27 déc. 2017

Remarques camusiennes à l’adresse des petits perroquets parisiens



Remarques camusiennes

à l’adresse des perroquets parisiens



par

Alexandre Gerbi





« Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde », qu’ils vous répètent…


Depuis quelques années, les petits perroquets parisiens citent à tout bout de champ, le bec en cul de poule, cette pensée de l’admirable Albert Camus : « Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde ».

Alors que les mêmes petits perroquets parisiens semblent ne rien connaître des analyses du même Camus touchant à la prétendue « décolonisation », en particulier celle de l’Algérie.

Et pour cause : la pensée camusienne déroge au catéchisme officiel de la Ve République, auquel lesdits petits perroquets parisiens souscrivent bien sagement, par ignorance ou intérêt bien compris.

Il semble totalement échapper aux grands aras, aux gris du Gabon et autres perruches, que l’ignorance, la superficialité, la lâcheté et la tartufferie ajoutent, elles aussi, au malheur du monde…

Dans ses Chroniques algériennes parues dans Combat en mai 1945, Camus notait :

« Sur le plan politique, je voudrais rappeler aussi que le peuple arabe existe. Je veux dire par là qu'il n'est pas cette foule anonyme et misérable, où l'Occidental ne voit rien à respecter et à défendre. Il s'agit au contraire d'un peuple de grandes traditions et dont les vertus, pour peu qu'on veuille l'approcher sans préjugés, sont parmi les premières. Ce peuple n'est pas inférieur, sinon par la condition de vie où il se trouve, et nous avons des leçons à prendre chez lui, dans la mesure où il peut en prendre chez nous. ». Pléiade, p. 942.

Dans son avant-propos des Chroniques algériennes, Camus notait également :

« Pour trouver la société humaine, il faut passer par la société nationale. Pour préserver la société nationale, il faut l’ouvrir sur une perspective universelle. Plus précisément, si l’on veut que la France règne en Algérie sur huit millions de muets, elle y mourra. Si l’on veut que l’Algérie se sépare de la France, les deux périront d’une certaine manière. Si, au contraire, en Algérie, le peuple français et le peuple arabe unissent leurs différences, l’avenir aura un sens pour les Français, les Arabes et le monde entier. » Ibid. p. 896.

Onze ans plus tard, en janvier 1956, dans son Appel pour une trêve civile en Algérie, Camus annonçait, envisageant la victoire du FLN :

« (…) nos deux peuples alors se sépareront définitivement et l’Algérie deviendra pour longtemps un champ de ruines (…) je ne puis me résigner à la voir devenir pour longtemps la terre du malheur et de la haine. » Ibid., p.998.

Et Camus de conclure, dans Algérie 1958 :

« (…) le gouvernement français doit faire savoir nettement (…) qu’il est disposé à rendre toute justice au peuple arabe d’Algérie, et à le libérer du système colonial (…). On peut donc imaginer une déclaration solennelle (…) proclamant : 1) Que l’ère du colonialisme est terminée ; que la France, sans se croire plus pécheresse que les autres nations qui se sont formées et ont grandi dans l’histoire, reconnaît ses erreurs passées et présentes et se déclare disposée à les réparer ; 2) Qu’elle refuse cependant d’obéir à la violence (…) ; qu’elle refuse, en particulier, de servir le rêve de l’empire arabe à ses propres dépens, aux dépens du peuple européen d’Algérie, et, finalement, aux dépens de la paix du monde. » Ibid., pp. 1014-1015.

Il précisait la nature du péril : « Pour le moment, l’empire arabe n’existe pas historiquement, sinon dans les écrits du colonel Nasser, et il ne pourrait se réaliser que par des bouleversements mondiaux qui signifieraient la troisième guerre mondiale à brève échéance. » Ibid., p. 1013.

Plus d’un demi-siècle plus tard, si elles ont changé de doctrine, abandonnant le nationalisme panarabe, socialiste et laïc, au profit de l’islamisme le plus obscurantiste, les ambitions d’un « empire arabe » (ou musulman, ce qui n’est pas très différent) sont plus que jamais d’actualité, et prennent la forme d’une espèce de troisième guerre mondiale, donnant aux analyses de Camus des allures prophétiques…

Mais cela non plus, les petits perroquets parisiens n’ont pas le droit de le dire. Alors ils préfèrent répéter en boucle sur leur perchoir, le bec plein de cacahuètes : « Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde »…

Alexandre Gerbi