénédiction du parrain français. L’opération a parfaitement fonctionné, non seulement en Algérie mais aussi, faut-il s’en étonner, dans les banlieues françaises soumises au double feu du FLN et de l’Etat français. A telle enseigne qu’aujourd’hui, nul ne se rappelle avoir eu le moindre ancêtre favorable à l’unité franco-algérienne, tandis que tous revendiquent, anecdote familiale à l’appui, au moins un aïeul fellagha et souvent plusieurs…

Urgence vitale du « grand déballage » 

Quoi qu’il en soit, tandis que l’omerta continue d’être la règle, faut-il voir dans ces deux « lapsus » de Manuel Valls, Premier ministre, le signe d’une remontée inéluctable et puissante de l’inconscient national ? La France du Système va-t-elle enfin accepter de s’allonger sur le divan pour dire à haute voix tout ce qu’elle a sur le cœur ? Ou bien le grand mensonge va-t-il continuer de prospérer et d’accomplir ses ravages ? Réponse dans les mois et les années à venir, puisque le « déballage vital » qu’il s’agit d’accomplir est énorme et même colossal, et que le « nouveau logiciel » a l’air tellement difficile à démarrer. Mais il faut le répéter : plus que jamais, pour la France, la paix civile en dépend. Sa survie peut-être aussi. D’urgence…

Alexandre Gerbi